Le camélia au cœur de la beauté Chanel
Le camélia fait partie des éléments iconiques de Chanel. Cette fleur, qui fleurit principalement en hiver, a su séduire Gabrielle Chanel avec ses pétales graphiques et sa belle symétrie. On la retrouve dans tous les métiers de Chanel : la beauté, la mode, l’horlogerie et la joaillerie. L’occasion de faire le tour de la question en trois chapitres. Commençons par la beauté. Isabelle Cerboneschi, Gaujacq
Il est des lieux enchanteurs et sans doute enchantés. La ferme aux camélias de Gaujacq, dans le sud-ouest de la France, en fait partie. C’est sur ses terres, qui s’étendent sur 70 hectares entre les collines du Béarn et les rives de l’Adour, que poussent des camélias de toutes les couleurs. Des fleurs qui, par le biais de transformations alchimiques, deviendront source de beauté.
La ferme aux camélias de Gaujacq fait partie d’un projet initié par Chanel en 1998 : cultiver cette fleur dans un laboratoire à ciel ouvert, afin d’en découvrir les vertus et de les intégrer dans ses produits de soin. Ce programme a été initié en collaboration avec Jean Thoby, Expert international du camélia, qui cultive depuis des décennies un jardin conservatoire botanique dans cette petite commune des Landes.
Un jardin conservatoire de plus de 2000 variétés de camélias
Tout le monde connaît le camélia blanc mais sa pureté et sa beauté ne peuvent le résumer. Il existe une variété immense de camélias – des roses, des rouges, des pourpres, des bicolores, et pour prendre conscience de la richesse de leur expression chromatique, il faut se promener dans les allées du jardin conservatoire botanique de Gaujacq qui représente un échantillon magnifique de ce que cette fleur peut offrir de plus beau.
Situé en bordure du château de Gaujacq et à quelques kilomètres de la ferme aux camélias de Chanel, il abrite les variétés horticoles les plus rares sur près de 5 hectares. On n’y retrouve pas moins de 2000 espèces de camélias parmi les 4600 existantes, glanées au fil du temps dans le monde entier par une famille de pépiniéristes et de collectionneurs qui herborise depuis cinq générations. Le jardin conservatoire de Gaujacq est désormais sous la gestion de leur descendant, Jean Thoby, Expert international du camélia, depuis 1986. Ce lieu est une sorte de bibliothèque botanique en plein air où l’on peut consulter non pas des ouvrages, mais des camélias qui s’offrent au regard dans leurs plus beaux atours. Créé par Jean Thoby en 1986, il est ouvert au public depuis 1993.
L’histoire qui lie le camélia et Chanel remonterait à 1913, lorsque Gabrielle Chanel épingla pour la première fois un camélia blanc à sa ceinture. Le graphisme épuré de cette fleur a séduit la couturière en devenir qui ouvrait la même année une boutique à Deauville. Le camélia fut d’abord utilisé comme accessoire avant d’entrer dans la composition des élixirs de beauté.
Une fleur venue d’Asie
C’est en 1998, que la Maison Chanel a initié une collaboration avec l’expert international du camélia Jean Thoby. L’air du sud-ouest convient bien à cette plante originaire d’Asie, arrivée en France par la route du thé au XVIIe siècle. « Les camélias ont été introduits en Europe, en Norvège, autour de 1720-1730, explique Jean Thoby. Les Camélia Japonica ont été introduits en Grande Bretagne entre 1735-38 et en France, les premières cultures datent de 1790 -1810. On a la preuve que, dès le 16e siècle, des navigateurs portugais en avaient rapporté de leurs voyages, mais la fleur était peu connue car ils s’en servaient comme ornementation de jardin. »
Il faut avoir arpenté les allées du jardin conservatoire en mars, un jour de pluie, pour saisir la beauté de cette fleur aux multiples propriétés. Mais la découverte se mérite : pour affronter l’averse, on nous prête un parapluie et une paire de bottes en caoutchouc griffés Chanel. C’est sur un ciel gris que les couleurs vives du camélia ressortent le mieux. Cette fleur a l’élégance de fleurir en hiver, tandis que toutes les autres attendent au moins le printemps.
Au fil de la promenade, on découvre de multiples variétés : des camélias rouges, violets, bicolores, fuchsia, des fleurs aux pétales foisonnants tandis que d’autres sont plus réservés. Certains peuvent même monter jusqu’à plusieurs mètres de haut. On croise un Camellia reticulata, une version rose et blanche en voie de disparition et un Camellia sinensis, la plante à l’origine du thé, qui éclot de septembre à janvier. Au fil de la visite on apprend qu’un camélia peut vivre plus de 1000 ans. « Seulement s’il se trouve dans un environnement favorable, comme s’il était en forêt à l’autre bout du monde d’où il provient, avec des grands, des moyens et des petits arbres qui seront leur compagnons », relève Jean Thoby.
Lorsqu’on demande à Jean Thoby d’expliquer la variété des couleurs des camélias, la réponse ne se fait pas attendre. « Une plante sauvage s’adapte aux conditions climatiques dans lesquelles elle se retrouve. En observant sa forme et sa couleur on devrait comprendre où la placer dans jardin. Un feuillage gris argent, par exemple, indique qu’il s’agit d’une plante qui s’est adaptée à un climat chaud et sec, en plein soleil et avec peu d’eau. Des feuillages pourpres très foncés relèvent d’une adaptation à un climat en plein soleil et humide. Beaucoup de bananiers ont des nervures rouges, par exemple. Les végétaux aux teintes panachées se sont adaptés à un manque de lumière par rapport à la plante d’origine. La couleur dépend de la chimie du sol, de l’adaptation à un milieu et quel l’insecte la plante doit attirer ». Il n’y a pas de lien entre la couleur et le parfum en revanche.
« La majorité des camélias fleurit en hiver, poursuit l’expert, mais certains s’épanouissent de mai jusqu’à octobre. C’est une plante très résiliente, une force de la nature : ni l’eau, ni le froid ne peuvent nuire à ses pétales ». Parmi toutes ces plantes, Jean Thoby dévoile deux pieds issus des plants mères qui auraient été commandés par Gabrielle Chanel il y a plus d’un siècle. Ceux-ci ont été le point de départ de la mise en place des cultures de Chanel à la Ferme aux camélias, située à quelques kilomètres de ce jardin enchanteur.
La Ferme aux camélias, un laboratoire de recherche à ciel ouvert
C’est ici que Chanel a choisi de cultiver le camélia selon les principes de l‘agroécologie et de l’agroforesterie, La ferme, qui s’étend sur 70 hectares, permet à la Maison d’effectuer des recherches scientifiques dans un laboratoire de phyto-analyse situé dans l’un des bâtiments.
«En 1998, nous avons commencé une collaboration avec la Recherche de Chanel afin de réaliser des expérimentations, des prélèvements, des mises en plantation, explique Jean Thoby. A la suite de nombreux échanges avec le laboratoire de phytochimie, nous sommes parvenus en 2009 à mener une première culture du Camellia japonica ‘Alba Plena’. Sans ce projet, ce camélia blanc, qui n’est plus cultivé qu’à Gaujacq, aurait pu disparaître. »
Les pratiques agricoles utilisées sur l’ensemble de l’exploitation, préservent l’écosystème naturel et réduisent au minimum la pression sur l’environnement. « À la Ferme, 2 700 plants de Camellia japonica ‘Alba Plena’ et plus de 10000 plants de ‘Camelia oleifera’ sont cultivés en pleine terre, selon des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, sans aucun intrant chimique, explique Philippe Grandry, Chef d’exploitation des cultures de Chanel à la Ferme. Une culture expérimentale conduite en agroécologie et en agroforesterie a été mise en place. Elle a pour vocation d’enrichir les sols, afin de renforcer l’écosystème entre la plante, la terre et l’eau, tout en augmentant la résistance des plants face aux maladies. Ici, tout est naturel, en harmonie avec la nature. Nous l’accompagnons, nous ne cherchons pas à la dompter»,
Il en va de même pour la récolte, entièrement artisanale. Les fleurs cultivées sur les parcelles de la Ferme aux camélias, sont cueillies à la main, bien après la rosée du matin, dans un geste de torsion pour les détacher de la tige. Chaque pied porte en moyenne entre 800 et 1000 fleurs. Elles sont déposées délicatement dans un panier puis elles sont pesées et congelées avant d’être envoyées au laboratoire de recherche avancée de Chanel, situé à Pantin. Seront ainsi extraites les différentes matières premières qui entrent dans la formule de ses cosmétiques, que ce soit la gamme No1 ou la ligne Hydra Beauty. Grâce à ce projet, Chanel est garant des conditions de production de ses précieux camélias.
Mais avant de se retrouver dans une formule cosmétique, les fleurs passent par une étape cruciale : le laboratoire de phyto-analyse, situé au cœur de la ferme. C’est ici que sont analysées les différentes variétés afin de découvrir de nouvelles molécules qui viendront enrichir les lignes cosmétiques Chanel. Parce qu’il est situé au plus près des cultures, le temps entre la récolte et l’étude ainsi que l’impact environnemental sont réduits. En étudiant les cycles de vie des plantes, leur évolution au cours de l’année et la saisonnalité, le laboratoire s’engage à trouver les meilleurs compromis entre le respect de leur physiologie et le moment où leur concentration en molécules d’intérêt est la plus haute.
Un laboratoire dirigé par un chasseur de trésors
Le laboratoire de Gaujacq est dirigé par Nicola Fuzzati, Directeur Innovation et Développement Ingrédients Cosmétiques chez Chanel. Ce scientifique est un chasseur de trésors. Spécialiste de la phytochimie, il parcourt le monde en quête des plantes les plus intéressantes afin de les analyser et d’en extraire les actifs naturels les plus efficaces. « Nous sommes au plus près des plantes, souligne Nicola Fuzzati. Les actifs qui sont développés ici, seront produits en interne dans les laboratoires Chanel de Pantin ou avec des partenaires. »
Pour le phytochimiste, « chaque variété de camélia va porter en elle une molécule que l’autre n’aura pas. La couleur rouge par exemple est liée aux antioxydants ».
Pour découvrir les vertus d’un camélia, les chimistes en analysent les molécules grâce à plusieurs techniques dont la chromatographie. « Par exemple, le Camélia Japonica Mathotiana rubra (de couleur rouge, ndlr) est très riche en saponine. Si l’on souhaite obtenir un produit qui mousse, on travaillera avec cette fleur. La couleur des camélias rouges vient des anthocyanes (des colorants naturels rouges ou bleus, ndlr) qui agissent sur la fragilité des capillaires et qui sont utilisés en pharmaceutique. Le camélia noir en a une grosse concentration. Si je veux un produit pour atténuer les cernes et favoriser la circulation, je prendrai donc du camélia noir. La couleur jaune n’a pas d’antocyane mais des flavonoïdes, qui sont des antioxydants. Le Camellia japonica ‘Alba Plena’ est riche en polyphénols avec des propriétés antioxydantes et hydratantes, que l’on utilise dans la gamme Hydra Beauty. Et le camélia rouge est riche en acide protocatéchique qui a des propriétés antioxydantes et anti-âge que l’on utilise dans la gamme No 1. Nous utilisons les molécules qui nous intéressent en fonction des produits», explique Nicola Fuzzati.
Le scientifique n’entend pas s’arrêter là. «Quand on ouvre le fruit du camélia, on trouve des graines. Si l’on en ôte l’amande et qu’on la presse, on obtient de l’huile de camélia utilisée depuis des siècles en Asie. Dans une démarche d’économie circulaire, l’entièreté du camélia est utilisé chez Chanel: « Nous ne jetons pas les coques du Camelia oleifera mais nous les utilisons dans les capots de la crème No 1, souligne le scientifique. Et aussi son microbiome. A partir des feuilles des camélias, on peut isoler une levure que l’on fait fermenter afin d’obtenir un ingrédient propre à protéger la barrière de la peau. Il est tellement puissant qu’il est utilisé dans de nombreux produits Chanel, y compris dans la ligne Sublimage », souligne Nicola Fuzzati.
«Les camélias ont la caractéristique de ne pas avoir de programme de sénescence, souligne Jean Thoby. Génétiquement, ils ne sont pas programmés pour mourir. Donc plus le temps passe et plus la plante est belle et forte.» Une caractéristique qui ne manque pas de fasciner les équipes de beauté Chanel et de laisser entrevoir de multiples possibilités.