Alexandre Wetter, il est elle
Le mannequin androgyne tient le rôle principal du film Miss du réalisateur franco-portugais Ruben Alvès. Il joue le rôle d’Alex, qui rêve de devenir Miss France depuis qu’il a 9 ans. Un film bouleversant sur les limites que l’on se pose et sur les attentes que les parents, les amis, la société, projettent sur les êtres. Interview téléphonique. Isabelle Cerboneschi.
Alexandre Wetter s’habille en fille, mais biologiquement, il est né garçon. Il aimerait que, lorsque l’on pense à lui, on cesse d’évoquer le concept de « fluidité des genres » qu’il ne supporte plus. Cela peut se comprendre : il n’y a rien de plus agaçant, quand on souhaite s’affranchir de son identité sexuelle, de se retrouver avec une nouvelle étiquette collée sur le front. Alexandre Wetter est au delà des genres : il évoque à merveille le mythe de l’androgyne platonicien et sa beauté d’homme au féminin est fascinante.
Je l’avais vu pour la première fois, en janvier 2016. C’était lors du défilé de haute couture Jean Paul Gaultier sur le thème du Palace, le fameux temple des nuits parisiennes des années 80. Alexandre Wetter portait un corset, des talons, il jouait de sa beauté aguichante. Je ne m’étais même pas rendu compte que c’était un garçon. Cet automne il joue le rôle principal du film Miss, du réalisateur franco-portugais Ruben Alvès, et en regardant l’affiche on se demande comment un homme peut dégager une telle féminité naturelle ?
Miss, c’est l’histoire d’un petit garçon, Alex, qui, devenu grand, veut réaliser son rêve d’enfant : devenir Miss France. Il vit dans une communauté peuplée de personnalités borderline qui vont tous l’aider à s’approcher au plus près de son rêve. Les personnages sont poignants, touchants, bouleversants, ridicules, courageux, lâches, comme dans la vraie vie. Rien n’est faux, poussé, caricatural, dans ce film. Tout est nuancé et subtil.
Le pitch peut sembler simple mais le film de Ruben Alvès ne l’est pas. Il s’agit d’une exploration, non pas sur l’identité, ni même sur la fluidité des genres, mais sur les limites que peut se fixer un être en quête de ses rêves. L’enjeu du film est là : prouver que tout, ou presque, est possible, malgré les projections et les attentes des parents, des amis et de la société. Il s’agit du premier vrai rôle d’Alexandre Wetter au cinéma et il surprend par la justesse de son jeu.
INTERVIEW
Ce film n’est pas une réflexion autour du genre mais autour des croyances : peut-on être qui l’on veut ?
Alexandre Wetter : Oui, à partir du moment où l’on arrive à se détacher de ce que l’on projette sur nous et prendre suffisamment de recul. Les parents, la société ont des attentes, même avant la naissance, alors que l’enfant, lui, n’a rien demandé. C’est un travail très difficile de se détacher de tous cela. Il faut savoir tout déconstruire pour mieux se connaître, comprendre ses aspirations, ses envies.
Est-ce vous ou le personnage qui parlez ?
C’est moi, mais le personnage parle aussi. Je travaille depuis des années sur ma propre féminité en tant qu’homme. J’avais entamé des recherches sur mon identité pendant mes études d’arts plastiques, à travers des performances, et je les ai poursuivies quand j’ai fait du mannequinat. Je m’étais inscrit dans des agences à la fois comme mannequin homme et comme mannequin femme. L’univers de la mode répond à des codes de beauté très particuliers et j’ai vécu cette expérience professionnelle comme une performance. Je me suis demandé comment incarner les codes précis de la féminité, pour ensuite être à même de comprendre ce qui se passait à l’intérieur de moi, y compris les conflits. Les combats à mener à l’extérieur aussi. C’est intéressant d’observer ce que la société attend de vous. Le regard de l’autre fait souvent beaucoup plus souffrir qu’autre chose.
Où avez-vous étudié les arts plastiques ?
J’ai fait mes études à l’Université de Toulouse. Au collège, j’étais un élève relativement médiocre et on m’a placé dans une filière professionnelle pour obtenir un BEPC de comptable. Mais je n’étais pas fait pour cela ! Même l’école ne nous aide pas à devenir qui l’on est ! On ne vous y apprend pas l’échec, non plus. Après la comptabilité, j’ai pu entrer à l’université, malgré ma « médiocrité », et j’ai pu me livrer à un tout autre type de réflexions, notamment sur l’identité et le genre, sujets qui me touchaient particulièrement. Quand j’était jeune, je ne pouvais pas explorer mon féminin sans être moqué, attaqué, mal compris. L’univers de l’art, de la mode, ou encore du cinéma, sont des espaces de liberté qui permettent ce genre d’explorations. On nous pardonne. Je cherchais un moyen de me faire pardonner le fait d’explorer ma féminité. Alors qu’il n’y a absolument rien à pardonner.
Vous jouez le rôle d’un homme qui, enfant, rêvait de devenir Miss France. Avez-vous accepté de jouer ce rôle parce que cette démarche correspondait à votre propre recherche ?
Le scénario de Miss est né de la rencontre entre Ruben et moi. Il n’avait pas encore écrit le scénario du film. Il cherchait quelqu’un qui avait une aisance à embrasser sa part féminine et masculine, mais pour un tout autre projet. Finalement, Miss est né de notre rencontre. Toutes mes recherches antérieures, je l’es ai offertes à Ruben. Je n’avais jamais joué, c’était ma première expérience en tant qu’acteur.
Pourtant vous avez joué dans la série Versailles pour Canal Plus?
C’est drôle car tout le monde m’en parle ! Malheureusement, j’étais seulement une silhouette dans cette série, ce qui est un tout petit peu mieux que figurant, mais je ne parlais pas, je ne jouais pas, j’incarnais juste l’image d’un mignon, en costume. Je suis content d’avoir marqué les esprits alors que je n’ai rien fait ! (Il éclate de rire). C’étaient mes premiers pas dans l’univers du cinéma. J’étais un spectateur : je regardais comment tout cela se passait. Ruben m’a offert cette magnifique opportunité d’incarner un personnage assez proche de moi. Alex est orphelin, il s’est débrouillé tout seul, il est beaucoup plus fort que moi. J’ai beaucoup d’admiration pour ce personnage. Ce rôle m’a fait grandir.
En quel sens ?
Ce qui m’a fait grandir, c’est d’avoir retrouvé l’enfant que j’ai été, ses désirs et ses espérances. Quand j’ai pu regarder en face cet enfant et lui dire : « je t’ai perdu, mais désormais je vais réaliser ton rêve », cela m’a fait grandir. Depuis ce film je ne suis plus le même homme.
Quel était votre rêve d’enfant?
Bizarrement, je voulais vivre des aventures, être Indiana Jones, partir, trouver des trésors. En un sens, le trésor, aujourd’hui, je le trouve en chacune des personnes que je rencontre et dans toute cette émotion partagée. Quand on va dans les salles de cinéma à la fin d’une projection et que les gens applaudissent, qu’ils sont émus et ont été touchés, c’est tellement riche comme expérience ! Les sensations viennent s’imprégner jusque dans le corps. Et quand je ressens cela, je me dis que je suis sur le bon chemin.
L’un de vos rêves d’adulte était de travailler avec le grand couturier Jean-Paul Gaultier. Or ce rêve, vous l’avez réalisé en janvier 2016. Comment vous a-t-il repéré ?
Quand je suis arrivé à Paris, je voulais absolument travailler pour Jean-Paul Gaultier, car son travail était l’incarnation de la beauté. Il accepte les différences de chacun, il trouve tout le monde beau, il a ce côté à la fois populaire et haut de gamme et une sensibilité dans laquelle je me reconnais. Je voulais tellement le rencontrer que j’attendais devant la maison Gaultier pour lui donner mon book de mannequin. Mais il n’est jamais sorti. J’ai envoyé des photos de moi à son directeur de casting et quatre ans plus tard, il m’a appelé pour participer à un défilé. Je m’en souviens : c’était le lendemain de la mort de David Bowie. À partir du moment où j’ai rencontré Jean-Paul Gaultier et où je me suis senti validé par l’homme avec qui je rêvais de travailler, je n’avais plus envie de continuer à faire du mannequinat. J’avais validé un rêve. Mais qu’allais-je faire après? Du cinéma ! Et c’est là que j’ai rencontré Ruben.
Dans une scène, votre personnage dit : « je ne suis ni homme, ni femme ». Qui est Alex ?
Alex est perdu. Il ne se reconnaît pas en tant qu’homme et il n’est pas une femme. Il ne s’est pas trouvé. Il est sur le chemin, mais ne le sait pas encore et il est plongé dans une détresse terrible. Il n’arrive pas à trouver sa place car la société ne lui en laisse pas. C’est un cri du coeur. Qu’est-ce que je suis ? Est-ce que des gens vont m’aimer ? C’est aussi cela le sujet du film : la quête d’amour. Ce personnage demande beaucoup d’amour parce qu’il en a manqué : ses parents sont morts très tôt. Il a peur de ne pas être aimé en étant juste lui. C’est à dire, pas vraiment homme, pas vraiment femme, mais une sorte d’entre-deux qu’il embrasse et qu’il a besoin de vivre, à ce moment-là.
On ne peut pas pousser le trait dans un film comme celui-ci : comment avez-vous fait pour être si juste ? Comment vous êtes vous préparé ? Avez-vous reçu les conseils d’un coach ?
Mes expériences passées m’ont aidé et j’ai travaillé avec le comédien et coach Daniel Marchaudon pendant deux mois avant le film. Je pensais qu’il fallait être extrêmement féminin pour jouer ce rôle. Or la première choses qu’il m’a dite, quand il m’a vu, c’est : « Pourquoi te justifies-tu d’être un garçon féminin ? » Paradoxalement, son travail fut de m’aider à me réconcilier avec ma part masculine. Ce fut un travail extraordinaire. Il m’a aussi appris à comprendre ce personnage, à me connecter à ses émotions, à le rendre vivant. Il faut être solide pour incarner quelqu’un d’autre et le laisser parler à sa place. Je n’aurais jamais imaginé que cela prenne une telle dimension.
Vous avez dû modifier votre silhouette pour le rôle.
J’ai inscrit ce personnage dans mon corps et j’ai perdu 10 kg pour me conformer aux critères des Miss. J’ai du faire beaucoup de sport, des régimes, je mangeais très peu. Cela fut très difficile de quitter ce personnage. Ce que l’on ressent, quand on joue, est difficile d’exprimer avec des mots : ce sont des vibrations, des sensations, des émotions. Ce sont des choses à vivre. Cette expérience a bouleversé ma vie.