Une journée à l’école du beau

L’Ecole des Arts Joailliers Van Cleef & Arpels initie les amateurs et les futurs artisans de la joaillerie à différents savoirs. Une journée durant, j’ai appris les techniques du gouaché, cet art qui donne l’illusion de la troisième dimension à un bijou en devenir. Comment osciller entre un état méditatif bienheureux et une profonde déception en voyant son dessin emporté par les eaux. – Isabelle Cerboneschi, Paris. Photographies : Michèle Bloch-Stuckens

Retourner à l’école une journée entière. Un rêve quand on sait qu’il s’agira d’apprendre les bases d’une technique magnifique utilisée dans le monde de la haute joaillerie: le gouaché. En une journée, l’Ecole des Arts Joailliers, à Paris, se propose de nous apprendre à rendre la lumière et la couleur. L’exercice du jour? Un « simple » nœud en or gris, un cabochon et un saphir. En théorie, ça a l’air presque à portée de pinceau. En théorie seulement…

Le gouaché, c’est la première représentation graphique d’un bijou à venir. Une peinture au lavis délicate qui reste propriété de la maison. Certains clients n’hésitent d’ailleurs pas à les faire reproduire par des artistes spécialisés afin de posséder le portrait de la parure qu’ils auront commandée. Ce dessin va servir de document de référence à tous les artisans qui travailleront autour du bijou: un peu comme un plan d’architecte il se doit d’être le plus représentatif possible. La couleur donne les indications sur les matières utilisées – la teinte de l’or, la nature des pierres précieuses, la taille, etc. – tandis que la lumière permet de saisir les volumes de l’objet.

Tout commence par une esquisse. Une fois validée par la maison, elle est passée à la gouache. En général l’artiste à l’origine du dessin réalisera également le gouaché et travaillera sur le projet jusqu’au suivi dans les ateliers. Le bijou est toujours représenté à l’échelle 1/1 et l’on part du principe que la lumière vient de la gauche, à 45 degrés.

Dans la pièce attenante à la salle de cours, des gouachés sous cadre de différentes époques sont accrochés sur les murs. C’est curieux de voir comme les styles et les règles ont évolué avec les époques. Plus on recule dans le temps, et moins le dessin est précis, presque suggéré. Ce qui importait, à l’époque, c’était avant tout le volume général de la pièce. Aujourd’hui, les dessins sont les plus précis possibles afin d’aider l’expert en pierres et le sertisseur à trouver les bonnes gemmes et le juste sertissage.

Si le dessin est réalisé sur du papier calque, le gouaché, lui, est peint sur du papier gris, une couleur neutre. Autrefois on pouvait les peindre sur des supports noirs, verts, marron, ou beiges, mais cela a une incidence sur la teinte du bijou. A l’époque, cela n’avait guère d’importance car le dessinateur travaillait à côté des ateliers, alors qu’aujourd’hui le travail est plus cloisonné.

La leçon de lumière…

Le premier cours sur la lumière, je le découvrirai plus tard, est le plus gratifiant des deux. Guidée par les artistes, je me rapproche d’un résultat tel qu’il devrait être. C’est la lumière qui donne l’illusion de la troisième dimension. Quand on joue avec les ombres et les lumières, on parvient à représenter les volumes. Je comprends vite, et à mes dépends, qu’avec la technique du lavis, le résultat dépend du degré de dilution de la gouache. Elle doit être suffisante mais pas trop. Suffisante car sans cela on fait des aplats de couleur, mais pas trop, sinon on noie le dessin.

Au fil des heures j’oublie le temps, j’oublie l’espace dans lequel je me trouve et les personnes autour de moi, essentiellement concentrée sur ce nœud de papier dont je dois faire ressortir les ombres et les lumières, comme s’il existait, comme si ce n’était pas un dessin mais un objet. Aucune pensée ne me traverse autre que le trempage du pinceau dans le godet d’eau, l’essuyage des poils sur un mouchoir en papier, la saisie de la gouache et l’étalage sur le papier d’un peu de blanc ou de gris de payne qui tire très légèrement sur le bleu. On l’utilise pour ombrer, car le noir est peu heureux, il salit les couleurs.

Tout d’abord il s’agit de placer les ombres au crayon noir, puis au lavis. Il faut constamment essayer de garder l’ampleur du geste, quoi qu’il apparaisse sous le pinceau et éviter les petites redites, les petits traits un peu hésitants. Je découvre qu’il est plus facile de foncer que d’éclaircir et apprends à charger de moins en moins mon pinceau. La lumière se pose en dernier. Le geste a quelque chose de symbolique: on descend vers les sombres pour remonter vers la lumière.

… Et le cours de couleur

La couleur est importante car elle permet de reconnaître les pierres et le métal utilisé. Le devoir du jour: gouacher un cabochon et une pierre taillée. On utilise les couleurs de base, le jaune, le bleu cyan et le rouge magenta pour créer les couleurs secondaires et tertiaire.

Pour le cabochon on utilise une matière translucide, sur lequel on rajoute une couche de lavis outremer, en laissant un trou plus clair. Une goutte de gris de Payne comme un croissant de lune donne l’illusion de la rotondité.

Le cabochon, à la limite, ça va plus ou moins. Le saphir facetté en revanche… Il y a la couche de lavis que l’on découpe comme un gateau au lavis blanc, il y a la pose les ombres, mais tout est trop foncé. Pour éclaircir au lieu de mettre du blanc, il faut rajouter de l’eau. Et c’est à ce moment là que ça dérape, que le dessin se noie, et se transforme en pâté. Un beau gâchis.

Heureusement que les artistes sont des fées déguisées en professeur. D’un coup de pinceau magique, elle rattrapent la catastrophe comme si celle-ci n’avait jamais existé. Et en sauvant mon saphir des eaux, avec le sourire, elles semblent me dire que le gouaché, c’est un métier.

Un spa pour le cerveau
Entretien avec Marie Vallanet-Delhom, Présidente de l’Ecole des Arts Joailliers Van Cleef & Arpels.

I.C : J’ai été très étonnée d’éprouver un état de quasi méditation pendant le cours sur la lumière. Est-ce un état recherché?
Marie Vallanet-Delhom : L’expérience que vous avez ressentie, à la limite du lâcher prise est caractéristique de l’ensemble des cours de savoir-faire, mais on la vit tout particulièrement dans le cours sur le gouaché, dans la mesure où les seuls outils utilisés sont des pinceaux. Vous ne faites pas de bruit, il n’y a pas d’objets électriques, pas de scie qui perturbe le silence. La matière de la gouache est douce, les poils du pinceaux sont doux, le geste est doux, c’est un travail assez méditatif.

On commence le cours avec maladresse, on affine le geste, on fait des pâtés et soudain les derniers coups de pinceau font apparaître l’objet presque comme il faut. C’est gratifiant comme apprentissage du geste.
Tout est conçu pour que ce soit une bulle de sérénité.  Je souhaitais que chaque élève qui nous fait le cadeau de quatre heures ou de huit heures pour suivre un cours, doit vivre quelque chose de particulier. C’est un spa pour le cerveau, cette école.

Créer cette école, c’était prendre un pari sur l’avenir. 
L’école a six ans et nous avons déjà reçu 18’000 élèves! La moitié vient de France et l’autre moitié vient de 38 pays différents. J’ai même découvert un élève qui provenait de Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est la magie du web! Autour des cours, nous avons greffé des conférences, nous commençons à publier des livres, nous mettons sur pied des expositions, et j’ai créé un département de recherches grâce à un docteur en histoire de l’art.

Quels sont les profils des élèves?
Ils sont très disparates : nous avons des élèves entre 17 et 83 ans. Ils viennent du monde entier, avec des vies, des backgrounds complètement différents. Nous recevons aussi certains clients de la joaillerie, mais ils ne sont pas majoritaire. Cette école est un marqueur de la grande curiosité du public pour l’univers du bijou.

Suite aux cours, avez-vous observé la naissance de certaines vocations?
Les ateliers pour les adolescents ont été créés en ce sens: leur faire découvrir les métiers de la joaillerie car on ne leur en parle pas dans les séances d’orientation. Or ce sont beaux métiers dans lesquels on peut s’épanouir, et surtout, il y a de l’emploi. Nous avons aussi des élèves d’une quarantaine d’années, qui ont envie de changer de vie. Ils passent par l’école pour être sûrs de leur nouvelle vocation. Ensuite nous les dirigeons vers des écoles de formation professionnelle. Nous en avons régulièrement.

Quelle est la prochaine étape?
Nous allons ouvrir une école permanente à Hong Kong. Il y a une grande appétence pour la culture en général, en Chine. C’est le bon moment.