Philippe Cramer dans ses nuages
L’artiste genevois Philippe Cramer exposait ses nuages-mirages Onar lors de la dernière édition du salon Art Genève fin janvier 2025. Des œuvres qui invitent à la réflexion, dans tous les sens du terme. Isabelle Cerboneschi
Philippe Cramer a longtemps accepté qu’on le définisse comme designer. Rien de plus normal, d’ailleurs, comme appellation, puisqu’il créait des objets qui avaient une utilité dans une maison et que l’on appelle habituellement « meubles ». Une table, des lampes, des tabourets, des bancs,… Mais lorsque l’on accepte de porter un costume qui n’est pas taillé à sa mesure, il arrive que les coutures craquent et que l’on se révèle dans sa nudité. C’est ce qui est arrivé à Philippe Cramer, il y a deux ans. Artiste est un mot dans lequel ils se sent bien mieux. C’est d’ailleurs ce qu’il a toujours été sans jamais avoir osé se l’avouer.
Avant d’ouvrir sa galerie dans la bien nommée rue de la Muse à Genève et de fonder son studio de création Cramer + Cramer en 2001, Philippe Cramer a obtenu un diplôme en histoire des arts décoratifs du XIXe et XXe siècle, puis un Bachelor in Fine Arts de la Parson’s School of Design à New York en 1996. De la Suisse, il a eu envie d’extraire la substance et la beauté pour créer des objets qui étaient à mi-chemin entre le design et l’art, avant de trancher: ses créations n’ont pas besoin de fonction pour exister.
Parmi ses dernières œuvres, ses nuages-miroirs « Onar » semblent être des portails ouvrant sur un autre monde. Ils reflètent une certaine réalité qui n’est pas tout à fait la réalité, car les choses sont embellies et transformées par les couleurs et les lignes. Eventuellement, on peut s’y mirer mais le reflet qu’ils renvoient relève d’un mirage. Un beau mirage… Nous avons rencontré Philippe Cramer et ses miroirs Onar en janvier, lors de la dernière édition d’Art Genève.
Onar 6, l’œuvre miroir de Philippe Cramer, s’inspire d’un mirage que l’artiste a vu en Californie. ©Philippe Cramer
INTERVIEW
Comment vous est venue cette idée de créer des nuages-miroirs ?
Philippe Cramer On retrouve régulièrement dans mon travail la relation au rêve, à l’apparition magique, aux illusions d’optique et aux symboles millénaires. Pour ce travail en particulier, j’ai été inspiré par les mirages qui peuvent apparaître dans les pays chauds. Cette expérience m’est arrivée lors d’un voyage que j’ai fait en Californie, sur la route entre Los Angeles et Las Vegas : la réflexion du soleil se retrouvait projetée sur le bitume. Cet effet de dédoublement ou d’effet miroir entre réalité et illusion m’a intéressé.
Dans quelle matière sont-ils fabriqués ?
Pour la réalisation de ces nouvelles œuvres sur miroir que j’ai appelé « Onar », le mot grec pour rêve, j’ai travaillé la technique provenant de l’industrie que l’on appelle le verre feuilleté. Une feuille d’acétate transparente est placée entre deux panneaux de verre, permettant ainsi de créer une plaque de verre sécurisée. Ainsi, si cette plaque de verre venait à être brisé, elle n’éclaterait pas en mille morceaux. J’ai détourné cette technique industrielle en peignant la feuille d’acétate avec un dégradé de couleurs avant de procéder au collage du feuilleté.
Philippe Cramer a appelé ses œuvres sur miroir «Onar», le mot grec pour « rêve ». Onar 5 ©Philippe Cramer
Quand on les regarde, ces œuvres sont en rupture avec la fonction classique du miroir. Quelle était votre intention profonde ?
Il est difficile pour moi de mettre en mots mes intentions profondes car je travaille de manière instinctive et viscérale et je ne pars que rarement d’une démarche conceptuelle ou intellectuelle. Mais effectivement, l’exploration de subterfuges pour détourner la réalité, voire la transformer, me plaît énormément. D’ailleurs, notre réalité personnelle ne reflète jamais celles des autres. Tout est question de perspective et de filtre par lequel nous faisons l’expérience de la vie.
Considérez-vous que celui qui regarde fait partie de l’œuvre, même de manière éphémère ?
Mon chemin artistique m’a amené à explorer la relation entre l’idée de l’œuvre d’art, considérée comme sacrée et par conséquent intouchable, à l’objet fonctionnel. Notre relation au sublime est emprunte de tant d’interdits : ne pas toucher, ne pas utiliser, ne pas se comparer. En créant des œuvres qui peuvent être caressées, nous refléter ou servir d’assise, j’espère construire un pont entre la notion dogmatique du divin et notre réalité terrienne, parsemée de doutes. Je ne considère pas que le spectateur en soi fasse ici partie de l’œuvre, mais je pense que l’œuvre permet au spectateur de se sentir en relation directe avec une dimension altérée de sa réalité quotidienne. Que l’on appelle cela le beau, le divin, le rêve, le sacré, cette définition est individuelle.
Découvrir Philippe Cramer et ses miroirs Onar dans la galerie Cramer + Cramer Sàrl, Rue de la Muse 8, 1205 Geneva, Switzerland