Dent de lait, le parfum qui réveille les souvenirs

Le dernier opus de Serge Lutens est un nouveau chapitre qu’il ajoute à sa biographie parfumée. Il y est question de ce passage particulier de l’enfance à l’adolescence. Une fragrance addictive qui sent doux. – Isabelle Cerboneschi

Le créateur de parfums Serge Lutens accompagne toujours les parfums nés de ses désirs par des mots, une courte histoire qui donne une piste sur la fragrance. Mais qu’a-t-il dont voulu raconter avec son dernier opus Dent de Lait? Il est question d’un enfant qui perd une dent de lait et avec elle, un peu de son innocence. Il est question aussi de fil, mais a-t-on toujours besoin de le suivre, ce fil de l’histoire qu’il nous raconte?

Serge Lutens ne dévoile jamais rien de la formulation des parfums qui portent son nom. Il a raison, au fond: est-ce qu’on demande à un compositeur combien de « la », de « si », de « mi » il a choisi pour écrire sa musique? En revanche rien ne nous empêche de nous pencher sur la composition que l’on trouve à l’arrière de l’emballage. Et là, parmi les diverses molécules, on trouve de l’eugénol, un composant du clou de girofle dont il est généralement extrait. Cela me fait sourire: avec le mal de dent, Serge Lutens a pensé au remède. Dans ce parfum, il y a à la fois la douleur de la perte et le moyen de l’atténuer. C’est subtil.

Les fragrances de Serge Lutens sont autant de chapitres de sa propre autobiographie, une autobiographie olfactive. A nous de trouver notre chemin dans cette forêt de symboles, dans ces énigmes enfermées à l’abri de flacons de verre, pour remonter à l’auteur de ces lignes parfumées.

Mais qu’est-ce qui est plus important, finalement: connaître l’intention première qui a présidé à la naissance de ce parfum ou interroger sa propre histoire pour comprendre pourquoi on l’a choisie, cette fragrance-là, parmi les centaines d’autres que l’on trouve sur le marché? Pour quelles raisons a-t-on décidé de la faire sienne, de la porter à même la peau, geste parmi les plus intimes qui soit?

Un parfum est un « réveilleur » de mémoire, un bel artifice qui vient se faire entrechoquer les neurones et nous replacer dans une situation déjà vécue. Il fait appel à nos souvenirs les plus anciens: avant de voir, un bébé sent.

Dent de lait me parle d’un temps révolu, il me raconte le baiser du soir avec son odeur doucereuse dans laquelle je discerne un peu de rose et de violette, comme dans les poudres que portaient les grand-mères autrefois quand elles avaient les cheveux mauves. Des poudres cachées dans des boîtes recouvertes de motifs floraux.

Dent de lait me rappelle le souvenir de personnes tant aimées aujourd’hui disparues. Cette fragrance raconte l’amour tendre et infini d’une enfant pour sa grand-mère, d’une grand-mère pour son enfant. C’est une bouffée de tendresse, c’est la réminiscence d’un jour de pluie bercé par le bruit lancinant d’une machine à coudre. Une certaine idée du bonheur à hauteur d’enfant.

Dent de lait, c’est réconfortant comme un gâteau roulé fourré à la confiture de framboise tout juste sorti du four. Guère étonnant d’ailleurs: en parfumerie, la rose, la framboise et le litchi ont des notes communes.

Dent de lait, c’est une partie de balançoire, une chute à vélo où l’on perd deux roues, une dent, et sa fierté.

Dent de lait pourrait bien être le parfum du paradis perdu…