Aure Atika, lumière est son prénom
Depuis le début de l’année, l’actrice Aure Atika occupe le petit écran: on peut la voir dans la série Un homme d’honneur produite par TF1, diffusée sur Disney+ depuis le 23 avril et dans le film Voir le Jour Sur Canal+. Dans une longue interview téléphonique, elle parle de son métier qu’elle adore, des tournages en période de crise sanitaire, de son enfance compliquée, de sa manière de traverser notre époque si complexe. Photographies: Michèle Bloch-Stuckens. Interview: Isabelle Cerboneschi
Aure Atika est une actrice difficile à cerner. Sa carrière couvre les 360 degrés d’un cercle englobant tous les genres. Elle a joué dans des comédies blockbuster comme La Vérité Si je mens, OSS 117 Nid d’espion, dans des films d’auteurs, La Faute à Voltaire d’Abdellatif Kechiche, De Battre mon coeur s’est arrêté de Jacques Audiard, dans des pièces de théâtre, dans des téléfilms dont l’excellent Jonas diffusé sur Netflix, ou encore dans des séries comme Un Homme d’Honneur, diffusé sur Disney+ depuis le 23 avril.
Ce que l’on sait moins d’elle c’est qu’elle possède une plume magnifique son premier livre « Mon Ciel et Ma terre », sorti en 2017, a gagné le prix de la Coupole. Elle y raconte d’une plume lumineuse une enfance sombre auprès de sa mère Odette, qui se faisait appeler Ode, une personnalité créative et instable qui n’a pas su, dans ces années très libres, résister à l’appel de la drogue. Quant à son père, il est le grand absent de sa vie: son identité est un mystère.
Dans cet ouvrage, Aure, dont le prénom signifie lumière en hébreu, a dévoilé la part la plus fragile de son être, avec pudeur, mais sans tricher. Certaines scènes sont insoutenables et pourtant l’actrice embrasse cette enfance qui lui a appris la liberté et l’indépendance.
L’actrice s’est construite sur ses manques et ses lignes de forces, envers et contre tout ce que fut sa mère, ne gardant d’elle que le goût des voyages et de la liberté. Elle a rejeté les addictions de toutes sortes, développant une rigueur pouvant frôler la rigidité. Il a fallu qu’elle devienne mère à son tour de sa fille Angelica, âgée de 19 ans, et qu’elle écrive ce livre, pour comprendre à quel point son enfance fut anormale.
Quand elle parle des personnages qu’elle incarne, elle le fait souvent à la première personne du singulier. Comme s’ils l’habitaient encore. Tout ce qu’elle est, sa puissance comme ses failles, elle s’en sert dans son métier d’actrice qu’elle adore et qu’elle raconte dans une longue interview téléphonique.
INTERVIEW
Dans la mini-série Un Homme d’Honneur, tu joues le rôle de Rebecca Riva, la femme d’un chef mafieux, Bruno Riva incarné par Gérard Depardieu. Comment se prépare-t-on pour ce rôle?
Aure Atika : Il faut déjà essayer de ne pas tomber dans une sorte de caricature. Quand on m’a dit que mon mari était Gérard Depardieu, j’ai imaginé qu’étant relativement plus jeune que lui, je l’avais rencontré il y avait longtemps, et qu’on ne divorçait pas d’un homme comme ça. C’est un ogre! Nous avons eu deux enfants ensemble, j’en ai sans doute vu des vertes et des pas mûres, mais j’en ai pris mon parti. J’ai décidé de jouer ce rôle dans la douceur au début car je savais que le personnage se transformait et devenait très dur dans la deuxième partie. Je trouvais intéressant d’apporter ce contraste.
On imagine que la femme d’un chef mafieux a un look un peu bling-bling avec des robes sexy, or ton personnage porte tout le temps des pantalons et est étonnamment assez sobre. C’était voulu?
Le look est une réflexion menée avec la chef costumière. Elle m’avait fait plusieurs propositions et en fonction de ce qui m’allait, de ce dont j’avais envie, on s’est mises d’accord sur ce look-là. Dans les scènes de flashback, on remarque que le personnage, plus jeune, portait de grosses boucles d’oreilles et des robes, mais là elle a 45 ans, son fils est dans le coma: ce n’est pas une période où l’on a envie de faire des folies. J’ai été très scrupuleuse sur le choix des bijoux: elle a plusieurs chaînes au cou, plusieurs bagues. J’avais aussi envie d’une coiffure dessinée, un look un peu 70’s qui me faisait penser à un film de Scorsese.
La femme tient un rôle central dans la mafia. C’est elle qui transmet aux enfants l’idée que l’organisation passe avant toute chose. Or ton personnage veut sauver l’un de ses fils afin qu’il échappe à ce destin.
Mon personnage met son enfant au centre de ses préoccupations. Simon, mon fils dans la série, souhaite devenir architecte et je veux le sauver de cette lignée de mafieux: pour y parvenir, je suis prête à tout. Ce personnage a des méthodes peu scrupuleuses certes, mais c’est une mère avant tout. Kad Merad et moi faisons face à la même problématique: « Qu’êtes vous prêt à faire pour sauver vos enfants? ». C’est cela le pivot de la série: l’attachement d’un parent pour son enfant.
Cette série a fait 19,4% de part de marché. Tu t’attendais à un tel succès?
C’est un beau succès. On ne s’y attend jamais mais on l’espérait. C’est l’adaptation d’une série israélienne qui a extrêmement bien marché. Le scénario est très bien ficelé et il y a un beau casting. On souhaitait que les spectateurs soient au rendez-vous.
Tu avais eu l’occasion de voir la version israélienne?
En 2017, la version israélienne avait été présentée au festival Series Mania, qui se tient à Lille et qui est dédié aux séries TV du monde entier. Cette année-là, je faisais partie du jury et nous avons donné le grand prix du jury à Kvodo parce que cette série était géniale, tellement intelligente! Il y avait une dimension politique qui n’existe pas dans la version française. Donc quand on m’a appelée l’année dernière pour me proposer le rôle de la femme du mafieux dans l’adaptation française, j’ai tout de suite dit oui!
Tu as tourné dans plusieurs séries et de nombreux téléfilms. En quoi est-ce différent de jouer pour le cinéma et pour la télé?
Dans une série, les personnages sont développés sur la longueur. On va croire qu’il est bleu/rose et l’on va découvrir au fil du temps qu’il est aussi un peu vert/jaune. Pour un acteur, c’est génial car on peut montrer plusieurs facettes, on a plus de couleurs à exprimer. En ce qui concerne le tournage, jouer pour la télé est plus intensif car on doit faire plus de « minutes utiles » par jour. On tourne donc beaucoup plus vite et il faut être plus efficace. Cela vaut pour les séries ou les unitaires (les films réalisés pour la télévision, ndlr). Parfois on va trop vite et cela peut se faire au détriment de la mise en scène. Et quand on retourne sur un plateau de cinéma, on trouve que tout va trop lentement (rires). Le cinéma reste un espace où la créativité peut s’épanouir, où l’on a du temps pour définir la lumière, pour diriger les acteurs, la mise en scène. On peut se permettre des parti pris plus forts.
Tu vas avoir 51 ans cette année, or le cinéma est plus dur pour les femmes de ton âge que pour les hommes.
Je pense d’une part qu’il y a plus rôles masculins que féminins au cinéma et d’autre part, on a envie pour ces rôles-là de « chair fraîche », donc c’est plus compliqué pour une actrice. En revanche, un film réalisé pour la télé est plus sociétal, les sujets traités sont plus proches de la réalité. C’est là qu’il y a de beaux rôles de femmes.
Comme dans le film Voir Le Jour de Marion Lain, dans lequel tu joues le rôle de Sylvie et que l’on peut voir sur Canal+?
Elle n’a filmé que des femmes. Ce n’était pas par militantisme. Elle avait juste envie de faire de beaux portraits féminins dans un service de néonatalité.
Ce film a été tourné un an avant le confinement, mais il met en lumière les dysfonctionnements des hôpitaux français qui sont exacerbés depuis la crise sanitaire.
Cela fait plusieurs années que les soignants se plaignent de leurs conditions de travail. C’était une réalité bien avant cette crise sanitaire. Pour les besoins du film, j’ai passé deux jours dans un service de néonatalité, qui fonctionnait plutôt bien, mais on m’a expliqué à quel point dans les autres services, c’était terrible.
Pendant le confinement tu n’as pas arrêté de tourner: tu as joué dans la série Un homme d’honneur, dans le premier film de la chanteuse Aurélie Saada. Comment s’est passé pour toi cette année?
Deux projets ont été repoussés. Le tournage d’un Homme d’Honneur a finalement eu lieu fin juin. C’était comme une embellie! Ensuite il y a eu le beau film d’Aurélie. Mon métier, c’est de jouer: je me sens inutile quand je ne travaille pas. Comme les autres artistes, j’ai traversé des hauts et des bas, avec des jours de grand abattement, en me demandant: dans quel monde on vit et qu’est-ce qu’on offre à nos enfants? Cette période est dure pour eux surtout…
Ta fille Angelica a 19 ans, que penses-tu pouvoir lui apporter durant une telle période?
Elle a réussi brillamment son bac avec mention très bien, elle fait une prépa littéraire. Son éducation a été faite par son père et par moi: une fois que les parents ont construit ce tronc solide, ils deviennent surtout un appui. Tout ce que je peux lui apporter, c’est de l’amour, une écoute, une aide matérielle et la soutenir dans ses choix. Mais je ne peux pas lui dire ce qu’elle doit faire. À 19 ans, un enfant n’écoute pas les conseils. Un jour, mon oncle m’a dit: « L’expérience est un peigne pour les chauves. » (rire). Je suis heureuse car elle est solide, très ancrée, et je lui fait confiance. Quelle que soit la voie qu’elle prendra, je suis fière d’elle.
Même si tu as commencé ta carrière avec des films d’auteurs, Sam Suffit de Virginie Thévenet, Vive la République, d’Éric Rochant, celui dont beaucoup de gens se souviennent c’est La Vérité si je mens où tu jouais le rôle de la voluptueuse Karine Benchetrit. Tu as réussi néanmoins à concilier tous les genres, la comédie, les drames, les séries, les téléfilms les films d’auteur, le théâtre. Comment réussis-tu ce grand écart?
C’est un grand écart que je revendique. Cela a été un combat au début. En 1996, j’ai tourné en même temps dans Vive la République d’Eric Rochant et dans La vérité si je mens de Thomas Gilou. Les deux films sont sortis à quelques mois d’intervalle. Le premier n’a pas marché du tout et le second a explosé. Aux yeux du public, j’existais à travers mon personnage de Karine. Mais en réalité, j’ai toujours alterné. Il a fallu que je me batte pour montrer que je n’étais pas que ce personnage de la Vérité si je mens. Mais je revendique pleinement ce rôle, car faire rire, c’est beaucoup plus difficile que le drame. Dans une comédie, il faut savoir tenir un certain rythme, tandis que dans un drame on a plus de temps pour s’épancher. Je trouve super de faire des films grand public qui font passer du bon temps aux gens, même si ma culture personnelle est plus tournée vers le film d’auteur. J’aime être au service d’un réalisateur qui a une vision, des parti pris, qui va m’utiliser comme une pâte à modeler ou pour ce que je suis. Être au service d’un artiste, c’est quelque chose qui me fait vibrer.
Dans le film Rose, le premier film d’Aurélie Saada, tu as joué avec Françoise Fabian. Que peux-tu en dire?
On ne sait pas quand il sortira car on ne sait pas quand les salles ouvriront, mais c’est la très belle histoire d’une femme jouée par Françoise Fabian. Elle a un certain âge, elle est mariée et elle a trois enfants: j’incarne sa fille, Grégory Montel de la série Dix pour cent et Damien Chapelle, jouent ses fils. Rose perd son mari et avec le deuil, elle va se réinventer. Comment cette transformation va-t-elle influencer ses relations familiales? C’est un thème très universel. J’ai adoré faire ce film, même si les conditions de tournage étaient difficiles car on devait se faire tester tous les 2 ou 3 jours pour protéger Françoise Fabian. Tout le monde était masqué sur le tournage, sauf les acteurs. C’était la même chose pour Un homme d’honneur. Le problème, c’est que l’on ne voit plus les humains.
Les masques sanitaires portés par les personnes sur le plateau changent-ils la manière de jouer?
Non, mais pendant les premiers jours de tournage, sur Un homme d’honneur, je me sentais moins libre dans mon corps, moins large. En revanche cela influence les rapports humains: nous parlons avec des gens que nous ne voyons pas. Ce n’est que lorsque l’on se retrouve tous à la cantine que l’on reconnaît certains techniciens à leurs tatouages ou à leurs vêtements.
En 2017 tu as écrit Mon ciel et ma terre qui raconte ton enfance. Est-ce difficile d’écrire sur sa propre vie, surtout quand le deuxième personnage principal, ta mère, n’est plus là?
Le propos, dès le départ, c’était de la raconter, de parler de cette époque, de notre relation… J’ai choisi de donner la parole à l’enfant que j’ai été, qui ensuite devient une ado, puis une jeune femme. Je ne trouve pas cela difficile car le fait qu’elle ne soit plus là m’a permis de dire les choses. Si elle avait été vivante, jamais je n’aurais écrit un livre sur elle, j’aurais trouvé cela indécent. Un jour un psy m’a dit: «Mais pourquoi vous protégez autant votre mère?» Je crois que ce que je retranscris dans ce livre, c’est l’amour que j’ai eu et que j’ai pour elle, même si je raconte les choses incongrues, dures, anormales, on sent mon amour. Je ne voulais pas avoir un regard trop critique. Est-ce une censure que je me suis imposée à moi-même, je ne sais pas?
Quand tu étais enfant, tu la protégeais déjà, en inversant les rôles, comme si tu étais la mère. A posteriori, quand tu es devenue mère, est-ce que l’anomalie de certaines situations t’est apparue?
Mais tellement! J’écrivais des épisodes et j’essayais de me souvenir de ce qui s’était passé. Je me plongeais à chaque fois dans la scène, pour que l’écriture soit à la hauteur de l’enfant que j’avais été. Je pense notamment au jour où elle est revenue d’Inde et qu’elle m’a dit: «viens, je vais te montrer quelque chose ». Elle a cassé l’étagère en bois qu’elle avait rapportée et il y avait un kilo d’opium à l’intérieur. Pour moi, enfant, c’était une jolie histoire, un joli souvenir, mais en l’écrivant, je trouvais cela fou! Quelle inconscience! Si elle s’était fait attraper à la frontière, elle aurait passé 20 ans en prison en Inde, alors qu’elle avait un enfant en France! Je me suis rendu compte de tout cela en l’écrivant. Le fait d’avoir tout posé, avec des mots, cela m’a soulagée, alors que ce n’était pas le but au départ. Ce n’était plus mon petit fardeau secret. Je pouvais passer à autre chose. Je ne l’ai pas jugée, mais je me suis rendu compte des décisions qu’elle avait prises, des choix qu’elle avait faits. Si elle avait agit autrement, ma vie aurait été différente.
On se construit en miroir de son enfance ou en réaction. Quel cadeau cette enfance t’a apporté?
Un producteur me dirait qu’il a envie de l’adapter et de le produire, je donnerais cette histoire à un scénariste, mais toute seule je n’en ai pas l’énergie. Je n’ai pas envie de me résumer à cette histoire.
Tu as réalisé des courts métrages. As-tu eu envie d’en faire un avec cette histoire qui est la vôtre?
J’ai l’impression que pas grand-chose me choque ou m’impressionne dans la vie. Comme j’ai vécu des choses très fortes, j’ai un goût certain pour l’aventure, quelle qu’elle soit. Je n’ai pas eu une enfance ennuyeuse, elle était haute en couleur. J’ai reçu tellement de cadeaux en fait! Tout peut se transformer plus ou moins en cadeau… Mon indépendance, ma facilité à pouvoir dire non, mon goût du voyage, du beau et de l’esthétisme, c’est ma mère qui me les a apportés. Mon goût du travail, des choses bien faites et ma rigueur parfois un peu sévère, je les ai construits en opposition. Mon refus des addictions quelque qu’elles soient, je l’ai développé car j’ai vu sur elle les effets des drogues. Si j’ai un regret, c’est le fait qu’elle ne m’ait pas soutenue pour faire de longues études. Un cadre plus stable m’aurait sécurisée et j’aurais moins de fragilités. Mais les enfants et les parents font ce qu’ils peuvent. Elle m’a toujours fait confiance et m’a laissé beaucoup de liberté.
Est-ce que ce premier ouvrage t’a donné envie d’écrire un deuxième livre. Peut-être sur la figure du père, qui est le grand absent de ta vie?
Merci de me le suggérer. Je ne sais pas… Je ressens actuellement un blocage, je n’arrive pas à écrire, mais si j’en retrouve le goût, il y a d’autres thèmes que j’aurais envie d’explorer. J’en ai un peu marre de ces histoires de famille.
Vivre en 2021, c’est difficile pour tout le monde. Quels sont tes secrets pour traverser cette époque?
Comme beaucoup de gens, j’ai vécu des périodes « up and down ». Ce qui m’a sauvée, ce sont les moments où j’ai travaillé, vu des amis, l’amour des proches, les petites joies. Au mois de janvier, je n’en pouvais plus. Paris, sans les cinémas et sans les théâtres, c’est comme vivre à Limoges, mais sans les avantages, ni la nature juste à côté. Cela n’a aucun intérêt. Je suis partie en Polynésie presque sur un coup de tête. J’avais des connaissances là-bas et un peu de famille et cela m’a fait un bien fou. J’y suis restée un mois, j’ai voyagé dans les îles, j’ai beaucoup lu, j’ai rencontré des gens fabuleux. Là-bas la pandémie n’est pas vécue de la même façon: il y a du soleil, de l’espace, ils ont très peu de cas. Depuis, je me sens beaucoup plus solide et confiante. Avoir foi en l’avenir est devenu très difficile. Alors comme beaucoup de gens, je m’accroche au présent.
Make-up + coiffure: Delphine Goichon