Philippe Zdar Forever

Jusqu’au 27 avril, une exposition à l’Espace Castiglione à Paris rend hommage au producteur-chanteur-ingénieur du son Philippe Cerboneschi alias Zdar, disparu le 19 juin 2019. Le photographe Cédric Bertrand, qui l’a suivi depuis ses débuts, expose ses clichés d’une beauté bouleversante. Parce qu’il faisait partie de la grande famille, il est devenu le témoin invisible de l’évolution de tout un mouvement musical à l’origine de la French Touch. A voir absolument. Isabelle Cerboneschi 

Cerbo ©Cédric Bertrand

Cédric Bertrand était étudiant dans une école de photographie lorsqu’il est tombé dans un monde parallèle: celui de la musique électro et des rave-parties. La France découvrait un son nouveau et les gens se rejoignaient dans des lieux improbables pour se balancer au gré de rythmes quasi binaires et des voyages mentaux où les entraînaient quelques substances chimiques. C’était bien avant que l’on parle de la French Touch. Cédric Bertrand avait découvert l’univers où il souhaitait s’oublier.

Lorsqu’il rencontre Philippe Cerboneschi en 1992 sur une péniche dans une after party, ce dernier était un jeune ingénieur du son qui avait débarqué à Paris de sa Savoie natale, quelques années auparavant. Adolescent, Philippe avait monté un groupe de hard rock dans une cave insalubre et rêvait de musique. Sa mère (la mienne aussi, soit dit en passant), voulait qu’il suive les traces de son père et devienne hôtelier. La musique a pris le dessus.

Philippe a suivi tout le cursus: de tea boy il est devenu assistant, puis ingénieur du son aux côtés de Jean-Philippe Bonichon et Dominique Blanc-Francard. Lorsque cette histoire d’amitié inconditionnelle entre Cédric et Philippe est née, ce dernier n’avait pas encore pris le pseudonyme de Zdar. Il n’avait pas encore co-créé Motorbass avec Etienne de Crécy ni Cassius avec Hubert Blanc-Francard, le fils de Dominique. Il n’était pas encore devenu l’ingénieur du son et le producteur le plus doué, le plus prisé de sa génération. Il avait cette fraîcheur des débuts, quand on sait au fond de soi que l’on est fait pour ça, mais qu’on ne connaît ni le jour, ni l’heure…

Au début des années 1990, Cédric Bertrand emménage avec Philippe, son amie Céline et Etienne de Crécy, rue Constance, à Montmartre, dans un petit deux pièces où ils se prêtaient le lit unique à tour de rôle. « Philippe a acheté deux platines, des vinyles, il a tout posé au pied du lit, devant la cheminée et il a commencé à apprendre à mixer, là, au pied du lit », explique Cédric Bertrand.

Deux pièces pour loger tout une tribu, ça devient vite trop petit et Philippe décide de louer un loft rue Lepic pour réunir cette famille élargie. C’est dans ce lieu de passage, où le frigo était toujours vide mais l’espace toujours plein d’amis, que Philippe et Etienne ont commencé à créer de la musique électronique et ont formé le groupe Motorbass. Leur album éponyme, sorti en 1993, est l’un des actes fondateurs de la French Touch.

En 1997, Cédric rejoint La Funk Mob, créée par Hubert Blanc-Francard, dit « Boombass », l’associé de Philippe et co-créateur de Cassius. C’était une sorte de ruche d’artistes provenant de tous horizons où l’on pouvait croiser notamment Alex Courtès et Martin Fougerol, les vidéastes ayant réalisé les premiers clips de Cassius ou encore l’artiste américain Senz, avec qui Cédric Bertrand a collaboré pour la scénographie de l’exposition Zdar Love Shots.

Lorsque Cassius commence à décoller, Philippe Zdar offre un Polaroïd à Cédric et lui demande de photographier le tournage des clips « Cassius 1999 » et « I’m a Woman », réalisés par Alex et Martin. Cédric devient vite l’ami de l’ombre et de la lumière de tout ce petit monde: où ils sont, il est, photographiant tout ce qui passe sous ses yeux. Y compris les premiers casques des Daft Punk, créés par Alex et Martin à Los Angeles, en 2000. Il est discrètement présent dans les coulisses des tournées de Zdar, lors de ses séances d’enregistrement au studio Motorbass, pendant ces longs mois passés avec Boombass à Ibiza pour créer un nouvel album,… Cédric filme et immortalise des portions de vie précieuses. Ce ne sont pas des moments volés mais des moments donnés qu’il offre à son tour au regard jusqu’au 27 avril à l’Espace Castiglione à Paris*.

L’exposition « Zdar Love Shots » de Cédric Bertrand est une sorte de récit sans parole où il raconte en images l’émergence d’un mouvement musical ainsi que l’évolution de la carrière de Philippe Zdar. Mais c’est avant tout un hommage, un message envoyé post mortem à son ami, disparu le 19 juin 2019.

INTERVIEW

Comment as-tu rencontré Philippe Cerboneschi, avant qu’il prenne le pseudo de Zdar?

Cédric Bertrand : Je l’ai rencontré par le biais de la fille du chanteur Christophe, Lucie Bevilacqua. On était en Angleterre tous les deux. Elle l’a appelé pour venir nous chercher à l’aéroport et il est venu. C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois. Ensuite je l’ai retrouvé dans une after party sur une péniche. Je crois que je l’ai un peu collé au début, avant qu’on devienne vraiment amis. Je connaissais tout le monde dans le milieu techno, j’y évoluais depuis 1989, quand j’ai commencé à aller dans les raves et manger des extas. A cette époque je m’étais enfui dans les nuages. J’avais arrêté la photo. J’avais tout lâché.

A tes yeux, Philippe représentait quoi?

La personne avec qui je rêvais de passer du temps. Il n’était pas connu à l’époque. C’est une amitié qui est née.

Motorbass, que Philippe a co-créé avec Étienne de Crécy, est un album devenu légendaire. Comment as-tu fait partie de l’aventure?

On partait tous les trois en voiture pour aller distribuer les vinyles chez les disquaires à l’étranger, en Belgique, en Hollande,… C’est le premier vinyle underground French Touch qui est sorti en France. Il est mythique. A mes yeux, c’est le meilleur album français. J’étais là et à ma façon, j’ai participé à tout ça.

Motorbass Etienne de Crécy et Philippe Cerboneschi ©Cédric Bertrand

Comment as-tu commencé à faire des photos pour Cassius?

Philippe m’avait filé un Polaroïd sur le tournage du clip Cassius 99 et j’ai commencé à faire des photos. Ensuite il m’a demandé de couvrir  le clip I’m a woman, et c’est là où il m’a écrit « The Best », au sujet de mes images. A partir de ce moment-là, il m’a demandé de les suivre. J’ai acheté mon premier appareil numérique, puis je me suis mis à l’argentique. J’essayais de trouver ma couleur: j’aime pousser les pellicules et obtenir un gros grain. Cela fait comme une peinture, un dessin. Ce sont des photos léchées, mais dans mon style. Et comme je ne me servais que de lumière naturelle, mes images pouvaient être éclatées et très sombres. De ce fait, dans les clubs, 90% de mes photos étaient pourries et j’ai décidé de faire de la vidéo. Pendant quelques années j’ai suivi le groupe Cassius en tournée. Ce qui m’a permis de faire des making of et des teasers pour Virgin chez qui Zdar et Boombass avaient signé.

Tu les as suivis à Ibiza, quand ils créaient, en tournée, dans la vie de tous les jours. Tes photos sont d’une beauté, d’une pudeur, à couper le souffle. Est-ce parce que tu faisais partie de cette immense famille qu’avait su créer Philippe et que rien ne t’était interdit justement?

Ils ne me voyaient pas, en fait: comme c’était la famille, ils ne faisaient plus attention à la caméra. Ils vivaient, ils bossaient et moi, pendant ce temps, je faisais des photos et des vidéos.

Comment t’es-tu retrouvé à Los Angeles lors de la création du casque des Daft Punk?

J’avais présenté les vidéastes Alex Courtès et Martin Fougerol à Philippe. Ce sont eux qui ont réalisé le clip Cassius 99. A l’époque je faisais des photos à la fois pour Cassius et pour Alex et Martin,  or ce sont eux qui ont dessiné la première version des casques des Daft Punk. J’étais-là avec eux et j’ai fait des photos, mais à l’époque je ne me rendais pas compte qu’il se passait quelque chose qui allait marquer l’histoire de la musique.

GENESIS Le premier casque des Daft Punk ©Cédric Bertrand

Philippe avait l’art d’aimer intensément et il était aimé en retour. Mais est-ce qu’il y avait un revers à cette médaille solaire?

Il recherchait l’amour pour son bien-être. La mort de son père, quand il avait dix ans l’avait énormément affecté. Il fallait qu’il soit le meilleur en tout…

« Zdar Love Shots » par Cédric Bertrand, Preview Gallery 2022, Espace Castiglione, 14 rue de Castiglione, 75001

Love Parade ©Cédric Bertrand