Episode 3: les secrets de la Sonnerie Souveraine
Lors d’un long entretien, le maître horloger s’est confié sur les origines de quatre garde-temps fondateurs de sa marque: le Tourbillon Souverain (1999-2003), le Chronomètre à Résonance (2000-2004), la Sonnerie Souveraine (2006-2019) et l’Astronomic Souveraine (2020). Dans une série en quatre chapitres, il explique la genèse de ces quatre modèles, leur raison d’être, mais il dévoile aussi son processus de création, les travaux qui sont en cours et sa quête ultime. Isabelle Cerboneschi
Il aura fallu six ans à François-Paul Journe pour créer sa Sonnerie Souveraine et beaucoup de rage pour venir à bout de cette montre qui donne un son au temps qui passe. Il a cessé de la produire en 2019, mais il n’a pas refermé le dossier pour autant…
Le maître horloger m’avait montré la première version de sa grande sonnerie en 2005. « Mais je n’en étais pas content. J’ai tout démonté et tout refait. J’ai mis un an à la stabiliser. », confiait-il un an plus tard en présentant le modèle définitif. Cette pièce, qu’il hésitait à laisser photographier et pas seulement au regard de son prix de 650’000 francs à l’époque, était l’aboutissement d’une longue quête : six années de recherche et dix brevets déposés !
Le résultat était d’une élégance et d’une finesse incroyable – 42 mm x 12,25 mm alors qu’elle emportait l’une des complications les plus difficiles à réaliser : une grande sonnerie qui doit donner 812 coups de marteau pendant 24 heures, alors qu’une répétition minute en donne 32 au maximum, par armage de leur ressort respectif. Toute la difficulté est là : dans l’énergie phénoménale qu’il s’agit de trouver pour y parvenir. Mais le plus étonnant, dans cette pièce, qui pouvait aussi se mettre en mode répétition minute, c’était la facilité avec laquelle on pouvait la manipuler. « Le cahier des charges était simple : « pour un enfant de 8 ans », confiait-il. C’est au moment du remontage et de la mise à l’heure que les choses se compliquent avec les grandes sonneries, à ce moment précis que l’on risque la fausse manœuvre, qu’il y a de la casse et que la montre se retrouve au service après-vente.
INTERVIEW
Comment avez-vous résolu la problématique du risque de casse au moment du remontage ?
François-Paul Journe : À la place de deux ressorts et deux barillets, comme sur les grandes sonneries traditionnelles, qui permettent de régler comme on veut l’énergie du mouvement ou de la sonnerie, je n’en ai mis qu’un seul pour les deux fonctions et il ne se remonte que dans un sens. Par un système de sûretés, lors de la mise à l’heure, la sonnerie est bloquée et lorsque la sonnerie est engagée, il n’y a pas de remise à l’heure possible. Quant à la réserve de marche, elle prend en compte la perte d’énergie globale, grâce à un calcul différentiel. Il y a 24 h de réserve de marche en mode grande sonnerie et 5 jours pour l’indication des heures si l’on n’utilise pas la sonnerie. Et quand il ne reste que trois tours de barillets – environ 24 à 30 h – la sonnerie se bloque pour laisser 24 h de réserve de marche au mouvement afin que les heures continuent de tourner.
Lorsque vous m’avez présenté la Sonnerie Souveraine pour la première fois, en 2006, vous avez dit : « Cette pièce, c’est une grande leçon d’humilité. » Qu’entendiez-vous par là ?
Il faut parfois taire sa rage quand ça marche mal. On vit de grands moments de solitude. Le plus difficile, ce furent les 2% qui restaient à perfectionner. Il faut travailler dans la légèreté pour arriver à faire sonner une montre et qu’elle donne 812 coups de marteaux par jour ! Il n’y a pas une autre grande sonnerie qui réunisse tous nos critères.
Pourquoi l’avoir arrêtée ? Pour faire l’Astronomic ?
Oui. Je n’avais pas assez de mains. Mais je n’ai pas lâché l’affaire : j’en ferai une autre !
On attendra alors, sachant qu’il vous a fallu six ans pour mettre la première au monde…
Six ans mais sans oublier l’expérience que j’ai accumulée lorsque j’ai développé une grande sonnerie pour Piaget, en 1996. Piaget avait fait un livre en 1993 et sur une page, on voyait la photo d’une répétition minute sous laquelle il était écrit « Grande Sonnerie » (Montres et Merveilles de Piaget, ed. La Bibliothèque des Arts, page 58, ndlr). Le département marketing de la marque a donc décidé de faire une véritable grande sonnerie. Ils ont lancé un appel d’offres, j’ai remporté le contrat et j’ai créé 10 pièces. Il s’agissait d’une montre avec deux barillets. Les marteaux étaient déjà positionnés côté cadran et ce modèle était précurseur du mien. Dans les années 2000, des clients m’ont demandé de réaliser une grande sonnerie. J’ai commencé à en dessiner une en éliminant toutes les erreurs que j’avais faites sur la précédente, tout en l’améliorant. Celle réalisée pour Piaget devait se remonter dans les deux sens, or les clients ne savaient pas l’utiliser et cassaient tout. J’ai décidé de ne lancer ma grande sonnerie que si elle était incassable. La mienne n’a qu’un ressort pour les deux fonctions – grande sonnerie et indication des heures – et on la remonte comme une montre normale.
Elle a donné lieu à pas moins de dix brevets !
Oui. Notamment un brevet pour qu’on ne puisse pas la remonter pendant qu’elle sonne et inversement.
Elle sonne les quarts, les demis et l’heure. Elle donne 812 coups de marteau pendant vingt-quatre heures. Comment avez-vous réussi à économiser toute l’énergie nécessaire au cœur d’une montre-bracelet, qui, du fait de sa petite taille, a une réserve d’énergie limitée ?
Elle n’a pas besoin de beaucoup d’énergie : elle a besoin d’une énergie suffisante. Le secret, c’est tout une composition : ce sont les chemins d’engrenage, la taille des râteaux, plus ils sont grands plus on a de la précision… Ce n’est pas la force de frappe qui compte, mais son inertie.
En quoi cette montre a-t-elle amélioré la science de la mesure du temps ?
Elle n’a rien amélioré : elle m’a amélioré moi ! (Et il éclate de rire).