« Je n’aurais pas envie de grandir, si grandir c’est ne plus croire en ses rêves ».
Le Chef Danny Khezzar possède une trajectoire unique: il est passé de la banlieue parisienne, où il a grandi, au Ritz, à l’émission TOP CHEF, puis aux cuisines du Bayview à Genève, un restaurant doté d’une étoile Michelin dont il tient les rênes. Il possède également un restaurant à Paris, un bistrot – Monsieur Claude – qui vient d’être inauguré à Rueil-Malmaison et il va ouvrir un hôtel 5 étoiles à Courchevel. Il fait partie d’un groupe de rap et ses multiples talents l’ont conduit à devenir l’un des ambassadeurs pour la Suisse de Bvlgari. Rencontre. Isabelle Cerboneschi.
Danny Khezzar, le chef du Bayview, le restaurant étoilé du Président Wilson à Genève.
La trajectoire de Danny Khezzar a ceci de passionnant qu’elle défie les règles de la probabilité. Quelles chances avait un jeune homme de 29 ans né dans la banlieue parisienne de devenir le chef du restaurant étoilé d’un palace à Genève? Si Danny Khezzar doit sa passion de la cuisine à son grand-père, qui était cuisinier, son destin, c’est à sa seule volonté qu’il la doit.
Il faut sacrément du courage quand on est encore un ado, pour décider d’enfiler un jogging par-dessus son costume d’étudiant à l’école hôtelière Jean-Drouant, dans le 17e arrondissement, sans rien dire à ses potes de la cité. Et tout autant de courage pour dissimuler ses origines banlieusardes à ses profs, rentrer la nuit en vélo, dormir 3 ou 4 heures et repartir en sens inverse pour aller décrocher son diplôme à Paris. Il faut du cran pour participer à l’émission TOP CHEF jusqu’en finale et dévoiler son double jeu à tous ses proches. Il faut du talent pour être choisi par le Chef Michel Roth et devenir l’un des plus jeunes chefs étoilés au Bayview du Président Wilson à Genève. Il faut une vision pour ouvrir deux restaurants à Paris. Il faut une ambition et une capacité de se projeter phénoménales pour décider de créer un palace à Courchevel, un projet mené en famille et avec des amis. Tout cela sans laisser tomber son autre passion, la musique: il écrit les chansons de son groupe de rap Les Frères Bizzy.
Restaurant le Bayview du Président Wilson à Genève, avec vue sur le Léman. Image: Matthew Shaw Photography
Danny Khezzar mène plusieurs vies de front. Il avoue qu’il dort peu, « 4 heures par nuit ». Mais des nuits courtes n’expliquent pas le talent. Le cuisinier surdoué de 29 ans possède une manière de créer des plats uniques. Déjà il y a l’aspect. Ses plats sont beaux comme des œuvres d’art miniatures à déguster. Il nous raconte des histoires qui relèvent souvent de ses souvenirs. Il sait rendre une émotion, non pas avec des mots mais avec des saveurs, des couleurs, des textures. Ses mets nous touchent, au point de réveiller parfois notre propre mémoire.
Sa cuisine est comme un labyrinthe, ou une énigme que l’on essaie de déchiffrer à chaque bouchée: après la phase émotion, vient la phase analyse. Quel est ce goût: est-ce vraiment sucré comme on le croit ou est-ce un trompe-bouche? Et ce petit effet piquant, d’où provient-il? Et cette texture moelleuse difficile à définir, entre la chantilly et autre chose, qu’est-ce que c’est? Le Bayview est l’un des seuls restaurants gastronomiques où l’on peut déjeuner seul, parce que l‘on n’est pas seul justement: on est en bonne compagnie, avec l’histoire que Danny Khezzar a choisi de nous raconter et que l’on découvre au fil des plats.
Je l’ai rencontré lors d’une visite au Sentier, dans les ateliers Bvlgari, dont il est ambassadeur montres pour la Suisse. Après avoir découvert tous les composants du modèle qu’il portait au poignet, une Octo Finissimo Skeleton 8 Days en titane, Danny Khezzar s’est mis à l’établi et a découvert à quel point polir un pont de tourbillon ou poser un organe réglant est complexe. A chacun son savoir-faire…
INTERVIEW
Vous avez commencé la cuisine à l’âge de 15 ans: est-ce que vous avez toujours rêvé d’être cuisinier ?
Danny Khezzar: Cette envie m’est venue quand j’étais tout petit. Je disais à mes parents que je voulais devenir un grand chef quand je serai grand (rires). J’étais souvent en cuisine avec mon grand-père qui était cuisinier. C’est lui qui m’a transmis la fibre. J’aimais cuisiner parce que c’était un moment de partage en famille. Faire plaisir à mes proches, c’est ce qui me plaisait le plus.
Quel goût avait votre enfance?
Mon enfance fut douce. Même si j’ai grandi en banlieue parisienne, à Rosny-sous-Bois, dans le 93, en Seine-Saint-Denis, j’ai eu la chance de grandir avec toute ma famille, d’avoir plein d’amis, de profiter de cette jeunesse où j’étais déjà partagé entre l’amour de la musique et de la cuisine, où j’évoluais entre une l’ambiance très stricte à la maison et un monde plus urbain au dehors. C’était un beau mélange.
Vos origines aussi sont un beau mélange.
Mon père est d’origine algérienne et ma mère italienne: ma vie est faite de mélanges. C’est ce qui m’a construit et m’a donné un caractère atypique aussi.
Est-ce que cette double origine a eu une influence sur vos choix culinaires?
Cela permet de développer un palais plus large. Mes parents adoraient faire le marché et achetaient des produits locaux mais ce sont surtout les épices et les condiments qui ont ajouté une touche différente. De temps en temps, mon père faisait le tajine. Ce sont des souvenirs d’enfance que je revisite en gastronomie. J’étais curieux de tout. Mon père adorait les abats et il me les a fait découvrir quand j’étais très jeune. C’est compliqué de manger de la tête de veau, des rognons ou des tripes, quand on est un enfant.
Est-ce parce que vous avez été familiarisé très jeunes avec les épices que vous rajoutez des petites notes pimentées de manière subtile dans votre cuisine?
Les piments, quand on sait bien les utiliser, apportent beaucoup de fraîcheur. Ma cuisine est un mélange entre la sucrosité bien pensée, la salinité et ces notes de fraîcheur qu’on peut obtenir avec de l’amertume, ce côté pimenté et différents condiments. J’adore la fermentation aussi et j’en utilise beaucoup. Cela permet d’apporter des notes complexes aux choses très simples.
Quand on grandit en banlieue, la cuisine n’est pas le métier auquel on pense forcément en premier. Avez-vous été confronté à des réticences de la part de vos amis, de votre famille?
Il n’y a pas eu de réticence parce que pendant des années j’ai caché à mes amis que j’étudiais la cuisine à l’école hôtelière Jean-Drouant. Il fallait entrer en classe en costume or je ne pouvais pas partir de mon quartier habillé comme cela: du coup j’enfilais un jogging par-dessus, que j’ôtais quand j’arrivais devant l’école. C’est seulement quand j’ai participé à l’émission TOP CHEF que mes amis ont découvert que j’étais cuisinier et que je vivais une double vie. Tout le monde savait que je faisais du rap, mais personne ne connaissait cette autre passion. Mes amis pensaient que je n’étais même pas capable de cuire des pâtes alors que j’étais déjà sous-chef dans un étoilé Michelin. Cela les a beaucoup surpris, mais ils l’ont vraiment bien pris: ils étaient ultra fiers. Cette émission m’a permis d’être pleinement moi-même.
Et comment cela se passait-il du côté des cuisines?
Je ne voulais pas que le chef tombe dans les clichés et me perçoive comme un banlieusard qui fait du rap et qui n’a pas d’avenir dans la gastronomie, donc je cachais qui j’étais. Quand je mettais la toque, il ne restait aucun signe de la banlieue. C’était juste très compliqué le soir quand on finissait vers 1h du matin et qu’il n’y avait plus de transport en commun pour rentrer chez moi. J’ai traversé des moments très durs. Parfois j’ai dû rentrer en vélo et j’arrivais à 2h du matin. Je faisais une sieste de 3 ou 4 heures et je devais retourner à Paris pour être à sept heures en cuisine. C’était une vie compliquée mais je la cachais pour éviter les a priori.
Quand a eu lieu le moment de bascule où vous avez compris que vous alliez faire de la cuisine votre métier?
Pour fêter l’anniversaire de mes 15 ans, mes parents m’ont offert un brunch au Ritz. C’était magnifique! Le Chef Michel Roth était en salle et mon père m’a poussé à aller me présenter. Il a été super gentil, il nous a fait visiter les cuisines, il m’a donné sa carte et c’est comme cela que tout a commencé. J’ai fait mon stage là-bas, dans ce palace parisien avec deux étoiles Michelin.
Surprise croquante, espuma vanille brûlée, airelles confites: un dessert comme une œuvre d’art, signée Danny Khezzar.
Chacun de vos plats est une mise en scène qui nous entraîne dans un univers enchanteur: certains sont comme des sculptures, d’autres des dessins d’enfants. Est-ce une manière de raconter des histoires ou peut-être votre histoire avec des mets plutôt qu’avec des mots?
Quand je crée, je pars d’une histoire que j’ai envie de raconter. Je souhaite offrir une part de moi dans les assiettes et comme on a la chance de concevoir des menus avec plusieurs assiettes, on peut raconter une histoire. J’adore ce moment de rencontre, lorsqu’un plat, que j’ai créé autour de l’un de mes souvenirs d’enfance, réveille aussi un souvenir chez une personne qui est en train de le déguster. Sans même parler. C’est la magie de notre métier. C’est ce qui me pousse à être toujours plus créatif.
Justement, en goûtant votre plat Le Saut de l’Ange, une émotion m’a envahie: elle était associée à un souvenir de mon enfance, dans un champ de narcisses, aux Pléiades. A quelle mémoire ce plat fait-il référence?
Ce plat évoque le jour où j’ai découvert la montagne et la neige. Nous étions partis en classe de neige avec l’école et ma première envie, c’était de me jeter dedans, en toute innocence. J’ai trouvé que cela avait du sens de débuter ainsi un menu durant lequel j’ai envie d’inviter les gens à lâcher, à se jeter comme un enfant dans la neige. Je trouve cela très poétique et ludique à la fois. Ce plat me ressemble. Nous avons beaucoup travaillé pour arriver à créer ce petit bonhomme dans cette forme, avec ce goût et cette texture assez souple.
Le Saut de l’Ange, lit de betterave saupoudré de pétales de jasmin, tofu crémeux de petits pois ©Isabelle Cerboneschi
Quel est le point de départ d’une recette?
Mes dessins. Je dessine mes plats au crayon après avoir choisi l’histoire que je veux raconter. Par exemple, j’ai envie de partir sur « le meilleur du meilleur ». Or que représente pour moi « le meilleur du meilleur » ? Cela peut être la persillade de l’escargot, par exemple, ou le fond du plat de tomates au four avec ses sucs qui ont accroché. Je pars de ce sentiment du meilleur du meilleur, puis je dessine ce qui me passe par la tête et après on commence à créer.
Au tout début du menu on reçoit un plat qui est comme un paysage champêtre avec un arbre miniature auquel est accroché ce qui ressemble à une cerise. Qu’est-ce qui serait « le meilleur du meilleur » dans ce plat?
C’est le plat avec lequel commence le menu et pour moi, les débuts, c’est le jardin d’Eden, avec la pomme rouge accrochée à l’arbre et l’herbe en dessous. Sauf qu’au lieu de faire une pomme, comme nous étions en plein pendant la floraison des fleurs de cerisiers, j’ai choisi une cerise. Je l’ai travaillée avec du thé sencha, qui apporte beaucoup de fraîcheur, et des feuilles de Sakura sous toutes leurs formes: en gelée pour apporter du frais et de l’acidité et en mousse légère, qui pourrait faire penser à une chantilly. L’enrobage est en beurre de cacao qui apporte un petit peu de gras et donne le sentiment de quelque chose de sucré, alors qu’il n’y a pas de sucre dans ce plat. C’est le subconscient qui nous fait croire que c’est sucré avec le beurre de cacao que l’on retrouve dans les chocolats et avec cette mousse, qui fait penser à de la chantilly. Il y a aussi un peu de fleur de sel.
Tuile de pomme de terre façon gratin dauphinois, mini tacos d’omble chevalier, cerise en trompe-l’œil à la gelée de sakura ©Isabelle Cerboneschi
Est-ce que vous appliquez les mêmes principes lorsque vous créez les titres des chansons du groupe Les Frères Bizzy?
Oui, mais sans m’en être rendu compte tout de suite. Quand on crée de la musique, on part aussi d’une feuille blanche et on compose comme si on avait tous les aliments devant soi, sauf qu’il s’agit d’instruments. On part d’un thème, on appelle ça des toplines et l’on vient laisser la mélodie se faire toute seule, sans ajouter de mots. Après seulement on crée les textes. Il y a un vrai parallèle entre ces deux arts. D’ailleurs, il y a plein de mots de la musique que l’on retrouve dans la cuisine: on parle d’un piano, quand on arrose une viande on dit qu’elle chante, il y a un rythme dans la cuisine, aussi.
Votre studio d’enregistrement est situé dans un garage à Gaillard, votre cuisine est au Président Wilson, c’est un sacré grand-écart!
C’est toute l’histoire de ma vie: passer d’un sous-sol en banlieue à un palace au bord du lac. Je me sens bien dans ces deux univers. C’est le mélange de ma vie.
Croyez-vous en la magie?
Oui. Il faut continuer à croire à la magie, comme le fait un enfant. Il faut garder cet état d’esprit le plus longtemps possible. Je n’aurais pas envie de grandir, si grandir c’est ne plus croire en ses rêves.
Quel est le moment le plus fort que vous ayez vécu en cuisine?
Il y a eu plein de temps forts! Peut-être le fait d’avoir cuisiné à quatre main avec la Cheffe Hélène Darroze, qui a 3 étoiles? Je ne pensais pas que cela m’arriverait un jour, de partager ma cuisine avec une personne de ce niveau-là. Il y a aussi la première fois que j’ai été nommé au Bayview, le jour où l’on a reçu l’étoile. Plus jeune, la première fois que j’ai mis les pieds en tant que cuisinier au Ritz, à l’Espadon, deux étoiles Michelin. Il y a plein de temps forts qui marquent une carrière et ce n’est pas fini (rires)!
Quel plat vous procure le plus d’émotions?
Je dirais que c’est le gratin dauphinois. J’avais fait un gratin dauphinois classique avec juste une note de champagne dans la sauce pour donner de la fraîcheur et de la vélocité et j’avais créé une tuile en transparence qui reprenait le goût du gratin dauphinois par-dessus. Or cette tuile-là m’a beaucoup marqué au point que j’ai décidé de la détacher de ce plat pour en faire un moment unique. C’est devenu une tuile signature que les gens aiment beaucoup parce qu’elle est surprenante.
En effet, votre tuile a le goût du gratin dauphinois alors qu’elle ressemble à une feuille de caramel.
Elle a une sorte de magie: elle est transparente, ultra fine et à la fois on a un plat très très gourmand, gras, rond en bouche. Cette tuile m’a donné beaucoup d’émotion parce que j’étais très fier d’arriver à réaliser l’idée que j’avais en-tête. J’ai retrouvé le goût du gratin de ma grand-mère dans cette petite tuile. C’était un exploit. Avec les équipes, nous étions super contents. Quand je leur avais dit qu’on allait faire un gratin dauphinois en transparence, ils m’avaient regardé avec des gros yeux, comme si c’était impossible (rires).
Cappuccino en trompe l’œil, purée de pomme de terre Charlotte et morille fraîche, chapelure de pain et croissant de pomme de terre ©Isabelle Cerboneschi
Votre croissant de pomme de terre est une autre création signature. D’où vient-il?
Il a marqué les esprits pendant l’émission de TOP CHEF et m’a fait gagner une énorme audience sur les réseaux sociaux. C’était en plein pendant la mode des trompe-l’œil, mais ce que je n’aime pas dans les trompe-l’œil, c’est qu’on choisit la facilité en utilisant des moules. Or ce croissant, on l’a créé de toute pièce! On a repris l’idée des feuilles de la pâte feuilletée que l’on a remplacées par des couches de pomme de terre. Ce croissant a été repris par des centaines de chefs, il a été refait avec d’autres légumes et cela me procure de la fierté parce qu’il est sorti de mon cerveau.
Y-a-t-il des droits d’auteur sur les recettes?
Non et ce serait contre productif parce que la cuisine, c’est quelque chose qui se partage. Il faut savoir donner les recettes, sinon je n’aurais pas pu me permettre de faire ma version du gratin dauphinois: qui l’a inventé? Il ne faut pas garder ses recettes pour soi, au contraire. On crée des plats, on est de passage et ce serait magique si, dans 100 ans, quelqu’un refaisait des croissants de pommes de terre! Il faut laisser vivre les recettes…
Comment avez-vous été choisi pour devenir le Chef du Bayview?
Cela s’est fait naturellement. Cela fait dix ans que je travaille ici et avant TOP CHEF on en parlait déjà un peu avec Michel Roth. Il s’est dit qu’après l’émission j’allais peut-être partir et il m’a conseillé de rester. Je créais déjà les cartes mais je n’avais pas le titre de chef. Il m’a donné ce titre et m’a confié les rênes du restaurant en mai 2023.
Le Chef Danny Khezzar en compagnie du Chef Michel Roth dans les cuisines du Bayview, le restaurant étoilé du Président Wilson à Genève.
Qu’avez-vous ressenti la première fois que l’équipe vous a dit « Oui Chef! »?
(Rires). Je ne veux pas que l’on m’appelle Chef donc l’équipe m’appelle souvent Danny. Ce n’est que pendant le service où je leur demande de la rigueur et que les « Oui Chef! » sortent naturellement, mais je n’ai pas besoin de cela. Ce qui m’intéresse, c’est l’esprit d’équipe: faire en sorte que tout le monde soit soudé et que les informations passent bien. Je suis comme un chef d’orchestre.
Etes-vous en quête d’étoiles?
Oui, c’est un rêve d’enfant. On travaille pour la deuxième et quand on l’aura décrochée, on travaillera pour la troisième. Il y a encore une belle marge de progression. Nous sommes très contents du retour de nos clients et nous espérons que les guides vont nous suivre pour nous pousser à aller plus loin.
Restaurant le Bayview, avec vue sur le Léman. Image: Matthew Shaw Photography
Vous avez une énorme communauté sur les réseaux sociaux: à ce jour 843k de followers très actifs sur Instagram, qui commentent, s’enthousiasment, viennent découvrir votre cuisine au restaurant. Qu’est-ce que cela vous fait?
C’est génial! Je suis passé de l’ombre à la lumière très rapidement. Je fais le même travail qu’avant, sauf que maintenant, il y a plus de monde qui le voit. Je reçois beaucoup de messages positifs et cela me donne envie de continuer à faire ce métier parce que sans reconnaissance c’est compliqué avec tous les sacrifices que cela demande.
Vous avez été choisi pour être l’un des ambassadeurs de Bvlgari pour la Suisse. Qu’est-ce que cela représente à vos yeux?
Le petit Danny qui est né dans la banlieue parisienne ne se serait jamais dit qu’un jour il serait l’égérie d’une grande marque et c’est un honneur. Il y a des parallèles entre l’horlogerie et la gastronomie: la clientèle, l’artisanat, l’hospitalité. Une journée comme aujourd’hui, passée à visiter les ateliers et à rencontrer les artisans qui sont derrière cette grande marque, c’est ce qui me plaît le plus. C’est un peu comme quand je vais visiter nos producteurs: sans eux on ne pourrait pas faire ce que l’on fait jusqu’au bout. Nous sommes le dernier maillon de la chaîne. Je suis très fier d’avoir été choisi par Bvlgari et je pense qu’il y a plein de choses que l’on pourrait co-créer ensemble.
Le Chef étoilé Danny Khezzar, l’un des ambassadeurs montre de Bvlgari pour la Suisse porte une montre Octo Finissimo Skeleton 8 Days en titane
Le temps est un élément essentiel pour un horloger, mais aussi pour un grand cuisinier.
Bien sûr. Sans timing, on ne peut pas cuisiner. On a besoin d’un tempo, d’un rythme pendant les services. A la base les montres étaient faites pour donner l’heure, quelque chose de très simple, or les grandes marques ont créé de grandes complications. Eh bien la gastronomie, c’est un petit peu pareil: à la base, cela sert à se nourrir et on en a fait quelque chose de très complexe.
Y-a-t-il une montre dans la collection qui vous évoque votre cuisine?
J’aime beaucoup celle que je porte, l’Octo Finissimo Skeleton 8 Days en titane. Déjà, il y a cette transparence: on peut voir tous les éléments, la composition qu’ils forment à l’intérieur du boîtier, comme si on avait dressé un plat avec toutes ces petites choses. Ce genre de montre, qui révèle tout le travail réalisé en atelier, me représente beaucoup plus qu’un modèle avec un cadran qui cache le mouvement. D’ailleurs, à la manufacture, on peut voir les artisans avec leurs petites pinces qui sont en train de poser tous les éléments un par un, un peu comme nous lorsque nous dressons les éléments sur nos assiettes – avec les mêmes pinces d’ailleurs – et que l’on compose un plat.
Danny Khezzar à l’établi dans les ateliers de la manufacture Bvlgari au Sentier essaye de monter un organe réglant ©Isabelle Cerboneschi
Quel est le plat qui parle le mieux de vous, qui soit l’expression de tout ce que vous êtes?
J’ai enfin revisité la blanquette de veau de ma mère et c’est un plat qui incarne toute mon enfance: c’était l’un de mes préférés. Je prenais toujours plus de sauce que de riz (rires). Je l’ai refait à ma manière et j’ai réussi à lui donner ma personnalité, tout en gardant ce sentiment de riz en sauce, de viande effilochée.
Et le couscous de votre père?
J’ai du mal à choisir. Il y a tellement de bouts d’histoires dans tous ces plats. Quand j’ai refait le couscous de mon père, c’était un challenge: vous imaginez un couscous dans un restaurant gastronomique! J’avais utilisé une cafetière japonaise et, au lieu de faire le café dedans, on avait fait un bouillon de tajine que l’on faisait infuser devant le client, avec de la citronnelle, du gingembre, de l’origan, etc. On avait choisi un petit agneau d’Appenzell magnifique, on avait utilisé de l’harissa mais très adoucie, des condiments. Il y avait tout l’esprit du couscous dans ce plat, mais en version gastronomique. Les gens avaient adoré et moi aussi.
Quelle est la limite de la création en cuisine?
Je pense qu’il n’y en a pas. La seule limite c’est nous qui la fixons. On a des idées parfois, on va faire 80 essais pour y arriver, mais on ne lâche pas. On a créé par exemple un ballon comestible qui vole, avec un goût qui s’enferme dedans. Je ne l’ai encore jamais sorti car il n’est pas au point, mais on doit avoir déjà réalisé une centaine d’essais. Je sais qu’on y arrivera.
Vous souhaitez que ce ballon comestible s’envole dans le restaurant?
Je veux qu’on puisse le tenir au bout d’une ficelle et que les serveurs se baladent dans le restaurant avec. Un grand chef a réalisé cela en Espagne mais il n’a jamais donné sa recette et du coup on a fait quelque chose de différent: son ballon reste collé sur les lèvres alors que le nôtre disparaît totalement.
Est-ce qu’il y a une recette qui vous résiste pour l’instant?
Ce ballon comestible justement. Mais il y en a tellement d’autres! On lance des projets et tant qu’on n’est pas satisfait du résultat, on ne le présente pas. Et comme on a des idées tous les jours…
Quand vous dites « on » cela veut dire « je »?
Oui (et il éclate de rire).