Messika, les secrets d’une success story
Valérie Messika a lancé sa marque en 2005 parce qu’elle ne trouvait pas de bijoux qui lui plaisaient sur le marché. Avec ses bagues et bracelets conçus comme des accessoires de mode, elle a conquis Beyoncé, les millenniaux, et tout une tribu de femmes. En juillet dernier, elle a lancé une collection haute joaillerie avec une parure créée autour d’une famille de diamants tous issus d’un brut de 110 carats. Comment en est-elle arrivée là? Retour sur les origines de la marque. Isabelle Cerboneschi
Valérie Messika est née dans les pierres précieuses: son père, André Messika, un grand diamantaire, l’a initiée très tôt aux diamants: à la manière d’un jeu d’enfant, il lui a permis d’aiguiser son regard.
Après des études de communication au Celsa Sorbonne à Paris, Valérie Messika a fait un remplacement au département marketing de la section horlogerie et joaillerie de Chanel. C’était en 1999, un siècle finissait et une carrière dans un monde de luxe et de beauté aurait très bien pu s’ouvrir devant elle. Mais c’était compter sans la puissance de la filiation. Son père, un acteur réputé dans le négoce des diamants depuis 1972, souhaitait avoir sa fille auprès de lui afin de préparer la suite. Valérie Messika n’a pas dit non et a découvert le monde du diamant par la meilleure des voies: avec un maître.
En 2003, son père est parti en Israël afin de faire évoluer son métier et devenir sightholder*. C’est le moment qu’a choisi Valérie Messika pour dessiner des bijoux, en se positionnant sur un terrain ou nulle maison ne se trouvait alors. Elle n’aspirait pas à devenir un nouveau Tati Or, ni même essayer de rentrer dans le cercle très fermé des grands joailliers: elle voulait créer des bijoux un peu rock, à son goût, qui puissent accompagner les femmes de jour comme de nuit et à des prix accessibles. Et c’est ainsi qu’en 2005, elle a lancé la marque qui porte son nom: Messika.
En juillet dernier, Valérie Messika a présenté à Paris « Beyond the Light », une collection de haute joaillerie inspirée de l’Egypte antique autour de diamants d’exception. La pièce maîtresse est une parure baptisée Akh-Ba-Ka créée grâce à une famille de 15 diamants tous issus d’un brut de 110 carats baptisé Tender Diamond. L’un d’entre eux, une pierre magnifique de 33 carats, orne le collier qui est une réinterprétation du mythique scarabée ailé égyptien.
Le diamant brut, qui été découvert au Botswana dans la mine Karowe appartenant à la compagnie minière Lucara Diamond, fut acheté juste avant le confinement de 2020 par Ilan Messika, l’un des frères de Valérie Messika, pour la société de leur père. Lorsque son frère lui a présenté cette famille extraordinaire de 15 gemmes, Valérie Messika a décidé d’acquérir l’ensemble. «Je souhaitais me challenger en utilisant les 15 diamants dans une même parure. Il s’agit d’un réel défi de haute joaillerie. Toutes les pierres n’avaient pas la même taille: certaines étaient très originales avec des formes plus fantaisies assez surprenantes. Mais parfois de l’imprévu, naissent les plus belles réalisations», explique-t-elle.
Cette marque de bijoux, que personne n’attendait lors de son lancement en 2005, a réussi à se faire une place au sein du monde très fermé de la haute joaillerie. Mais comment en est-elle arrivée là? Retour sur une success story.
INTERVIEW
Votre père est un diamantaire très connu. On développe sans doute un rapport moins « dramatique » avec les diamants quand ils sont votre terrain de jeu?
Valérie Messika : Cela reste toujours très émotionnel mais c’est beaucoup moins sacralisé en effet: c’est plus ludique. Mon attirance pour le diamant relève d’un lien de filiation. C’est un regard de petite fille porté sur un papa très charismatique et passionné par son métier. Je le suivais dans ses bureaux et comme je m’embêtais, il me mettait dans un coin avec des diamants sur la table et me demandait de faire le tri entre les pierres de meilleure qualité et les moins belles. Je posais des diamants sur mes doigts et j’imaginais qu’ils pourraient devenir une bague. Or quand j’ai créé des bijoux, je n’ai eu de cesse de faire disparaître la monture et laisser apparaître le diamant sur la peau des femmes, comme un tatouage, comme si la pierre volait. Comme quoi, les dix premières années d’un enfant marquent à vie…
Enfant, vous arriviez déjà à distinguer un diamant de belle qualité des autres?
Oui. J’ai tellement regardé de diamants à la loupe que je suis devenue obsédée par les détails.
Vous auriez pu continuer l’entreprise familiale. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre propre marque en 2005?
J’ai fait des études de communication au Celsa Sorbonne à Paris (l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication, ndlr) et j’avais pour vocation d’aller travailler dans une agence de publicité. Quand j’étais petite j’adorais regarder l’émission Culture Pub: j’ai toujours été fascinée par le pouvoir d’un logo, le storytelling des marques, le positionnement d’un slogan, et j’étais sûre que je travaillerais dans ce domaine. Mais comme j’étais la fille aînée de mon père, et que juste après moi, j’ai un frère handicapé, j’ai senti sur mes épaules le poids de la succession. Mon père m’a demandé un an de ma vie pour découvrir les coulisses de son métier. Nous avons parcouru le monde, nous sommes allés en Inde, à Anvers, nous avons rencontré ses clients de la place Vendôme, les banques, les employés. J’ai suivi cet entrepreneur passionné et expert jusqu’au jour où, deux ans plus tard, il m’a expliqué que le métier de diamantaire était en train de changer et que s’il voulait survivre dans ce métier, il devait monter dans la chaîne du diamant et partir en Israël, qui était devenue l’une des plus importantes bourses de taille.
Est-ce à ce moment que vous avez eu l’idée de créer une marque qui porte votre nom?
A l’époque, je trouvais les bijoux de diamants un peu poussiéreux: quand mes copines me parlaient de diamants, c’était pour me montrer leur bague de fiançailles. Ayant fait des études de marketing et de communication, je me suis dit qu’il y avait de la place pour une nouvelle marque de joaillerie jeune, cool, qui serait presque une concurrente aux marques de mode avec des prix entre 500 et 5000 euros. L’idée, c’était de faire une superbe bague en diamant pour le prix d’un accessoire et d’occuper le créneau du diamant facile à porter qu’une femme pourrait s’offrir comme un beau sac à main. Mon père m’a encouragée, conscient que je n’aurais pas pu grandir dans son ombre. En partant, il m’a libérée. J’ai commencé sans connaître quoi que ce soit aux techniques de la joaillerie et du sertissage et cette innocence m’a permis de repousser les limites techniques, en changeant les proportions et les équilibres, comme je l’ai fait pour mes bracelets avec mémoire de forme.
Avez-vous créé Messika parce que vous ne trouviez pas de bijou qui correspondait à votre état d’esprit?
A l’époque, je trouvais les bijoux de diamants un peu poussiéreux: quand mes copines me parlaient de diamants, c’était pour me montrer leur bague de fiançailles. Ayant fait des études de marketing et de communication, je me suis dit qu’il y avait de la place pour une nouvelle marque de joaillerie jeune, cool, qui serait presque une concurrente aux marques de mode avec des prix entre 500 et 5000 euros. L’idée, c’était de faire une superbe bague en diamant pour le prix d’un accessoire et d’occuper le créneau du diamant facile à porter qu’une femme pourrait s’offrir comme un beau sac à main. Mon père m’a encouragée, conscient que je n’aurais pas pu grandir dans son ombre. En partant, il m’a libérée. J’ai commencé sans connaître quoi que ce soit aux techniques de la joaillerie et du sertissage et cette innocence m’a permis de repousser les limites techniques, en changeant les proportions et les équilibres, comme je l’ai fait pour mes bracelets avec mémoire de forme.
Depuis vos débuts, vous avez choisi de ne travailler qu’avec le diamant, jusqu’en 2020 où vous avez introduit de la couleur. Pourquoi ?
La couleur, je l’ai introduite pour remplacer les aplats d’or par des pierres dures comme la malachite, l’onyx, la turquoise,… J’ai commencé à travailler avec ces matières avant le confinement et j’ai sorti la collection après. Ce sont des bijoux talismans où chaque pierre véhicule un message: « Be authentic », « Be passionnate », « Be unique ». On faisait d’ailleurs remplir un questionnaire aux femmes pour voir quelle pierre lui conviendrait le mieux. C’était une démarche très joyeuse au sortir d’une époque sinistre.
Le bracelet Move, avec son mini rail d’or où un diamant va et vient, est votre pièce iconique. Comment vous est venue cette idée?
Au départ, j’avais créé un bracelet comme une cage avec trois diamants. Puis je les ai fait bouger. Puis j’ai modifié le nombre des diamants. Je me suis amusée à le décliner au fil des ans.
Vous avez travaillé chez Chanel au département horlogerie joaillerie en 1999. Qu’en avez-vous gardé?
Travailler dans une maison qui a de l’âme et une histoire forte m’a beaucoup appris. Quand j’étais jeune on parlait beaucoup de Gabrielle Chanel, son appartement du 31 rue Cambon, de sa suite au Ritz, de ses goûts, de ses objets et de ses chiffres symboliques, tout ce storytelling autour d’une femme qui était disruptive dans son époque. Je m’étais dit que si un jour je créais une marque, j’aimerais qu’un message fort la soutienne. J’ai eu de la chance car ce message s’est écrit naturellement à travers l’histoire de mon père: je n’ai eu de cesse de défendre ce positionnement autour du diamant, cette expertise, cette transmission. Je crée afin de rendre les femmes plus belles, un tout petit peu plus sûres d’elles et pour parler du bijou comme d’un scintillement et pas comme d’un outil de pouvoir. Un bijou n’est pas un logo. Messika, c’est un petit supplément de lumière qui vous accompagne. J’ai la chance de pouvoir habiller des femmes très versatiles avec des styles, des goûts et des âges très différents. Je fais des bijoux intemporels qui rendent hommage au diamant et à la beauté de la femme.
En parlant de diamant, vous vous fournissez auprès de votre père?
Majoritairement.
Et votre société est familiale?
Oui, à 100%.
Vous avez certainement dû être approchée pour la vendre?
Oui, de nombreuses fois. Je ne dis pas qu’un jour je ne ferai pas entrer un investisseur minoritaire dans la société à hauteur de 20 ou 25% maximum. Cela aura un effet de booster. Mais je ne vendrai certainement pas ma marque à un grand groupe: ce serait me trahir.
Vous avez un atelier dédié à Paris mais il ne peut sans doute pas créer toute votre production. Comme la plupart des marques de la place Vendôme, vous travaillez certainement avec des ateliers indépendants. Où sont-ils basés?
Nous travaillons avec des ateliers à Besançon, en Italie, au Portugal, un atelier en Inde et c’est tout. Mais tout ce qui relève du prototypage et de la haute joaillerie est réalisé dans notre atelier à Paris. Nous n’aurions pas pu connaître une croissance aussi rapide si je n’avais pas été entourée de gens incroyables qui m’ont permis d’avoir un outil de production solide qui a pu suivre notre évolution.
En 2013, vous avez lancé votre première ligne de haute joaillerie. On ne pouvait plus parler de bijou à porter tous les jours. Était-ce une évolution naturelle de votre marque?
Oui, mais j’avais le trac. Je n’ai pas commencé par la haute joaillerie car c’était intimidant. Quand la marque a commencé à avoir une légitimité, je me suis dit que j’avais accès à des pièces incroyables grâce à mon père: alors pourquoi ne pas m’essayer dans cet exercice? Quand ma deuxième fille est née, je venais d’ouvrir ma boutique de la rue Saint-Honoré: j’avais enfin un temple pour y exprimer toute l’étendue de mes collections et j’ai décidé de créer un atelier haute joaillerie. Mon père m’envoyait des pierres et je ne créais plus à partir des dessins mais je composais à partir des gemmes.
Aujourd’hui on ne peut plus créer de bijoux sans prendre en compte les questions de durabilité et d’éthique. Avez-vous l’intention de participer à la Watch & Jewellery initiative 2030 initiée par les groupes Richemont et Kering?
Je n’avais jamais tellement accessoirisé mes collections et rarement des bijoux ont accompagné mes robes. Je me suis dit que j’allais en profiter pour le faire cette saison. En contraste avec ces robes vaporeuses j’ai eu envie de faire des bagues et des colliers avec des pierres précieuses géantes. J’ai demandé à Théophile s’il était capable techniquement de fabriquer des blocs de verre qui ne soient pas lourds et qui reproduisent les émeraudes, les citrines, les aigues-marines. Cela n’a pas été simple: il a fallu passer par les ateliers de Murano qui nous ont livré extrêmement tard. Une fois reçus mes blocs de verre de chaque couleur, j’ai pu les donner à Théophile pour qu’il s’en serve pour souffler les galets. Ensuite ceux-ci sont passés en d’autres mains pour la taille puis chez un joaillier pour le montage du métal. Ces gros blocs de cristal servaient à casser la ligne et apporter une forme de fantaisie.
Comment expliquez-vous l’engouement des millennials pour votre joaillerie?
Je n’aime pas parler en termes de segmentation mais votre question est intéressante parce qu’ils ont participé au succès de Messika et lui ont permis d’éclore dans ce milieu si traditionnel et fermé de la joaillerie. Nous avons rapidement parlé à cette nouvelle génération qui n’était pas consommatrice de bijoux. Les nôtres étaient assez modernes, purs, notre offre était accessible et le ton de notre communication reprenait les codes de la mode. Tous ces facteurs ont fait que nous avons attiré cette population. J’étais jeune à l’époque, j’avais 29 ans, et je voulais créer des bijoux cool que je voulais porter. Les choses se sont faites naturellement, comme cela.
Selon Forbes, Beyoncé a vu votre bague Glam’Azone qui couvre deux phalanges dans l’une des vitrines de l’hôtel Royal Monceau où elle résidait et vous la lui avez offerte. C’était un geste qui a fait son chemin. Pouvez-vous en dire plus?
Je ne peux pas dire que j’ai du succès parce que je suis talentueuse: j’ai du succès parce que j’ai un peu de talent, parce que je suis arrivée au bon moment et aussi parce que les planètes se sont alignées. Beyoncé s’était installée avec JayZ à Paris au Royal Monceau en 2015. J’ai appris par sa styliste qu’elle avait vu ma bague et qu’elle en était en tombée amoureuse. Au début, j’ai cru que c’était une blague. Puis j’ai décidé de la lui offrir en prenant le risque que ce soit une arnaque. Je n’avais pas grand chose à perdre et dans le meilleur des cas, j’espérais avoir droit un jour à une photo d’elle avec la bague. Quelques jours plus tard, des gens m’envoyaient des photos du compte Instagram de Beyoncé où l’on voit ses doigts, un bout de la bague devant la Joconde, au Louvre. Elle n’a pas tagué Messika, évidemment, cela aurait été de la publicité gratuite, mais j’ai décidé d’envoyer un communiqué de presse disant que Beyoncé aimait bien une marque de bijoux française qui s’appelle Messika qu’elle allait visiter le Louvre avec sa bague. La news a tout de suite fait le tour du monde et cela m’a fait une publicité auprès des stylistes de Los Angeles où elle a une telle influence. Et de fil en aiguille, cela nous a amené plein de nouvelles célébrités.
Dans le clip de la chanson Apeshit de Beyoncé et Jay-Z qui a été filmé au Louvre, on la voit portant votre parure de diamants Persian Drops. Comment cela s’est-il passé?
C’était fou! J’avais déjà lié des liens assez forts avec l’équipe de Beyoncé lorsque l’on m’a demandé de lui prêter la parure, mais à une condition: que ce soit sans garde du corps. Je ne savais pas qu’ils allaient tourner un clip avec: cela s’est fait dans le plus grand secret. Je savais juste que la parure devait être livrée au Georges V. J’ai appelé mon père, ne sachant que faire et il m’a répondu qu’il fallait lui faire confiance et qu’il était mon assureur. Le lendemain, j’ai récupéré la parure à l’heure du déjeuner, tout s’était bien passé, et la styliste m’a dit que j’allais avoir une super surprise. Un dimanche matin, je découvre cette image de Beyoncé en costume rose avec mes boucles d’oreilles, mon collier et la Joconde derrière elle. Comme la première photo qu’elle avait postée avec la bague. J’aurais voulu écrire un scénario, je n’aurais pas osé faire quelque chose d’aussi audacieux! Beyoncé est tellement puissante qu’elle aurait pu choisir n’importe quelle marque. C’était un énorme cadeau. Ce sont des choses que vous ne contrôlez pas: vous avez de la chance et vous remerciez votre bonne étoile.
* Un Sightholder est un négociant pouvant acheter aux grandes entreprises d’extraction un lot de diamants « à vue ». Il s’agit d’un privilège réservé aux négociants les plus expérimentés et les plus fortunés. Les sightholders proposent ensuite ces diamants aux acheteurs ou courtiers potentiels.