La montre au diapason du temps

Lors du dernier salon Watches and Wonders, qui s’est tenu à Genève en avril 2024, Hermès a surpris en présentant une montre dotée d’un tourbillon triaxial central et d’une répétition minute avec un diapason en guise de timbre. Une pièce où l’identité de la maison se lit jusque dans les rouages qui reprennent la forme des roues du Duc Attelé, son emblème. Avec cette montre, Hermès continue à explorer le territoire des grandes complications. Interview de l’homme qui la connaît le mieux: Philippe Delhotal, directeur de la création d’Hermès Horloger. Isabelle Cerboneschi

C’était en avril dernier, lors du salon Watches and Wonders qui s’est tenu à Genève, sur le stand d’Hermès. Dans les vitrines était exposée une partie des créations de la maison, dont la Hermès Cut, le nouveau modèle au design qui joue à la fois avec le cercle et le rond coupé, ainsi qu’un foisonnement de garde-temps métiers d’art, au point que l’on aurait pu se croire au vernissage d’un collectif d’artistes. Et dans une vitrine, une montre arborait son unicité avec une élégance folle.

Première surprise: il s’agissait d’un modèle où s’accordait un tourbillon à trois axes central et une répétition minutes à timbre diapason, une grande complication que l’on ne s’attendait pas de prime abord à voir chez Hermès. Deuxième surprise: en guise de timbre, un diapason. Troisième surprise: les marteaux avaient la forme de deux têtes de chevaux. Sur la cage de tourbillon, on découvrait un double H, celui que l’on retrouve sur l’ascenseur de la boutique Hermès du 24 Faubourg, signant le tout. Quant aux rouages, ils avaient la forme des roues du Duc Attelé, l’emblème d’Hermès.

En 1945, Émile-Maurice Hermès était en quête d’un logo. Or il possédait dans son bureau un dessin à la mine de plomb, rehaussé de gouache – « Duc attelé et groom à l’attente » signé Alfred de Dreux, un célèbre peintre animalier du 19e siècle. Et c’est ce Petit Duc qui lui a donné l’idée de l’un des logos les plus connus du monde.

Dans une longue interview, Philippe Delhotal raconte tout, ou presque, sur cette montre qui sonne les heures, les quarts et les minutes de manière si singulière.

INTERVIEW

Hermès est entré dans le monde de la haute horlogerie en présentant l’Arceau Lift tourbillon en 2013. En lançant la Duc Attelé est-ce une manière de dire que vous avez l’intention de poursuivre à explorer ce territoire?

Philippe Delhotal : Notre premier tourbillon, c’était en effet la Lift. A l’époque, c’était un joli défi pour la maison de lancer une montre qui explorait le domaine de la haute horlogerie tout en mettant en valeur la créativité et le savoir-faire d’Hermès.

Vous aviez pourtant créé Le Temps Suspendu qui était une complication particulière.

C’était notre deuxième montre qui parlait d’une approche singulière du temps. La première s’appelait « Les Grandes Heures » et proposait une lecture des heures un peu décalée: comme s’il y avait une accélération ou un ralentissement du temps à certains moments de la journée. Alors que Le Temps Suspendu, comme son nom l’indique, suspendait le temps.

Pourquoi vouloir arrêter le temps quand on est horloger?

Parce que lorsque l’on est horloger, justement, on n’arrête pas le temps. On le compte, on le divise, on le multiplie mais on ne l’arrête jamais. Nous avons décidé de faire un pas de côté et de permettre de le suspendre de manière à ce que la personne qui achète cette montre puisse à un moment donné s’évader et aborder une journée stressante avec une autre philosophie: sortir du cadre et s’accorder un espace.

Revenons à votre premier tourbillon. En quoi était-il différent des autres?

C’est une complication finalement assez normale, presque toutes les marques horlogères font des tourbillons. Afin d’apporter une touche originale, nous avons utilisé le double H, qui se trouve sur l’ascenseur de notre boutique amirale du 24 rue du Faubourg Saint Honoré, comme cage de tourbillon. C’est pour cela que nous avons appelé cette montre Lift (ascenseur en anglais, ndlr). C’était notre première grande complication.

Pourquoi avez-vous choisi de créer plus de grandes complications alors qu’il s’agit d’un domaine où l’on ne vous attendait pas?

C’était une manière de démontrer notre créativité couplée à la performance technique. Nous avions fait la même chose avec les métiers d’art. Quand nous avons réalisé la première montre métier d’art en 2008, qui s’appelait Cape Cod Indian Dust où nous avions fait usage de l’émail grand feu, nous avions reproduit un carré. Nous sommes une maison d’artisans, nous avons énormément de dessins et de la couleur. Cela aurait été dommage de ne pas en faire usage. La haute horlogerie relève de la même démarche: l’opportunité d’exprimer la richesse des créations de la maison à travers des garde-temps d’exception.

Etait-ce la seule raison?

En tant que maison d’artisans, il nous tient à cœur de démontrer des savoir-faire d’exception et de les interpréter différemment avec le ton Hermès et son approche du temps singulière, que ce soit par la fonction ou par l’esthétique. Et ce projet, nous l’avons fait évoluer grâce à l’intérêt qu’un client japonais lui portait. Il souhaitait en effet voir à quoi ressemblerait une répétition minute couplée à un tourbillon, interprétée par Hermès.

Quelles étaient les spécificités de cette première répétition minute que vous avez présentée en 2020?

Nous avons repris le code du double H sur la cage de tourbillon de la Lift et nous sommes dit que nous pourrions personnaliser le mouvement. Nous avons donc fait graver une petite tête de cheval sur les ponts. Afin de voir le mouvement de l’extérieur, nous avons découpé un petit croissant de lune dans le cadran. Par la suite, nous avons décidé de créer une ouverture en forme de tête de cheval sur le cadran.

La montre Duc Attelé découle-t-elle naturellement de ce modèle?

En effet. Fort de son succès, nous avons développé un autre mouvement avec un tourbillon triaxial et une sonnerie différente. J’ai demandé au Cercle des Horlogers qui l’a développé, de réaliser une répétition minute en 5 hertz, qui est extrêmement précise et un timbre apparent que personne n’avait jamais fait. J’ai été musicien. Je jouais de la clarinette et je n’avais donc pas besoin de diapason mais mon frère, qui jouait du violon, en utilisait un. Et pourquoi ne pas essayer de faire un timbre en forme de diapason? Il donne un son très particulier, beaucoup plus en volume. Nous avons apporté quelques touches Hermès avec des détails cachés comme les marteaux et la crémaillère en forme de tête de cheval.

Quand je l’ai vue au salon Watches and Wonders, j’ai cru que le pont de tourbillon était une double clé de fa, comme un clin d’œil au diapason.

Il s’agit de la signature du double H qui est en titane, mais comme elle est posée sur un tourbillon à 360 degrés, elle s’en trouve quelque peu déformée. Nous avons créé deux modèles: un en titane, parce que c’est une matière qui a une belle acoustique et qui restitue le mieux le son, avec un cadran rainuré comme les ondes du son et un autre en or rose avec un cadran en aventurine.

Comment avez-vous choisi le son du diapason qui sert de timbre dans la répétition minute?

Le son dépend de la grandeur de la boîte, de sa matière, du diamètre du timbre, de sa longueur et de l’espace qu’il y a à l’intérieur de la montre. On n’aura pas la même propagation du son selon si l’on utilise un petit ou un grand timbre. La matière qui est autour qui va soit réduire le son, soit l’amplifier. Par exemple, le bois l’absorbe alors que le titane fait le contraire. On ne peut découvrir le son qu’une fois le mouvement emboîté. Comme avec les timbres habituels, le diapason est fixé par deux vis d’où il part pour faire deux tours. L’horloger règle le son en donnant des petits coups de lime sur le diapason qui vont modifier la propagation du son. C’était une première. Nous avons déposé un brevet sur le timbre-diapason.

Quelle fut la réponse du marché?

Nous avions décidé dès le début de produire deux séries de 24 pièces. Les 48 pièces ont toutes été vendues. Nous animerons probablement cette collection de la même manière que nous l’avons fait avec la Lift.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour développer cette pièce?

Trois ans. Ce que nos clients collectionneurs ont beaucoup aimé, c’est la simplicité de l’objet et les petits détails comme les marteaux et la crémaillère en forme de têtes de cheval. On y retrouve l’esprit de la maison.

C’est vraiment une pièce signée Hermès jusqu’au bout. Comment va-t-on plus loin sans aller trop loin ?

C’est une question d’équilibre. A un moment donné on sait que l’on doit s’arrêter. C’est comme une recette de cuisine: il faut des bons ingrédients, une bonne recette, puis il y a l’expérience et tout ce que l’on peut ajouter ou enlever pour arriver à un plat parfait. Chez Hermès on a plutôt tendance à retirer des choses qu’à en rajouter.

Les rouages ont une esthétique un peu steampunk, rétrofuturiste. Est-ce intentionnel?

C’est drôle que vous disiez cela, parce qu’ils me font penser au film Les Temps Modernes. J’ai l’impression d’avoir devant moi quelque chose qui n’est pas un mouvement de montre mais plutôt un entrelacs de rouages. Sans doute est-ce aussi lié au fait que le fond est en saphir et qu’il permet de voir toute cette fresque de pièces de mécanique et les deux barillets qui sont positionnés face à face. Deux roues ont été déplacées, pour des raisons techniques, mais nous n’avons pas cherché à atteindre un résultat esthétique qui ressemble à une machine. Une répétition minute comprend environ 500 pièces qui interagissent dans un espace de quelques centimètres carrés. Le résultat visuel est assez impressionnant, tout en donnant une impression de légèreté.

Avez-vous des anecdotes particulières concernant cette montre et la manière dont les clients l’ont perçue?

Nous ne recevons de la part de nos collectionneurs que des félicitations. Je me suis rendu à Taïwan cet été et j’ai rencontré un client très intéressé par l’Arceau Duc Attelé. Il avait une répétition minute au poignet et voulait comparer le son de sa montre avec celui de la nôtre. Ce qui intéresse les clients, c’est l’originalité du produit et sa fiabilité. Ce qu’ils viennent chercher chez Hermès, c’est la beauté de l’objet. Nous sommes des conteurs d’histoires.