Quand le meilleur ami de l’homme donne l’heure

Avec ses montres Métiers d’art Arceau Jour de casting, Hermès met à l’honneur le meilleur ami de l’homme. Trois chiens, trois cadrans, pour une série de 24 pièces. Afin de réaliser cet amusant bestiaire, Hermès a fait appel à plusieurs artisans pratiquant différents métiers d’art: la marqueterie de bois, la gravure, la peinture miniature, l’émail cloisonné et l’émail miniature. Pour comprendre la complexité de ces pièces, une visite dans les ateliers d’émail Miniare s’imposait. Isabelle Cerboneschi

Hermes Arceau Jour de casting, Taco, copyright Anita Schlaefli

Il s’agit sans doute des montres les plus irrésistibles qu’il m’ait été donné de découvrir cette année. La collection Arceau Jour de casting d’Hermès, une série limitée de 24 pièces, dévoile trois adorables toutous parés de leurs plus beaux atours, prêts pour passer l’épreuve d’un concours canin. Les cadrans s’inspirent du carré de soie éponyme dessiné par l’artiste Liz Stirling. Comment résister à tant de mignonnerie…

Commençons par faire les présentations. Pour commencer, voici le chien Orson, au pelage noir et blanc, réalisé en marqueterie de bois peinte. Au total, huit essences de bois différentes ont été utilisées pour réaliser ce puzzle précieux. Ensuite il y a Amy, définitivement le plus fashion. Avec ses lunettes psychédéliques, il a pris forme dans l’atelier d’un graveur, puis d’un peintre qui lui a donné ses couleurs. Enfin il y a Taco qui nous regarde droit dans les yeux avec son regard brun-bleu comme pour dire: « votez pour moi ».

Les cadrans de la série Arceau Jour de casting s’inspirent du carré de soie éponyme dessiné par l’artiste Liz Stirling ©Hermès

L’appel fut entendu. Direction les coulisses afin de découvrir comment ce petit animal en émail cloisonné et miniature est né dans l’atelier Miniare à Nyon, cofondé par l’émailleuse Debora Martinez avec son compagnon Francisco Morales.

Détentrice d’un Master en art visuel qu’elle a décroché en Espagne, elle fut la dernière artisane à avoir été formée dans l’atelier de Dominique Baron, la grande émailleuse d’art et peintre miniaturiste, avant de parfaire sa formation chez Blandenier pendant trois ans.

L’atelier compte comme clients quelques grands noms de l’horlogerie. « N’ayant pas eu de maître qui me transmette directement toute la maîtrise de l’émail, j’ai pu développer cet art à ma manière, en faisant essais sur essais, souligne-t-elle. Même si les règles de ce métier ont été établies il y a des centaines d’années, notre génération, qui approche de la trentaine, a une vision de ce métier plus expérimentale, plus audacieuse. Nous pouvons nous permettre de casser quelques codes ».

Arceau Jour de casting, Amy, copyright Anita Schlaefli

Très vite Hermès lui a proposé des projets et l’un d’eux, c’est le cadran arborant le portrait du chien Taco, avec son regard doux ourlé d’or, ses poils moins bien dressés que lui, sa truffe luisante, son collier rouge, sans oublier son os en cuir signé Hermès.

Une fois qu’un motif a été choisi par Philippe Delhotal, le directeur de la création d’Hermès Horloger, pour orner une montre Métier d’Art, il importe de lui donner le plus de relief possible, tout en respectant une hauteur maximum qui permette aux aiguilles de tourner. « Le dessin va définir les techniques, explique Philippe Delhotal. Il s’agit d’apporter au motif autant de relief, de profondeur, de vie que ce que l’on peut voir sur le dessin de la soie. C’est pour cela que nous avons décidé de faire appel à plusieurs techniques pour ce modèle: l’émail grand feu, la peinture miniature en émail sous fondant, le cloisonné et le champlevé ». Sans oublier une petite pièce rapportée qui a été soigneusement réalisée dans les ateliers cuir d’Hermès: l’os de Taco.

Arceau Jour de casting, Orson, copyright Anita Schlaefli

Pour bien faire comprendre toute la complexité de la pièce, le jour de notre visite, Debora réalise quelques étapes en direct. Elle dépose un cadran neutre sous le binoculaire afin de poser l’émail bleu-gris qui forme le fond. On aperçoit la forme du petit os en champlevé. La matière qu’elle utilise est de l’émail en grains qui a été concassé et pilé jusqu’à devenir une poudre qu’elle a mélangée avec de l’eau distillée. Ensuite elle vient déposer la matière sur le cadran à l’aide d’un pinceau en essayant de la répartir au mieux.

Quand on regarde à travers le binoculaire, on discerne les grains. « Cette première partie est complexe car on doit obtenir un aplat parfait. Il faut gérer l’eau, le mouvement, la quantité de pigment, c’est un peu mystérieux: à travers le binoculaire, on voit juste des grains qui se baladent et c’est le mouvement de mon pinceau qui va essayer de les étirer de les aplatir. Si je devais en mettre trop, cela pourrait créer des bosses », explique l’émailleuse. Le cadran passe au four entre 700 et 800 degrés et tous les grains se fondent ensemble. Il faut réitérer l’exercice deux ou trois fois avant de polir cette base sur laquelle il reste à peindre l’espiègle petit chien.

Pour peindre l’extrémité d’un poil du chien, l’artiste utilise un pinceau qui n’a que 6 poils Photo: David Marchon

Pour réaliser la deuxième étape du cadran, le portrait de Taco, Debora Martinez a utilisé la technique de l’émail miniature, soit de la poudre d’émail très fine qu’elle mélange à de l’huile. « Comme nous devons respecter les couleurs du dessin d’origine, nous avons dû faire énormément de recherche en amont, mélanger des teintes différentes pour obtenir le résultat souhaité », explique-t-elle. L’artiste dévoile alors quelques petits carnets sur lesquels des touches de couleurs sont assorties de formules. Ce sont les recettes secrètes de certaines teintes.

Il faut avoir regardé le cadran à la loupe pour bien saisir à quel point cette pièce est une gageure: chaque poil du chien, aussi fin soit-il, y est représenté. « Seule la technique de la peinture miniature émail nous permet de parvenir à une telle finesse de rendu », explique l’émailleuse. Les pinceaux qu’elle utilise sont beaucoup plus fins que ceux avec lesquels elle a réalisé l’aplat bleu-gris du cadran. Contrairement à l’émail à l’eau, les grains ne s’étalent pas: ils sont compacts et restent sur place. « C’est la particularité de la miniature: c’est comme de la peinture à l’huile dont la structure serait faite de micro grains d’émail», explique-t-elle. Et comme liant, Debora Martinez utilise de l’huile de santal, de lavande, de lys ou de girofle.

Le rouge du collier, qui est une couleur très complexe, se pose à la fin Photo: David Marchon

On arrive à ce moment crucial où l’artiste doit peindre l’extrémité d’un poil du chien. Pour ce faire, elle utilise un pinceau qui n’a que 6 poils. « Ce qui est intéressant, avec la peinture miniature, c’est qu’elle ne sèche pas. On peut pousser un peu les grains et réaliser des motifs très légèrement en relief, un peu comme une micro sculpture. C’est une manière de peindre différente », poursuit-elle. Le rouge du collier, qui est une couleur très complexe, se pose à la fin. «C’est une couleur tendre qui se liquéfie et à chaque cuisson elle va avoir tendance à remonter sur les bords».

Les petits fils d’or du cloisonné qui définissent les yeux, la truffe, la langue, l’os et le collier de Taco, sont collés sur le cadran avec une colle à la gomme arabique. Certains font 0,05 micron d’épaisseur. La jonction avec le l’émail du cadran se réalise pendant la vitrification au four. Sachant que l’or fond à 1000 degrés, la chaleur ne doit pas dépasser les 700-800 degrés.

Les petits fils d’or du cloisonné qui définissent les yeux, la truffe, la langue, l’os et le collier de Taco, sont collés sur le cadran avec une colle à la gomme arabique Photo: David Marchon

Une fois que le cloisonné est posé et la miniature terminée, il s’agit de mettre le fondant, soit un l’émail translucide appliqué avec de l’eau qui vient créer une espèce de vitre protectrice sur l’image. La pièce est de nouveau cuite entre 700 et 800 degrés. « L’une des difficultés de cette étape réside dans le fait que les couches qui sont sous le fondant peuvent bouger à la chaleur », relève Debora Martinez. Et quand on sait que le cadran a nécessité entre 20 et 30 passages au four, on imagine les sueurs froides ressenties par toute l’équipe. « Quand on met le fondant, c’est un grand passage: cela veut dire que la pièce est finie et que l’on ne peut plus revenir en arrière. Il y a un moment où la pièce ne nous appartient plus», souligne-t-elle.

Reste encore un détail mais qui a son importance: la pose du petit os de cuir orange signé Hermès avec ses mini surpiqûres peintes en blanc dans l’espace qui lui est dévolu. Réalisé dans les ateliers Hermès, il est collé dessous et sur la tranche avec la même matière utilisée pour la marqueterie de cuir, un savoir-faire que maîtrise la Maison depuis 2017.

Le petit os de cuir orange signé Hermès avec ses mini surpiqûres peintes en blanc est placé dans l’espace qui lui est dévolu Photo: David Marchon

« Tout ce que vous avez vu, c’est le résultat d’heures de réflexion avant de passer à la réalisation. Nous avons dû effectuer de nombreux tests pour obtenir le rose de la langue, les effets dorés du collier du chien, ses yeux gris-bruns, le collier rouge. Les rapports de proportion sont notés dans nos carnets mais c’est l’œil finalement qui est le meilleur juge. Quand on arrive à la fin, c’est une célébration», explique Debora Martinez.Une fois terminé, le cadran est ensuite envoyé à Bienne dans l’atelier dédié aux métiers d’art où travaillent deux horlogers qui vont pouvoir réaliser l’emboîtage. La pièce passe encore en d’autres mains et jusqu’à la fin, il restera toujours une part de risque. « Depuis le premier coup de pinceau, tout le processus est une suite ininterrompue de risques», relève l’artiste.

« La montre Arceau Jour de casting exprime toute l’espièglerie du monde animal grâce à des techniques exceptionnelles : la peinture miniature, la marqueterie de bois et l’émail. Les trois chiens malicieux et toilettés qui prennent la pose au centre du cadran s’inspirent des chiens de certains employés d’Hermès. Ils portent d’ailleurs leurs noms : Orson, Amy et Taco », révèle Philippe Delhotal.  Ce garde-temps est bien plus qu’un exercice de style autour des métiers d’art: sur un petit espace, il réunit tout l’esprit, le savoir-faire et toute la fantasmagorie d’Hermès.