L’artiste aux cent mille pétales

Claire Boucl est pétaliste. Une artiste qui utilise les fleurs comme d’autres la peinture. Elle crée des installations éphémères et a participé à la création des bagues les Fleurs Eternelles pour Boucheron. Discussion avec une amoureuse des plantes. Isabelle Cerboneschi

Claire Hugault, alias Claire Boucl est pétaliste. Ce métier existe puisqu’elle l’a inventé. C’est l’un des plus jolis, des plus poétiques métiers du monde. Avec peut-être marchand de sable ou couturier des fées…

C’est venu comme cela. « Mon rêve était de faire l’école des Baux Arts mais venant d’une famille très modeste, cela rassurait mes parents que je me forme à un métier .» Elle a étudié le design textile, puis elle a bifurqué vers l’art et la nature, car il est difficile de nier ses passions. « J’ai commencé par faire des installations éphémères avec des pétales de fleurs en 2001. Et comme tout le monde me demandait en quoi consistait mon art, j’ai dit que j’étais pétaliste et que je pétalisais. » Pétaliser. Quel joli verbe… Aussi joli que les œuvres sortant de ses doigts.

En 2001 elle est invitée à se rendre dans une résidence d’artiste en Australie, à Flotting Lands, dans le Queenslands. On lui a demandé de s’inspirer de l’environnement pour réaliser une installation in situ. « Or l’endroit où l’on se trouvait avait été totalement calciné par un incendie. Le décor était apocalyptique mais la nature commençait à se régénérer. J’ai commencé à pétaliser des arbres qui avait explosé sous l’effet des flammes, avec des pétales rouges pour symboliser leurs blessures. Et le fait d’apposer des milliers de pétales un par un, pendant des heures c’était comme un baume guérisseur. Mon travail est en symbiose avec la nature et l’environnement », explique-t-elle.

Elle s’est mise à faire des graffitis végétaux éphémères dans Paris. Elle a recouvert des murs, des voitures, des portes, des grilles. « Je voulais faire en sorte que l’art soit disponible aux passants dans la rue. Cela touchait les gens de culture variées. C’était devenu un vecteur de communication. Au début des années 2000, en France, on parlait beaucoup du street art, et je passais des heures dans la rue pour faire mes grafs végétaux. Souvent les gens qui me voyaient faire de loin pensaient que c’était de la peinture et en s’approchant ils voyaient que j’avais des bouquets de fleurs à côté de moi et que je faisais quelque chose d’extrêmement minutieux et fragile. C’était une invitation à s’arrêter et les gens commençaient à discuter avec moi. Je les incitais à s’attarder devant la poésie, la beauté qui nous entoure. »

L’œuvre de Claire Boucl est destinée à se désintégrer. L’artiste a dû apprendre à créer ses propres matières pour travailler et coller les pétales. « Quand on colle des fleurs sur des arbres ou des bâtiments, c’est primordial d’utiliser des colles naturelles respectueuses de l’environnement, j’en ai donc créées, issues de recettes de grand-mères, avec des farines bio, de l’eau, des choses qui se dégradent ou qui peuvent être mangées par les insectes, sans endommager le support où j’ai apposé mes pétales. »

Claire Boucl a deux spécialisations, la pétalisation et les installations de branches qu’elle tord, et noud et avec lesquelles elle réalise une sculpture naturelle. Pour l’instant ce sont des fleuristes qui lui fournissent la matière première nécéssaire à l’exercice de son art, mais son rêve serait d’avoir un jardin et de faire pousser ses fleurs de façon bio. Un rêve en passe de devenir réalité : « Je viens d’acquérir une maison au sud de Fontainebleau et j’espère que dès le printemps prochain je pourrai utiliser mes propres fleurs, de façon bio, sans pesticides. J’ai la chance d’avoir déjà des pivoines, des iris, des tulipes, des pavots orientaux. J’aimerais planter des espèces en voie de disparition. Selon le Rapport 2016 sur l’état mondial des plantes, « The State of the world’s plants 2016 » publié par le Kew Garden, environ 20% des espèces existantes sont en voie de disparition.

Cela fait une quinzaine d’années qu’elle parsème les rues, les forêts, les visages, d’œuvres d’une poésie folle, a vie des autres, et pourtant, pendant 13 ans, impossible de gagner sa vie avec son art. « J’avais rencontré tout le monde, des hommes et femmes politiques, des artistes, des maisons de luxe. Ils étaient tous fascinés par mon travail, mais cela n’aboutissait jamais à rien. Un jour, j’ai décidé de tout arrêter. C’était en été 2016. Avec mon mari, nous avons décidé de prendre des vacances et le premier jour je reçois un appel : une femme que j’avais rencontrée quelques mois auparavant, venait d’entrer chez Boucheron, avait parlé de moi lors d’une séance, et la directrice artistique voulait me rencontrer. Une semaine après je rencontrais Claire Choisne et nous avons commencé à travailler sur le projet des Fleurs Eternelles.

Les Fleurs Eternelles sont sans doute les bijoux les plus poétiques qu’il m’ait été donné de découvrir. Il s’agit de bagues ornées d’une pierre de centre et de véritables pétales immortalisés sous une laque translucide. Des fleurs de doigt d’une beauté folle. « Boucheron a mis sur pied un laboratoire de recherche et développement spécialement pour ce projet. La préparation a duré deux ans, pendant lesquelles nous ne savions pas si l’idée était réalisable. Nous avons d’abord dû sélectionner les fleurs avec lesquelles travailler. Il faut qu’elles gardent leur couleur naturelle, sans ajout de colorant, ni de produit chimique. J’ai dû stabiliser environ 10’000 pétales d’une centaine de fleurs différentes. Ils ont été testés par un chercheur du CNRS pour voir s’il résistaient à la lumière. Mes pétales étant plats comme des feuilles d’or et souples, ils fallait réussir à les coller, les protéger avec une sorte de laque qui les solidifiait, sans les abîmer. » La collection a vu le jour en décembre 2018.

Le lien entre Claire Boucl et les fleurs, les plantes est au delà des mots. Elle ressent leur beauté, leur fragilité, leur force aussi. Cela relève d’un dialogue mystérieux. « Mon père avait planté un bambou que j’avais récupéré lorsqu’il s’était séparé de mère, explique-t-elle. Il est décédé il y a onze ans et ce bambou, c’est la seule chose de vivante qui me reste de lui. C’est l’objet le plus sacré que je possède. »