Episode 4: les secrets de l’Astronomic Souveraine

Lors d’un long entretien, le maître horloger s’est confié sur les origines de quatre garde-temps fondateurs de sa marque: le Tourbillon Souverain (1999-2003), le Chronomètre à Résonance (2000-2004), la Sonnerie Souveraine (2006-2019) et l’Astronomic Souveraine (2020). Dans une série en quatre chapitres, il explique la genèse de ces quatre modèles, leur raison d’être, mais il dévoile aussi son processus de création, les travaux qui sont en cours et sa quête ultime. Isabelle Cerboneschi

F.P.Journe Astronomic Souveraine ©F.P.Journe

L’Astronomic Souveraine descend d’un noble lignage: elle est la fille de l’Astronomic Blue, un prototype en tantale que François Paul-Journe avait créé pour la vente aux enchères Only Watch de novembre 2019 et dont les bénéfices servent à financer la recherche contre la dystrophie musculaire. Cette pièce unique avait été adjugée pour la somme de CHF 1’800’000.-

François-Paul Journe avait prévu que ce prototype serait suivi d’un modèle produit pour la vente. C’est ainsi qu’est apparue en novembre de la même année l’Astronomic Souveraine en acier, une montre d’une apparente simplicité, malgré sa complexité, qui combine pas moins de 18 fonctions et complications dont un tourbillon à remontoir d’égalité, une répétition minute, les heures et minutes sidérales, un deuxième fuseau horaire, les phases de la lune, un calendrier annuel complet cerclé des signes du zodiaque, une équation du temps, les indications des levers et couchers du soleil à 12h et une seconde morte naturelle.

C’est assez insolite de voir l’indication des levers et couchers du soleil dans un seul guichet en arc de cercle situé à 12h. Généralement, on les retrouve sur deux cadrans distincts. François-Paul Journe a opté pour un rideau métallique qui montre l’allongement ou le raccourcissement des jours. La raison du choix d’un guichet en arc de cercle ne relève pas uniquement de l’art horloger mais des sentiments. A l’origine de cette idée, il y a le dessin d’un adolescent, Charles, son fils, qui avait représenté une montre avec une lucarne incurvée à travers laquelle on pouvait observer la course du soleil. Le maître horloger s’est employé à donner vie à ce dessin.

Après avoir écouté François-Paul Journe expliquer la genèse de quatre modèles fondateurs, identifier ce qui fait son unicité semblait une évidence. Et cela tient à son processus créatif. Il commence par chercher dans son esprit la solution à son problème, à savoir les fondamentaux qui lui permettront de créer une nouvelle montre qui apportera quelque chose de nouveau à sa collection d’abord, au monde de l’horlogerie ensuite. Il s’agit généralement d’un garde-temps dont le mouvement fonctionne avec le plus de légèreté possible, même si ses montres affichent une foultitude de complications, et qui s’approche le plus possible de son Graal: la précision ultime.

Dans son esprit, il y a notamment la connaissance de l’histoire de l’horlogerie, de ce qui a été fait par ces prédécesseurs mais aussi par ses contemporains et un savoir-faire qui s’est peaufiné avec les années et les défis. Mais la solution ne s’y trouve pas toujours. C’est là que son génie entre en jeu: François-Paul Journe sait écouter les bruits du monde. C’est-à dire? Il écoute, il regarde, il engrange tout ce qui vient à lui. Et au milieu de cette nouvelle bibliothèque d’informations, qui peut contenir à la fois le dessin de son fils ou un régulateur qu’il a restauré lorsqu’il vivait à Paris, la solution apparaît, parce qu’il a su s’ouvrir à elle en passant par d’autres chemins. Le dernier épisode de cette série est dédié à une montre, l’Astronomic Souveraine, où il a mis tout ce qu’il connaissait, tout ce qu’il a fait par le passé et tout ce qu’il a su laisser venir à lui…

INTERVIEW

Pendant des millénaires, c’est le ciel qui a servi de repère temporel aux humains. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire descendre sur la terre?

François-Paul Journe : Si seulement j’étais capable de faire ça! A l’instar de la Sky Moon Tourbillon de Patek Philippe et les modèles d’autres marques, il manquait une montre astronomique chez nous. Je voulais faire quelque chose d’esthétique.

F.P.Journe Astronomic Souveraine dos ©F.P.Journe

Quelle fut votre source d’inspiration?

J’avais retrouvé le dessin d’une montre que mon fils avait fait en 2003, avec le ciel passant dans un guichet, mais pendant des années, je n’ai pas trouvé la solution pour réaliser ce modèle. Au départ, je voulais que la montre soit animée par le mouvement automatique de l’Octa, avec des indications astronomiques beaucoup plus simples. J’ai dessiné sans fin mais cela ne fonctionnait pas. Je me suis alors demandé ce que j’avais fait de mieux dans ma vie et qui pourrait me servir de base. Et je me suis rappelé d’une montre de poche avec planétarium, une commande pour un collectionneur parisien d’objets scientifiques, que j’avais réalisée en 1987. Elle indiquait le temps moyen et le temps sidéral, l’équation du temps, un calendrier complet et la réserve de marche. A partir de ce moment, les idées sont arrivées d’un coup! Quelle autre complication fonctionnerait le mieux avec une montre astronomique? Une Répétition minutes. Et avec elle? Un tourbillon. Et avec lui? Un remontoir d’égalité pour ne pas troubler la précision de la montre, à cause de tout ce que le mouvement doit charrier. Je me suis alors mis au dessin et j’ai tiré sur le fil de mon idée.

Quand on regarde vos créations, de nombreux qualificatifs viennent à l’esprit, mais l’un des plus évidents c’est le mot « légèreté ».

C’est la règle d’or de l’horlogerie! L’Astronomic travaille avec le même barillet que le chronomètre souverain, dans cette montre il y a deux barillets, avec un ressort à peine un peu plus fort. Tout fonctionne bien, avec beaucoup de légèreté. C’est une grande complication, mais elle reste fluide.

Contrairement à la Grande Sonnerie, vous n’avez pas déposé de brevet. Pourquoi?

Parce que j’en ai assez de donner du grain à moudre à n’importe qui (rires). Je donne les solutions et d’autres les reprennent en les détournant légèrement, comme l’avait fait une manufacture avec sa pseudo Grande Sonnerie qui n’a jamais fonctionné. Dans mon brevet il était indiqué « le râteau au centre de la montre » et du coup ils l’ont décalé d’un millimètre pour qu’il ne soit pas au centre. Si, dans la revendication, j’avais écrit « dans une zone de 10mm au centre du mouvement », ils n’auraient jamais pu construire leur montre comme ils l’ont faite. Désormais, je fais de faux dessins et j’envoie les autres sur de mauvais chemins (rires). Même dans le film d’animation, on voit des choses qui n’existent pas, mais comme aucun bureau d’étude ne va se permettre d’acheter une Astronomic pour la disséquer, personne ne peut voir réellement ce que j’ai réalisé et donc je n’ai pas besoin de brevet.

Dans la première interview que vous m’aviez donnée en 1999, vous aviez dit que vous vous étiez fixé un défi pour les temps à venir: «dépasser la précision du quartz avec une montre mécanique». Considérez-vous y être parvenu?

Non. J’arrive à battre un très mauvais quartz (rires). Mon but est de faire l’horlogerie mécanique la plus précise au monde. Pour y parvenir, il faut éliminer deux choses: l’huile et l’imperfection du spiral, qui ne peut pas être complètement isochrone. Mais je n’ai pas encore trouvé comment les remplacer. J’ai plein de pistes pour remplacer le spiral. Il faudrait peut-être revenir à l’horlogerie du XVIe siècle, quand le spiral n’existait pas, combinée avec la technologie du XXIe siècle. Cela relève de la recherche fondamentale. Un jour j’attraperai peut-être un fil que je tirerai…