« Les diamants gris évoquent une journée genevoise. C’est froid, discret, mais chic »

Rien dans les bijoux de la marque Jaqueline Powers, créée par le coproducteur exécutif de la série GOT, n’évoque l’univers inspiré par les ouvrages de George R.R Martin. Il faudrait plutôt regarder du côté du livre l’Eloge de l’ombre, de Junichirô Tanizaki, et découvrir un univers subtil où la beauté naît de la nuance, de la patine et de l’usage. Rencontre dans le Village des Designers lors du salon GemGenève. Isabelle Cerboneschi

En passant devant le stand de la marque Jaqueline Powers, lors du dernier salon GemGenève qui s’est tenu en mai, impossible de détacher mon regard d’un collier: il avait l’allure d’un torque celtique qui aurait fait un saut quantique jusqu’au XXIe siècle. La pièce est en bronze ornée d’un diamant brun. Lorsque l’on a tout ôté, sauf l’essentiel, ne reste qu’une forme de beauté.

Le nom de Vince Gerardis est plus connu dans le monde du cinéma que dans celui de la joaillerie. Il est notamment le coproducteur exécutif de Game of Thrones et de House of the Dragon, pour lesquels il a remporté quatre Emmy Awards dans la catégorie Outstanding Drama Series respectivement en 2015, 2016, 2018 et 2023. Et pourtant, les bijoux ont toujours fait partie de sa vie. Son père était sertisseur de diamants et lui-même fut un négociant, actif dans le commerce et l’importation de diamants.

Avant de créer une ligne de joaillerie, Vince Gerardis a commencé à collectionner des bijoux. En 2019, il a vendu chez Sotheby’s une pièce de sa collection: une broche de l’époque Victorienne en rubis et diamants représentant le Sacré Cœur. Ce bijou, datant de la seconde moitié du 18e siècle, avait appartenu à Dame Joan Evans, une historienne spécialisée dans l’art médiéval et l’histoire de la joaillerie.

On aurait pu penser que sa passion pour la littérature Fantasy, qu’il ne se prive pas d’évoquer pendant la conversation, l’aurait conduit à aimer les pièces de l’époque victorienne, or sa dernière acquisition, révèle-t-il, est une bague de Suzanne Belperron d’une grande pureté. Tout comme l’est la collection Jaqueline Powers qu’il a présentée à Genève pour la première fois.

Il travaille en tandem avec la designer Corina Tahuil. « Je finance le projet, j’en suis le propriétaire et le responsable. Corina est à la tête de notre équipe de création et supervise d’autres concepteurs externes. Elle nous aide également dans de nombreuses tâches liées à l’infrastructure », explique Vince Gerardis. Quant au nom de la marque, un brin cryptique, il s’agit simplement de celui de la mère de Vince Gerardis dont on retrouve le portrait sur la page Instagram de Jaqueline Powers.

Pour être accueilli dans le cercle très fermé du Village des designers, qui rassemble les nouveaux noms de la joaillerie et les étoiles montantes de la profession au sein du salon GemGenève, il faut avoir été adoubé par la découvreuse de talents Nadège Totah. « Un ancien exposant m’a présenté Vince Gerardis et Corina Tahuil à Miami lors du Miami Beach antique show. Ils m’avaient contactée auparavant afin de postuler pour exposer mais je n’avais pas eu le temps de leur répondre. lls ont commencé à me présenter quelques bijoux, Corina m’a parlé des diamants, du nombre de carats, mais je l’ai arrêtée car ce n’est pas un critère déterminant pour moi. Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire qui se cache derrière les bijoux. J’aimais bien leurs choix esthétiques et j’ai validé. A ce moment précis, je ne savais pas du tout qui était Vince Gerardis. On m’a dit après coup qu’il était le coproducteur de Game of Thrones. Je trouve très intéressant qu’il travaille avec des diamants bruns ou gris alors qu’il a les moyens de choisir des diamants D Flawless. », explique la co-organisatrice de GemGenève.

La collection présentée à Genève par la marque Jaqueline Powers affiche les couleurs de l’ambre et le gris du ciel que les Genevois connaissent bien: celui des jours où le soleil ne réussit pas à transpercer les nuages. Les bijoux sont en bronze ou en or, sertis de diamants aux teintes atténuées, des bruns ou des gris. Ce n’est pas commun.

INTERVIEW

Les tonalités de votre première collection sont dans des tons assourdis de bruns et de gris. C’était voulu?

Vince Gerardis: L’idée est de concevoir deux collections par an, comme dans le monde de la couture. Celle-ci est notre première collection automne/hiver 2024-25. Nous avons choisi des teintes discrètes. Il nous a semblé que ce serait approprié pour un pays comme la Suisse, où nous présentons la collection pour la première fois. La marque est originaire de Miami et nous avons l’intention d’utiliser des couleurs vives, brillantes, audacieuses, pour l’été prochain. Nous ne nous précipitons pas, nous n’avons pas l’ambition de devenir le plus grand bijoutier du monde. Il s’agit d’art, de design, de mode et de style.

Il existe de plus en plus de marques indépendantes. Qu’espérez vous apporter au monde de la joaillerie?

Je suis parti du principe que trop de marques qui se lancent deviennent trop vite extravagantes. Je souhaitais entrer dans ce monde avec l’idée de faire des bijoux classiques, mais en faisant un pas de côté. Pour cette collection, j’ai choisi d’utiliser des diamants bruns et des gris. Montrez-m’en sur ce salon? Personne ne fait de diamants gris. Le titane et les diamants gris, c’est une harmonie. Cela évoque une journée genevoise. C’est froid, discret, mais avec beaucoup d’allure. Les diamants bruns sont généralement considérés comme des pierres bon marché et les gens essaient de les vendre comme des diamants  » chocolat  » ou  » miel « , mais la plupart ne sont pas très attrayants à mon avis. En revanche, lorsque vous trouvez un diamant brun vraiment étonnant, vous pouvez créer quelque chose d’unique et de frais.

Vous dites que vous avez voulu faire un pas de côté. Lorsque vous avez décidé de créer une ligne de bijoux, avez-vous défini une signature, une esthétique propre à la marque ?

Honnêtement, nous avons commencé avec un peu d’insouciance, sans avoir une idée précise de ce qui allait émerger. Puis, au fur et à mesure que nous développions les trente premières pièces, nous avons essayé beaucoup de choses différentes, nous avons démonté des bagues, enlevé les pierres et refait le tout, jusqu’à commencer à voir une voix se dessiner clairement. Je pense que tout bijoutier, lorsque l’art fait partie de son inspiration, passe par différentes phases. Une année, on peut choisir de créer des bijoux en métal noir, la suivante utiliser la fibre de carbone, l’année suivante de grosses pierres, puis du blanc, etc. Pourquoi ne pas se le permettre ?

Pourquoi avez-vous décidé d’utiliser une monture en bronze pour certains de vos bijoux ?

L’or a son importance, mais tout le monde connaît ce matériau, c’est pourquoi nous voulions faire quelque chose de différent. La couleur du bronze change avec le temps… Plus on l’utilise, plus la matière change. Certains bijoux évolueront et s’ils ne vous plaisent plus, vous nous ramenez votre bijou et nous en modifions à nouveau la couleur, c’est ce qui est amusant.

Et pourtant il y a de l’or caché à l’intérieur des montures.

Oui et pour deux raisons : la première est la subtilité. L’or est présent, mais seule la personne qui porte le bijou le sait. La seconde est le confort: l’or est plus doux à porter sur la peau.

Peut-on voir cela comme un plaisir égoïste ?

Je ne l’ai jamais envisagé sous cet angle, mais peut-être un peu. On n’a pas besoin de se vanter.

Y a-t-il un esprit américain dans votre marque ?

Je ne sais pas comment répondre à cette question, car je n’exagère pas en disant qu’avec Corina, les bijoutiers et d’autres personnes, nous avons eu cette conversation au moins 80 fois. Existe-t-il un moyen unique d’identifier ce que nous sommes ? Non. Nous avons créé une bague inspirée par Suzanne Belperron. Nous avons des pièces dont le design est très latino-américain et espagnol, mais qui ne sont pas présentées à Genève. Ce n’est pas seulement une question de géographie : c’est une question de mentalité, de timing, de position sur le marché.

Quels sont vos rêves pour la marque ?

Qu’elle s’autofinance que que les gens l’apprécient. Je serais heureux de vendre quatre pièces par mois. Et si elle se développe, tant mieux ! Le secteur de la joaillerie, comme tout autre secteur, est terrifiant si vous avez besoin de faire de gros bénéfices pour payer vos factures. Je ne veux pas me retrouver dans cette situation. Nous espérons que nos bijoux généreront suffisamment de revenus pour que la marque puisse continuer.