La tubéreuse qui a changé J’Adore

Le parfum de Dior a été lancé en 1999 et quelles que soient les variations et les évolutions qu’il a connues, son succès perdure. En cette fin d’année 2020, François Demachy, le parfumeur maison, a créé une eau de parfum nommée J’Adore Infinissime. Il a suffit d’un ajout, la tubéreuse, pour tout changer et transformer cette fragrance en un parfum de tendresse. Isabelle Cerboneschi

Il est sorti en 1999 et a séduit des millions de femmes. Sauf moi. J’adore de Dior est une fragrance fraîche et florale or je préfère les senteurs baudelairiennes. Je n’avais donc pas d’attente immodérée au moment de découvrir l’eau de parfum J’Adore Infinissime.

J’ai déposé quelques gouttes sur mon poignet, je l’ai senti… Et j’ai plongé. Plongé comme Alice au pays des merveilles, dans une spirale rouge-oranger-rose. Et je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Un parfum est une architecture mentale, et comme une maison, on s’y sent bien, ou pas. Or je me suis sentie bien dans ce J’adore-là. Comme dans un lit moelleux recouvert d’une couette XXL, aussi épais que celui de la princesse au petit pois du conte d’Andersen.

Puis l’une des matières premières a pris le pas sur les autres et m’a emmenée virtuellement dans une immense bibliothèque de bois ouvragé, entre la cathédrale gothique et les univers rétro-futuristes des bédéistes François Schuiten & Benoît Peeters. Un lieu qui me rassure.

C’était troublant. Comment une fragrance rassembleuse, avec ses notes fraîches et fleuries, bien sous tous rapports, peut-elle se transformer, grâce à une modification de sa formule, en un parfum à la beauté moelleuse, enveloppant comme un plaid de cachemire très doux ?

Pour en savoir plus, j’ai pris rendez-vous avec Fuensanta Soto, formatrice chez Dior depuis 23 ans. Elle possède une belle connaissance du parfum et en parle bien, sans ces discours marketing oiseux. Elle m’a expliqué que l’élément qui fait la différence, c’est la tubéreuse : un mélange de fleurs de Grasse et d’Inde.

Elle m’a d’abord invitée à sentir la tubéreuse indienne. Impossible d’imaginer qu’il s’agit d’une fleur. Elle possède un aspect terreux, boisé, presque animal. C’est cette note qui m’évoque la bibliothèque aux odeurs délicates de poussière de papier. Puis la formatrice m’a présenté un mélange de tubéreuse d’Inde et de Grasse. Un autre monde. La senteur était charnue, ronde, sensuelle. Le mélange des deux variétés est comme l’alliance entre la part féminine et masculine de la fleur.

« Cette fleur a une particularité: c’est l’une des rares qui, après la cueillette, conserve ses qualités odorantes pendant 24 heures, explique Fuensanta Soto. Parce qu’elle est blanche, elle possède un parfum très puissant pour contrebalancer son manque de couleur et attirer à elle les insectes. » François Demachy, le parfumeur de Dior, la décrit comme étant « violemment sexuelle ».

« Les molécules de la tubéreuse ont été récoltées grâce à la technique de l’enfleurage à froid, poursuit Fuensanta Soto. Avec ce procédé, on dépose les fleurs sur une couche de graisse inodore et on les renouvelle jusqu’à ce que la matière grasse soit saturée de parfum. Elle est alors remuée avec de l’alcool dans une batteuse et après évaporation on obtient une absolue. François Demachy m’a expliqué qu’en distillant une fleur avec un alambic, on récupère des notes olfactives proches du pétale, qui nous portent vers le haut, alors qu’avec l’enfleurage on descend dans la matière jusqu’au cœur et l’on recueille l’âme de la fleur. »

C'est étrange ce parfum qui embrasse, alors que le moindre contact aujourd'hui est devenu synonyme de danger.

Quelques heures plus tard, que reste-t-il de cette fragrance sur mon poignet ? Une trace, celle d’un beau parfum d’avant la vague des senteurs marines et des fragrances gourmandes qui ont submergé le marché. Reste une senteur enveloppante qui m’évoque les bras d’une mère, ou plutôt, l’archétype d’une mère et son amour inconditionnel. C’est étrange ce parfum qui embrasse, alors que le moindre contact aujourd’hui est devenu synonyme de danger. Était-ce voulu ?

A en croire la publicité, qui met en scène Charlize Theron, cette fragrance s’adresse à une femme qui relève le menton et avance, quelles que soient les circonstances. Une fragrance de pouvoir, de séduction aussi. Mais ce n’est pas ce que je ressens. Et si J’adore Infinissime était tout simplement un parfum de consolation ?