« Ma vie est au delà de mes rêves »
La dernière tournée de Matthieu Chedid, aka M, a été interrompue pour cause de confinement. Heureusement, le concert à Bercy a été filmé et un coffret DVD qui retrace cette expérience unique, sort ces jours. Interview tout en douceur. Isabelle Cerboneschi
Matthieu Chedid est dans sa maison, à la campagne, lorsque je l’appelle en ce beau matin d’automne. Il vit dans un lieu enchanteur, avec un jardin en permaculture, un studio d’enregistrement à l’ancienne et des couleurs partout. C’est depuis cette maison rêvée qu’il a donné des concerts pendant le confinement, après l’arrêt forcé de sa tournée « Le Grand Petit Concert ».
Pour ceux qui ont eu la chance de le voir, ce fut un moment unique : il était seul sur scène, tel un homme orchestre surdoué, juste accompagné d’un étrange automate musical. Et il traversait la salle avec son piano, avec sa guitare, grimpait dans les travées pour tendre le micro à un enfant, comme si c’était la clef pour entrer au pays des merveilles.
Ceux qui n’ont pas eu la chance de le voir pourront regarder la vidéo du concert qu’il a donné à Bercy. Et comprendre a posteriori combien ces expériences que l’on a pu vivre avant mars 2020, ces moments de partage chaleureux, doux et enthousiasmants, furent précieux.
INTERVIEW
L’arrêt de la tournée du Grand Petit Concert, qui a remporté un succès fou, a dû être un choc brutal pour toi comme pour tes fans et nombreux sont ceux qui n’ont pas pu y assister. Partager avec ceux qui n’y étaient pas, est-ce la raison d’être du DVD retraçant le concert ?
Matthieu Chedid : Le concert de Bercy avait été filmé, on avait des images magnifiques, et on pensait en faire un DVD souvenir, mais avec le confinement, on a préféré immortaliser ce concert unique et retravailler entièrement le montage. La monteuse, qui s’appelle Olivia, avait déjà travaillé y a plus de vingt ans sur mon premier DVD « Le tour de M », réalisé à l’époque par ma soeur Emilie. C’était l’un de mes premiers concerts et cela m’avait beaucoup marqué. Faire ce coffret, c’est une façon de garder ces moments dans nos coeurs, et conserver une trace de ce concert atypique que je ne referai sûrement plus jamais de cette façon. Cela appartient à une autre époque.
Il n’y aura plus de concert comme celui-ci ?
M. : Si, sans doute, mais il y aura un avant et un après. C’était un moment d’insouciance. Cette période conduira peut-être à une prise de conscience, et nous permettra de nous rendre compte de la chance que l’on a eu de vivre ces concerts ! J’ai vu hier mon père (Louis Chedid) jouer à Maisons-Alfort, dans un beau théâtre, devant un public masqué. C’était mon premier concert depuis le confinement. J’étais en famille avec mon frère et mes soeurs et c’était très beau, très émouvant. Les concerts ne sont pas anodins : ce sont des moments sacrés. On va sans doute réinventer la manière de partager la musique, mais pour l’instant il y a des incertitudes sur la manière dont tout cela va évoluer.
Quel est ton plus beau souvenir de cette tournée ?
M. : L’interaction avec le public ! Il y avait une vraie communion. Mais j’aimais particulièrement ces moments uniques, quand j’étais dans la foule avec mon piano, quand j’invitais un enfant à venir chanter, ou des gens à venir danser. Cela laisse une empreinte émotionnelle très forte. Chaque soir, c’était différent. Pour qu’un spectacle comme celui-ci soit fluide, cela implique tout une organisation qui relève de l’horlogerie suisse. Je suis seul sur scène, mais derrière, dans les coulisses, il y a une équipe technique qui travaille à l’unisson. D’ailleurs, dans le DVD, un bonus qui s’appelle « L’équipage » dévoile l’envers du décor. C’est une épopée d’être seul sur scène !C’est très physique. Il faut s’entraîner comme un sportif de haut niveau.
Pendant le confinement, tu as offert des concerts mémorables, comme si tu invitais tout le monde dans ta maison. Qu’en reste-t-il ?
M. : Il en reste de grandes émotions. Ce confinement fut paradoxalement un moment privilégié que j’ai vécu avec ma fille, mon fils, ma femme : une bulle d’amour où tout s’est arrêté. J’ai le sentiment d’avoir été privilégié et j’ai voulu partager cela avec les gens qui avaient besoin de s’alléger les idées. On a donc inventé ces petits concert thématiques et ludiques. C’était très joyeux et même si la période était anxiogène, ce fut une parenthèse enchantée. Nous avions envie de diffuser de bonnes ondes. C’était comme une mission que nous ne pouvions pas refuser et cela nous rendait joyeux. Par rapport à un concert normal, un concert via les réseaux sociaux, c’est beaucoup moins chaleureux, car on est seul face à un téléphone portable, mais ce qui est troublant et beau, c’est que l’on recevait des témoignages immédiats des gens, des petits mots, des histoires personnelles… On pouvait prendre conscience de certains vécus parallèles au nôtre. Ce fut une expérience marquante, la preuve qu’il existe d’autres façons de communiquer en musique.
Te souviens-tu de ton premier contact avec une guitare et l’émotion ressentie ?
M. : Ce fut un chamboulement intérieur. Quand j’avais 12-13 ans, je jouais pour m’amuser, avec une seule corde. Et puis un jour, David McNeil, un grand auteur-compositeur et un copain d’Alain Souchon, m’a appris les accords fondamentaux. Et là, j’ai compris la puissance de la guitare, des accords, de l’harmonie. J’ai ressenti un vrai coup de foudre pour cet instrument. C’est devenu passionnel : la guitare est restée mon obsession. Et ce qui est drôle, c’est que trente ans plus tard, j’ai demandé à David McNeil, de m’écrire la chanson « Une seule corde », qui raconte cette histoire-là.
Ensuite tu as étudié la guitare au Berklee College of Music ?
M. : J’y suis resté quelques mois, pendant un stage d’été, pour voir si cela me donnait envie d’y passer l’année complète, mais je me suis vite rendu compte que l’école et moi, cela ne fonctionnait pas. J’ai fait plein de tentatives dans des écoles, des conservatoires, mais le côté compétitif me faisait perdre tous mes moyens. Je redevenais le mauvais élève que j’ai toujours été. Cela m’a presque dégouté de la musique. Ma vraie école, ce fut celle de la vie et des groupes. Le premier dans lequel j’ai joué, c’était Les Bébés Fous, qu’on avait créé avec Pierre Souchon, Julien Voulzy et plein d’amis. Il y a eu aussi Tam Tam – Mat Mat à l’envers – avec Mathieu Boogaerts. Il y a même eu le Matthieu Chedid Group, qui est l’ancêtre de M. On a aussi fait une tournée avec le Jane X Band, un groupe de blues où je remplaçais le guitariste de Dr. Feelgood, puis mon père m’a demandé de l’accompagner sur scène pendant deux ans. J’ai arrêté l’école en terminale, en plein milieu de l’année scolaire. J’ai quand même passé mon bac de manière désintéressée, mais je ne suis pas allé voir les résultats. J’ai eu la chance incroyable de ne jamais devoir demander un sou à mes parents depuis l’âge de 17 ans car je me suis débrouillé à vivre de ma musique.
Pour ton premier album solo « Le Baptême »en 1997, tu as créé M. Avais-tu besoin d’un avatar, d’un double imaginaire pour porter l’album sur deux paires d’épaules ?
M. : J’ai cherché mon clown, ma fantaisie, mon double imaginaire. J’avais besoin de cela pour m’amuser, pour sortir de ma timidité, et de ce soupçon d’être un fils à papa, toujours un peu lourd, que l’on me ressortait à chaque fois.
D’où est venue l’inspiration pour ce personnage et sa coiffure en oreilles de Batman ?
M. : D’un amalgame de choses, de tout ce qui m’a marqué enfant. Déjà, je me suis demandé comment dessiner un M avec mes cheveux. J’ai rembourré les côtés pour faire les pointes qui montent, et j’en ai rabattu une sur le front. Une fois que j’ai su me coiffer en M, il a fallu lui trouver un look. Je me suis inspiré de Prince, de Sgt. Pepper des Beatles. Puis avec Emilie, ma soeur, et mon amie d’enfance Lisa Roze, on a eu l’idée de créer tout un monde imaginaire autour de M. J’en ai eu besoin pour mieux vivre ma vie.
Ta voix est particulière, elle monte très haut dans les aigus. Est-ce que tu as dû l’apprivoiser ?
M. : Même aujourd’hui, je ne me considère pas chanteur, bizarrement. Je suis un guitariste qui chante. Ma voix est un mimétisme de mon instrument : je tire les cordes de ma guitare comme je tire mes cordes vocales. Ma soeur Anna ou ma fille Billie ont des vraies voix de chanteuses. La mienne est un peu légère. Je l’ai acceptée avec le temps, mais je ne l’ai jamais vraiment assumée.
Tes racines sont libanaises et égyptiennes par ta grand-mère et ton père. Qu’as-tu hérité de l’Orient ?
M. : Je me rends compte de mes origines à travers les mots de ma grand-mère, cette poésie. Quand je croise des Orientaux, j’ai l’impression d’être en famille. J’ai été bercé par les roulements des « r » de mes grands-parents, un sourire dans les yeux. Cela fait partie de ma culture et de mon enfance. Ma grand-mère a aussi une vision du monde qui me touche.
Quelle vision du monde ?
M. : Elle a quelque chose de très humaniste, à l’image de cette phrase que j’avais écrite en exergue de mon album Lamomali : « Toi, qui que tu sois, je te suis bien plus proche qu’étranger ». Elle était enthousiaste, à l’écoute de l’autre. Nous avons tous eu la chance d’avoir hérité cela dans la famille, cette écoute, cet intérêt pour autrui. Et tout en étant consciente des drames du monde, elle nous a appris à toujours célébrer la vie. Elle est toujours très présente en moi. Je n’ai pas fait un seul concert dans ma vie sans évoquer ma grand-mère. Elle m’a écrit des chansons et à chaque fois que je les chante, je l’évoque. J’ai besoin de parler d’elle.
Si tu pouvais t’adresser à l’enfant que tu as été, pas très intéressé par les études et un peu timide et solitaire, que lui dirais-tu ?
M. : Je crois que je lui dirais : « N’aies pas peur ». Enfant, j’avais très peur de la vie, j’étais introverti, j’avais un tel manque de confiance en moi. Je n’aurais jamais imaginé devenir l’homme que je suis. Ma vie est au delà de mes rêves ! Et la musique m’a sauvé.