Episode 2: les secrets du Chronomètre à Résonance

Lors d’un long entretien, le maître horloger s’est confié sur les origines de quatre garde-temps fondateurs de sa marque: le Tourbillon Souverain (1999-2003), le Chronomètre à Résonance (2000-2004), la Sonnerie Souveraine (2006-2019) et l’Astronomic Souveraine (2020). Dans une série en quatre chapitres, il explique la genèse de ces quatre modèles, leur raison d’être, mais il dévoile aussi son processus de création, les travaux qui sont en cours et sa quête ultime. Isabelle Cerboneschi

F.P.Journe Chronomètre à Résonance. ©F.P.Journe

En 1999 François Paul Journe a présenté deux montres à Bâle: un chronomètre à tourbillon avec remontoir d’égalité et un chronomètre à résonance avec double mouvement, afin d’atteindre une précision inégalée. «Au porté, elle perd moins d’une seconde par semaine», affirmait François-Paul Journe, à l’époque.

Il se passe quelque chose d’un peu magique lorsque deux balanciers se mettent en résonance. Et pourtant la magie n’a rien à faire dans ce processus qui relève de la physique: chaque objet émet et reçoit une vibration. En accolant deux balanciers en mouvement, l’un adopte le rythme de l’autre. Ils entrent en résonance, s’harmonisent et s’équilibrent. Il y a ainsi synchronisme de leurs oscillations, ce qui a pour effet une meilleure performance. Les premières recherches physiquement visibles sur ce phénomène ont été effectuées par Antide Janvier (1751-1835) et Abraham-Louis Breguet, au XVIIIe siècle.

A l’automne 2001, François-Paul Journe a d’ailleurs acquis lors d’une vente aux enchères menée par Antiquorum, l’un des trois régulateurs à résonance d’Antide Janvier, pour la somme de CHF 1’488’500. Le deuxième a été acheté par le musée Patek Philippe et le troisième est la propriété du Musée Paul-Dupuy à Toulouse.

INTERVIEW

Pouvez-vous expliquer à votre façon ce phénomène physique de résonance, qui, pour un néophyte, relève de la magie?

François-Paul Journe : J’ai mis longtemps à trouver une façon de l’expliquer: quand je vous parle, votre oreille est en résonance avec ma voix, qui est une vibration. Quand on écoute une montre, on entend son tic tac. Le tic tac, c’est l’énergie dispersée de la montre qui fait vibrer le tympan et qui s’échappe sous forme de bruit. Dans le chronomètre, c’est pareil: les deux balanciers sont en résonance parce qu’ils sont réglés sur la même fréquence. Ils absorbent l’énergie de l’un et celle de l’autre et se mettent en résonance naturellement, mais pour y arriver il faut achever parfaitement tous les composants de l’échappement, sinon ça ne fonctionne pas.

Comment expliquez-vous le fait que depuis Abraham-Louis Breguet, si peu d’horlogers se soient intéressés à ce phénomène?

C’est Christian Huygens (1629-1695) qui le premier avait remarqué ce phénomène et l’a expliqué mais on n’a pas de trace d’un objet qu’il aurait fait fabriquer. Le premier horloger que l’on connaisse à avoir fabriqué un régulateur à résonance, c’est Antide Janvier, dès 1780. Il était brillant mais ce n’était pas un très bon gestionnaire. Après la Révolution française, il est tombé en disgrâce et a vendu une partie de son atelier à Abraham-Louis Breguet, qui l’a beaucoup aidé. Ce dernier, qui avait vu ses travaux, a commencé à travailler sur la résonance vers 1810-1815, soit 30 ans plus tard que Janvier. Il a fait trois montres de poche et deux régulateurs à résonance dont l’un était destiné au roi d’Angleterre Georges IV et est conservé à Buckingham Palace et l’autre créé pour Louis XVIII. Celui-ci est aux Art et Métiers. C’est en le révisant que j’ai été fasciné par le phénomène de résonance, dans les années 80. A l’époque, il était à l’arrêt et on l’appelait « régulateur double ». On trouvait cela joli mais on ne savait pas à quoi cela servait. Quand je l’ai eu en révision, j’ai compris le système et j’ai commencé à m’y intéresser. La première commande que m’avait faite un client parisien en 1982, était pour une montre de poche à résonance. Je l’ai réalisée mais je n’étais pas assez calé pour qu’elle soit suffisamment achevée: elle entrait en résonance un peu, mais pas assez. Je me suis dit qu’un jour je reprendrai ce projet. Le déclic s’est fait en 1996 quand Philippe Dufour a sorti sa Duality qui intégrait un double régulateur. Ce n’était pas une résonance mais cela m’a rappelé que j’avais ce travail à accomplir et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à dessiner la montre.

Comment la qualifiez-vous?

En 2002, George Daniels est venu ici, à la manufacture. Il m’a demandé de voir mon Chronomètre à Résonance et il m’a dit: « Tu as eu beaucoup de courage pour faire cela. » Je trouve que c’est ce qui qualifie le mieux cette montre: le courage. Il voulait m’en acheter une. Je lui ai proposé que l’on s’échange une montre. J’aurais aimé celle qu’il était en train de faire à ce moment-là: il avait réalisé une série de 50 montres à calendrier automatique avec un échappement coaxial. On a traîné tous les deux, en 2003 je lui ai proposé que l’on se voit, il m’a répondu qu’il ne travaillait plus et l’échange ne s’est jamais fait.

F.P.Journe Chronomètre à Résonance. ©F.P.Journe

Votre première montre à résonance de 1999 avait deux ressorts. Dans le dernier modèle lancé 20 ans après, vous n’avez gardé qu’un seul ressort moteur pour les deux mouvements. Pourquoi?

J’ai voulu en améliorer la marche. Grâce à un différentiel placé sur la première roue visible au centre du cadran, la force du ressort moteur est transmise indépendamment vers les deux rouages secondaires qui sont équipés chacun d’un remontoir d’égalité. De ce fait, la force reçue aux échappements est linéaire et l’isochronisme est assuré pendant 28 heures. Je voulais ajouter un échappement spécial, qui est actuellement en développement, mais heureusement que je ne l’ai pas fait car la montre ne serait toujours pas sortie (rires)! Quand tout est nouveau dans un mouvement, c’est comme si l’on essayait de sauter un obstacle avec du sable sous les pieds. Or pour sauter, il faut un pied d’appel. En utilisant le même échappement que la première montre à résonance, j’avais mon pied d’appel: je le connais, il fonctionne très bien, donc je ne prenais pas trop de risques.

Ce nouvel échappement spécial, avez-vous l’intention de le lancer bientôt?

Si il marche, oui, s’il ne marche pas, non (rires). Actuellement j’effectue des tests sur un Chronomètre Souverain. S’il fonctionne, il ira équiper toutes les montres. Il est trop beau!

Quel est son principe?

C’est un échappement libre, comme une détente, mais sans ressort. Les échappements à détente que l’on trouvait dans les chronomètres de marine, sans huile, à impulsion directe, c’est génial, mais il faut énormément de force pour les animer. J’en ai fabriqué beaucoup: mes premiers tourbillons de poche sont tous à échappement à détente. Mais cela fonctionne moins bien sur une Montre-bracelet. L’horlogerie, cela doit fonctionner avec très peu d’énergie et la solution la plus créative, qui fonctionne sans huile et avec peu d’énergie, c’est la pendule Atmos qu’avait inventée Jean-Léon Reutter. Quand le frottement est presque inexistant, il n’y a pas besoin de lubrification. Lorsque l’on fait de l’horlogerie, on doit aller dans cette direction.