Dennison à l’heure néo-vintage

Dennison, le fabricant de boîtiers britannique, a cessé toute activité en 1967. Sous l’impulsion du marchand de montres vintage Toby Sutton, de l’entrepreneur Stéphane Cheikh et du designer Emmanuel Gueit, la marque renaît à Genève. Son nom s’affiche désormais sur des cadrans de montres en pierres fines. Ces modèles au look seventies plaisent aux jeunes générations ainsi qu’à la star Alicia Keys qui la portait au poignet lors d’un concert en août dernier. Isabelle Cerboneschi

Stéphane Cheikh et Toby Sutton, les co-directeurs de Dennison, lauréats du prix Challenge du Grand Prix de l’Horlogerie de Genève

Le temps s’est arrêté en 1967 pour la marque de boîtiers britannique Dennison. Elle a connu ses heures de gloire : on la trouvait au revers des boîtiers de montres signées des grandes marques suisses comme Rolex, Jaeger LeCoultre, IWC ou encore Omega. Cela n’a pas empêché les deux héritières propriétaires à l’époque de fermer l’entreprise.

Il a fallu la passion de trois hommes – Toby Sutton, fondateur de Watches of Knightsbridge, Stéphane Cheikh, entrepreneur à Genève et le designer Emmanuel Gueit – pour faire renaître ce nom sous la forme d’une marque horlogère.

Alors qu’il n’avait que 21 ans, Toby Sutton a racheté le nom Dennison. Pendant quinze ans, il n’en a rien fait jusqu’à ce qu’il rencontre Stéphane Cheikh qui souhaitait sortir de l’univers de l’intelligence artificielle. La troisième personne clé de l’histoire est Emmanuel Gueit : c’est lui qui a donné un visage aux montres Dennison. Bon sang ne saurait mentir : il est le fils du designer iconique des années 1970-80 Jean-Claude Gueit et s’est inspiré des montres de cette époque pour donner vie à la marque horlogère. « Et reprendre l’histoire où elle s’est arrêtée ».

Les premiers modèles avec leur cadran en pierres fines et leur boîtier en forme d’écran de télévision a immédiatement séduit à la fois les jeunes générations, les amoureux de montres vintage et les collectionneurs. Leur prix attractif a fait le reste. Certains composants proviennent d’Asie, les montres sont assemblées à Hong Kong, mais le mouvement à quartz Ronda qui les anime est suisse. Les bracelets en cuir sont également fabriqués à Genève.

En novembre dernier, la marque a gagné le prix Challenge lors du Grand Prix de l’Horlogerie de Genève. Rencontre avec Stéphane Cheikh, le directeur général de la marque et Emmanuel Gueit, le designer.

Le designer Emmanuel Gueit

INTERVIEW

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez entendu le nom de Dennison lors de l’annonce du lauréat du prix Challenge pendant la cérémonie du GPHG?

Stéphane Cheikh :  Une immense joie pour cette merveilleuse récompense qui va donner une belle légitimité à la marque Dennison et aussi un grand bonheur de voir le travail acharné des 12 derniers mois soit reconnu.

Emmanuel Gueit: J’ai d’abord été surpris que nous soyons sélectionnés puis de faire partie les finalistes. La réaction du public lors de l’annonce du gagnant m’a profondément bouleversé.

La montre qui a remporté le prix Challenge lors du Grand Prix de l’Horlogerie de Genève en novembre 2025.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de relancer la marque?

Stephane Cheikh: C’est une belle marque avec un bel héritage: à l’époque, elle fabriquait des boîtiers pour les grandes marques suisses: Rolex, Tudor, Jaeger, IWC, Omega. Avec mon associé Toby Sutton nous nous sommes dit que cela pourrait être intéressant la relancer. Ce n’est pas une nouvelle marque, le nom était préexistant, mais il n’était pas associé à des montres. Il s’agissait d’un fabricant de boîtiers qui avait réalisé quelques montres mais sans donner suite.

Il existe beaucoup de marques horlogères dormantes. Pourquoi avoir choisi de relancer ce nom-là en particulier?

Stéphane Cheikh: Le père de Toby est un marchand de montres vintage et en ouvrant d’anciennes Omega ou Rolex, ils voyaient souvent le nom de Dennison. Alors qu’il avait 21 ans, il en a eu assez de travailler dans une banque et a décidé d’acheter une marque liée à l’horlogerie. Son choix s’est porté sur Dennison. Elle avait appartenu à deux héritières qui ont décidé de cesser toute activité en 1967. Le bâtiment était devenu un parking. Actuellement il abrite des appartements à Birmingham dans un quartier devenu très « posh ». Pendant 15 ans, Toby n’a rien fait de cette marque. Puis nous l’avons relancée il y a un an.

Collection Flatlay

Comment êtes-vous entré dans cette aventure?

Stephane Cheikh : Je ne viens pas de l’industrie horlogère. J’ai un background en management et je gérais des projets d’intelligence artificielle. Or je suis arrivé à un moment de ma carrière où je n’avais plus envie de travailler pour une entreprise. Je souhaitais me lancer à mon compte. Vivant à Genève j’avais le choix entre me lancer dans le chocolat, la banque ou l’horlogerie. Et un jour quelqu’un m’a présenté Toby et ce fut l’horlogerie.

Et comment avez-vous rencontré Emmanuel Gueit?

Emmanuel Gueit : Par les réseaux sociaux (rires)!
Stephane Cheikh : J’ai tapé sur Google « designer montres Genève », puis un certain Emmanuel Gueit est apparu. Je lui ai envoyé un message sur LinkedIn et il m’a répondu ! J’ai eu de la chance. Quand j’y pense, je n’aurais pas la même vie et Dennison ne serait pas la même marque si nous n’avions pas travaillé avec lui.

Emmanuel, qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet ?

Emmanuel Gueit : Il n’y avait rien. Stéphane m’a contacté. On s’est rencontré. On a parlé pendant une heure. J’ai eu l’impression de le connaître depuis 20 ans. Il m’a dit qu’ils cherchaient un designer pour cette marque qu’ils voulaient relancer, qu’ils avaient pitché d’autres bureaux et m’a demandé de lui proposer des croquis. Je l’ai envoyé promener (rires). Comme il a insisté, je lui ai envoyé des dessins sans intérêt.
Stephane Cheikh : …Que nous n’avons pas utilisés d’ailleurs. Mon associé m’a dit qu’il fallait que l’on réalise ce projet avec Emmanuel, qu’il apporterait de la légitimité à la marque. Nous ne nous sommes pas trompés.
Emmanuel Gueit : Le jour où j’ai rencontré tous les associés, je rentrais de Berlin où j’avais fait la fête. Je n’avais pas dormi de la nuit mais Stéphane a insisté pour que je les vois. Je suis arrivé avec ma petite valise et finalement le courant est bien passé avec tout le monde.

Collection œil de tigre

Vous évoquez d’autres associés: vous êtes plus que deux dans l’aventure?

Stephane Cheikh : Il y a deux investisseurs qui sont des collectionneurs de montres. C’était important qu’ils soient présents pour donner leur avis sur la personne avec qui on avait l’intention de travailler. Ce sont eux qui financent le projet.

Pourquoi avoir choisi ce format en écran de télévision?

Emmanuel Gueit : J’ai proposé plusieurs formes et on est tombé d’accord sur celle-ci. En étudiant l’histoire de la marque, j’ai vu qu’elle s’était arrêtée dans les années 60. Je me suis dit que ce serait intéressant de redémarrer là où elle s’était arrêtée. De plus, les années 60-70, c’est mon ADN (ndlr: son père Jean-Claude Gueit a dessiné certaines des plus belles montres dans ces années-là) et c’était donc assez facile.
Stephane Cheikh : au départ il avait dessiné le boîtier à la verticale, avant de décider qu’il fallait le tourner à l’horizontale.
Emmanuel Gueit : Ensuite j’ai proposé différents cadrans, dont certains avec des pierres fines. C’était logique pour l’époque.

Qu’est-ce qui vous plaisait justement à cette époque?

Emmanuel Gueit : L’audace! Maintenant c’est le marketing qui gère la création d’un produit, mais dans ces années-là, le marketing n’existait pas et on osait. Les designers n’avaient pas d’ordinateur: ils créaient avec leur tête, un crayon et un papier.

Comment s’exprime l’audace en 2025?

Emmanuel Gueit : Ce modèle n’est pas dans la lignée des montres de Gérald Genta: à savoir une pièce sport-chic avec bracelet en acier intégré. Il est l’antithèse de cela. A l’époque, il y avait les pièces de Gérald Genta d’un côté et les créations de Jean-Claude Gueit de l’autre: des montres de forme, avec des cadrans en pierres, des diamants, des bracelets cuir…

Collection œil de tigre

Vous inscrivez-vous dans la lignée de votre père?

Emmanuel Gueit : Oui, bien sûr! Et j’en suis très fier. C’est dans mon sang. Nous avons la même perception du luxe. Cela ne plaît peut-être pas à tout le monde, mais c’est notre vision du beau. Je suis né dans son style: j’ai regardé mon père dessiner depuis tout petit.
Stephane Cheikh: C’est un beau style.
Emmanuel Gueit : Yves G. Piaget, qui m’a connu enfant, m’a invité à déjeuner pendant le salon Watches & Wonder. Ce jour-là, je portais une montre Dennison sertie. Il l’a mise à son poignet et il m’a dit: « c’est très Jean-Claude ». Cela m’a touché. C’était le but.

Pourquoi des cadrans en pierres dures?

Emmanuel Gueit : J’adore cela. Nous avons décidé de les créer ainsi et nous avons bien fait parce que les ventes ont explosé immédiatement.

Dennison Dual Time en œil de tigre et marbre noir

Ces montres ont tout de suite plu à une jeune génération. Comment l’expliquez-vous?

Emmanuel Gueit : Je ne l’explique pas et j’en suis le premier étonné.
Stephane Cheikh: Mes filles de 25 et 27 ans, et toutes leurs copines ont voulu en acheter une!

Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer un modèle Dual Time ?

Emmanuel Gueit : Ma sensibilité. Je me suis dit que la forme était idéale pour créer une Dual Time. C’était une manière de faire évoluer le modèle. Nous aurions pu placer les deux mouvements dans la boîte d’origine, mais les aiguilles étaient un peu trop rapprochées : nous avons donc étiré le boîtier de 2 mm.
Stephane Cheikh: A ma connaissance, il n’existe pas d’autres montres sur le marché avec deux fuseaux horaires qui soient aussi jolies que celle-ci et qui valent moins de 1’000 francs.

Dennison X Collectability

Vous avez créé un modèle en partenariat avec John Reardon de Collectability. Comment expliquez-vous le fait que vos montres plaisent aussi à des collectionneurs qui ont tout ?

Stephane Cheikh : Il est vrai que nos montres plaisent à la fois aux 25-35 ans et aux collectionneurs qui ont des montres de folie. Nous avons rencontré un Américain tout à l’heure qui portait une montre Andersen et une Simon Brette et il adore ce que l’on fait. Pour lui, le prix n’avait pas d’importance: c’est leur beauté qui comptait.
Emmanuel Gueit : À New York, lors du lancement de la marque, des collectionneurs nous ont dit que le fait que ce soit une montre à quartz n’avait pas d’importance : ce qui importait, c’est qu’elle soit belle.

Alicia Keys porte une montre Dennison avec un cadran en malachite lors de son concert à Osaka en août 2025 ©DR

Comment avez-vous réagi en apprenant que Alicia Keys portait une Dennison pour son concert à Osaka en août dernier?

Stephane Cheikh: C’était une surprise! Nous n’étions pas du tout au courant.

Ce n’était donc pas une opération de marketing ?

Stephane Cheikh : Non, pas du tout! Son mari (le rappeur Swizz Beatz, ndlr) avait acheté plusieurs de nos montres. Le soir de son concert à Osaka, Alicia Keys portait une bague en malachite et elle a demandé à son mari s’il avait une montre assortie. Il lui a montré la Dennison, elle l’a adorée et elle l’a portée. D’ailleurs c’est lui qui l’a filmée en backstage et qui nous a envoyé les images que nous avons pu utiliser.

Alicia Keys a demandé à son mari le rappeur  Swizz Beatz, grand amateur de montres, de lui prêter un modèle avec un cadran en malachite qui irait avec sa bague ©DR

Comment les avait-il achetées ?

Stephane Cheikh : Sur le net! Il nous a trouvés sur Instagram. C’est quelqu’un qui aime beaucoup les jeunes marques. Il adore notre marque. Nous lui avons offert deux Dual Time et il en a racheté cinq d’un coup. Notre plus grosse commande. Il voulait les acheter avant qu’elles soient sold out (rire).

Est-ce que cette histoire a eu un impact à la fois sur l’image de la marque et sur les ventes?

Stephane Cheikh: Nous n’avons pas ressenti un gros impact, c’était un one-shot. Swizz Beatz est déjà ambassadeur de De Bethune. Nous aimerions envisager quelque chose de plus formel…

Avez-vous envisagé de travailler avec d’autres personnalités?

Stephane Cheikh : Non. Ce n’est pas dans la stratégie ces prochains mois.

Quelle place voulez-vous donner à Dennison dans le paysage horloger actuel ?

Stephane Cheikh: Celle d’une jeune entreprise genevoise qui fait des belles montres dessinées par un grand designer, vendues à un prix qui soit accessible pour la jeune génération.

Avez-vous un distributeur?

Stephane Cheikh: Non, nous avons très peu de détaillants. On vend presque tout en direct.

Vous avez fabriqué combien de montres par an ?

Emmanuel Gueit : Nous avions prévu d’en fabriquer 2’000 or on va atteindre les 3’000 pièces cette année.

Que reste-t-il à accomplir?

Stephane Cheikh : Nous allons essayer de prendre un maximum de plaisir parce que c’est une très belle aventure humaine.