Approchez Mesdames et Messieurs: Chanel fait son show!

Il ne reste que dix jours pour aller voir l’exposition Le Grand Numéro de Chanel à Paris, une exposition interactive et enchanteresse sur les parfums de la maison. Un évènement pour celles et ceux qui ont su prendre soin de leur âme d’enfant. Isabelle Cerboneschi

En arrivant devant le Grand Palais Ephémère, devant les lettres immenses annonçant l’exposition Le Grand Numéro de Chanel, je m’attendais à beaucoup de choses, du grand numéro en effet, mais pas à cela. Pas à entrer dans un monde merveilleux taillé à la mesure de l’enfant émerveillée qui cohabite dans mon corps depuis toujours et qui prend parfois les commandes du navire. Les portes se sont ouvertes sur un univers où la magie avait sa place, bien au centre, parce que sans magie, sans émerveillement, la vie manque singulièrement de sens.

Le Grand Numéro de Chanel, scénographie espace central ©Chanel

Et c’est ainsi que j’ai passé des heures qui ont semblé des minutes sous ce chapiteau immense et enchanteur. Si l’on y réfléchit, l’exposition est monothématique- il y est question des parfums Chanel – et elle aurait pu suivre un chemin didactique. Mais dès l’entrée, on sait à quoi s’en tenir: on est accueilli comme au cirque par une fanfare rutilante et un Monsieur Loyal bondissant et chantant. Il nous invite à entrer dans cet espace hors du temps, hors de tout, un lieu pour les grands enfants qui savent s’extasier devant des magiciens qui font des tours défiant l’entendement, ou des danseurs évoluant au fil des espaces. Des personnes qui ont envie d’explorer l’espace dédié au parfum Chance, où elles pourront jouer à une roulette de pacotille et gagner de petites choses qui font le même effet qu’une pochette surprise. Elles pourront s’y faire maquiller aussi, et accessoirement, au milieu des tutus de toutes les couleurs, découvrir les diverses évolutions du parfum.

Dans l’espace Coco, on s’amuse à jouer à l’espion ou l’espionne que l’on croyait être, enfant, avec l’adoubemement de Mademoiselle Chanel qui donne des missions imaginaire par téléphone blanc interposé. Evidemment, même si la mission est impossible, jamais le message ne s’autodétruit.

Dans l’espace Bleu, on découvre une ville miniature qui a la couleur de ce parfum un peu ozoné, un peu sec, légèrement boisé, et l’on peut y jouer quelques notes de musique à la façon d’ET, qui accompagnent les notes parfumées.

La grande bibliothèque, peuplée de canapés élégants où les visiteurs se couchent pour une séance de psychanalyse olfactive, est dédiée aux Exclusifs. Mes préférés: Sycomore, Cuir de Russie, Le Lion, ils sont tous là mais aucun de ceux que j’aime d’amour ne m’a été prescrit. Sans doute ai-je menti, ou triché en répondant aux questions du monsieur en blouse blanche qui prenait son rôle très au sérieux pourtant. Le parfum est une chose sérieuse, quand on y pense. Il nous définit dans une extra-corporalité. Il est notre forme au delà de la forme. Un vêtement invisible et pourtant bien réel. Ce lien établi entre quelques mots exprimés et les sens m’ont donné à réfléchir…

Le Grand Numéro de Chanel, scénographie N5, ©Chanel

Enfin il y a la partie dédiée au No5, la clef de voûte de la parfumerie Chanel. Un univers en soi. Dans une salle, dédiée à son histoire, on découvre de nombreuses pièces d’archives, photos, dessins, lettres, livres, qui donnent des indications précieuses sur le contexte de la naissance de ce parfum plus que centenaire. Sur les murs d’une galerie d’art reconstituée sont accrochées de nombreuses œuvres d’art faisant référence au No5 comme les fameux flacons peints par Andy Warhol. Dans une autre salle, une baudrucheuse montre la manière dont elle clôt le flacon. «Cette technique est apparue au XVIIe siècle dans la pharmacie et au XIXe siècle dans la parfumerie. Gabrielle Chanel utilise cette méthode dès le lancement du No5 en 1921. La baudruche est une fine membrane d’origine végétale que nous lavons avec du savon et de l’eau pour obtenir une feuille extensible. Je la positionne sur le bouchon et en séchant, elle va se rétracter en garantissant une étanchéité absolue. Nous ne sommes plus que six à pratiquer ce métier dans le monde », explique-t-elle en passant un cordon autour de la membrane et en le scellant à la cire.

Robe portée par Marion Cotillard dans le film publicitaire pour CHANEL N°5 réalisé par Johan Renck en 2020 Patrimoine de CHANEL, Paris A droite : Costume du Petit Chaperon rouge porté par Estella Warren du film publicitaire Le loup, réalisé par Luc Besson en 1998 Patrimoine de CHANEL, Paris

Mais le clou de ce voyage dans le monde des parfums, c’est cette rencontre virtuelle avec Gabrielle Chanel lorsqu’elle découvre le No5 créé par le parfumeur Ernest Beaux. Il y a de fortes chances que la présentation eut lieu à Grasse, mais pour les besoins de l’exposition, l’équipe de l’atelier Daruma dirigée par le réalisateur et artiste immersif Mathias Chelebourg ont décidé qu’elle aurait lieu dans l’appartement Mademoiselle au Faubourg Saint Honoré.

On ne sait pas avec exactitude comment s’est déroulé le choix du No5. J’ai décidé d’en faire un conte et de passer par l’animation. Marion Cotillard prête sa voix à Gabrielle Chanel.

Mathias Chelebourg

Neuf personnes peuvent faire cette expérience de réalité virtuelle, ou plutôt de narration immersive, par le truchement d’un casque de réalité virtuelle. Un peu comme si l’on était plongé dans un dessin animé et que l’on pouvait interagir avec son environnement. Parmi ces neuf personnes, une seule va être tirée au sort afin de vivre cette expérience en grandeur nature, dans un espace de 200m2 où elle déambule. Ce lieu est meublé de vrais objets – fauteuils, piano, sculptures, flacons de parfum – que l’on peut voir à travers le casque et toucher en vrai. On y rencontre virtuellement Gabrielle Chanel qui se fait présenter plusieurs essais avant de trouver celui qui correspond à ses désirs: « un parfum de femme à odeur de femme.»*

« On ne sait pas avec exactitude comment s’est déroulé le choix du No5, explique Mathias Chelebourg. J’ai décidé d’en faire un conte et de passer par l’animation. Marion Cotillard prête sa voix à Gabrielle Chanel. Elle est l’égérie du parfum et connaît bien les années 20 et 30 pour les avoir jouées, c’était très fluide de travailler avec elle ». Ce spectacle, car c’en est un, est une forme très subtile d’expérience immersive. Rien à voir avec les jeux vidéos où tout va trop vite. Là, on prend son temps. «  Je voulais que le spectateur se retrouve dans la peau d’Ernest Beaux, qu’il joue un rôle, explique le réalisateur. La création du No5 était un acte d’avant-garde. Je souhaitais retranscrire l’ambiance des salons de l’époque dans une forme d’intimité. Souvent la réalité virtuelle est utilisée pour les jeux vidéos et sollicite beaucoup de personnages, d’interactivité. J’avais envie de créer une narration immersive, un film dont vous êtes le héros, réinventer un langage, retrouver une poésie, un temps long. Ce projet a été sélectionné à la Mostra. Cela démontre que l’on peut faire une campagne élégante, où l’on parle d’un produit, mais tout en restant dans le monde de la fiction. C’est presque une œuvre patrimoniale pour la maison. »

En sortant de cette expérience, en regardant cet univers circassien d’une étrange beauté, en croisant des danseurs, pris dans une sorte de mouvement perpétuel, et des magiciens qui réussissent à nous faire croire que la magie existe pour de vrai, on est un peu désorienté. Qu’est-ce qui est réel? Qu’est-ce qui relève de l’imaginaire? Et si finalement cela n’avait pas d’importance?…

Culture Chanel, Editions de la Martinière, 2013

Le Grand Numéro de Chanel, du 15 décembre 2022 au 09 janvier 2023, au Grand Palais Éphémère à Paris. Entrée libre. Réservation nécessaire: https://grand-numero.chanel.com/inscription/. Durée de la visite : approximativement 1H30