François-Paul Journe créait pour les autres. Il lance sa propre marque
Pour financer sa société, l’horloger a créé un club dont les membres ont acheté en souscription les 20 premiers chronomètres à tourbillon. Visite de ses ateliers genevois. Archives: Publié le 03 avril 1999. Isabelle Cerboneschi
Une nouvelle marque horlogère sera présente au Salon mondial de l’horlogerie à Bâle, ce mois-ci: on parlera désormais des montres F.P. Journe, du nom de leur concepteur François-Paul Journe. Cet homme de 42 ans n’est pas un inconnu pour les gens du métier: comme les autres membres de l’Académie des horlogers créateurs indépendants (AHCI) dont il fait partie depuis 1986, il travaille dans l’ombre pour des marques de prestige: Cartier, Chaumet, Breguet, Piaget, Ulysse Nardin, Asprey, entre autres. Il fallait bien qu’un jour, il entre dans la lumière.
Les maisons qui font appel à ses services s’accordent sur un point: François-Paul Journe est un horloger brillant. Ce Marseillais d’origine a grandi au milieu des rouages: à 14 ans, il entre à l’école d’horlogerie de Marseille puis, deux ans plus tard, à celle de Paris où il obtient son diplôme. Pendant ses études, il travaille dans l’atelier de son oncle Michel Journe, spécialiste de la restauration de montres et horloges anciennes. Tandis qu’il était en charge du Musée des Arts et Métiers, à Paris, il eut également l’occasion d’observer une pendule à régulateur double de Breguet ayant appartenu à Louis XVIII dont il s’inspire encore aujourd’hui. Il crée sa première montre à tourbillon en 1982: il a 25 ans. Et en 1985, il s’installe à son compte et commence à travailler pour les plus grandes marques. Il préfère ne pas se souvenir de l’épisode THA, la société qu’il avait montée en 1989 à Sainte-Croix et dont il a claqué la porte.
Quand on le rencontre, dans son atelier genevois, la première chose qu’il fait, c’est dévoiler ses derniers mouvements. Il rechigne à parler de lui: l’important, ce sont ses créations. Et cette année, à Bâle, il va lancer deux magnifiques mécanismes. Le premier: «un chronomètre à tourbillon avec remontoir d’égalité.» Un ressort auxiliaire, qui se réarme toutes les secondes, fait marcher le tourbillon. Quant au second, il s’agit d’«un chronomètre à résonance avec double mouvement». Ces deux mouvements mécaniques, dont les deux balanciers travaillent en sens opposé, sont réglés sur la même fréquence. Ils entrent en résonance et absorbent l’énergie l’un de l’autre en s’équilibrant. «Au porté, elle perd moins d’une seconde par semaine», dit fièrement l’horloger.
On reconnaît les montres François-Paul Journe d’un regard: le boîtier avec un cadran en or rose et de petits cadrans en acier vissés est très particulier. Il a un côté à la fois traditionnel et moderne. Son nom «F.P. Journe» est gravé sur le cadran aux côtés de cette devise «Invenit et fecit» (j’ai découvert et j’ai fait). «Les horlogers du XVIIIe siècle gravaient ceci sur leurs montres», explique-t-il. «Mettre cette petite phrase sur nos cadrans, c’est affirmer à nos clients: «Nous avons inventé et fabriqué ce calibre spécialement pour cette montre», explique François-Paul Journe.
Dans son atelier, où travaille une dizaine de personnes, on découvre des mouvements destinés à d’autres marques. On reconnaît une montre Piaget, ainsi qu’un cadran aux chiffres typiquement Cartier; des pièces certainement destinées à être présentées au Salon international de la haute horlogerie qui débutera le 22 avril. Mais François-Paul Journe s’abstient de tout commentaire: il sait combien les horlogers pour qui il travaille aiment cultiver le secret. A l’ordinateur, un mouvement est en cours de développement: une base modulable qui pourra devenir au choix chronographe, quantième, etc. «Quand on est une petite entreprise, on n’a pas le choix: il faut rationaliser la production», souligne l’horloger. Tous les prototypes sont réalisés ici, dans ses ateliers, comme le montage et la finition. Le reste est sous-traité.
Quand on lui fait remarquer que le marché de l’horlogerie de collection est saturé, François-Paul Journe rétorque: «Le marché est plein de tourbillons, mais ils viennent quasiment tous de chez Lemania. C’est normal qu’il y ait mévente. Il faut susciter l’envie d’acheter chez les collectionneurs: ils sont prêts à acquérir des pièces originales. Et des tourbillons avec remontoir d’égalité comme le mien, il n’en existe aucun autre», dit-il. Pour lancer sa nouvelle marque, François-Paul Journe a trouvé un mode de financement particulier: il a créé Les Amis de François-Paul Journe. «Chacun des 20 membres a acheté son tourbillon en souscription l’an passé. Ils ont versé une somme de 40 000 francs. En échange ils possèdent le droit inaliénable d’acquérir à un prix préférentiel et en priorité tout nouveau mouvement de F.P. Journe du No 1 au No 20.» Et pour la suite, il a déjà trouvé un point de vente en Belgique, en France, aux Etats-Unis. «L’Italie, la Suisse et l’Autriche sont en discussion.»
François-Paul Journe s’est fixé un défi pour les temps à venir: «Dépasser la précision du quartz avec une montre mécanique. Une montre qui indiquerait le temps exact», un mythe pour tout horloger passionné.