Pour la collection Dior Print, Victoire de Castellane a transformé des tissus imprimés en joyaux
Pour la dernière collection de haute joaillerie qu’elle a créée, Victoire de Castellane, la directrice artistique de Dior joaillerie, s’est inspirée des imprimés de la maison de couture afin de les transformer en bijoux. Pour donner vie à cette collection d’une intense poésie, les sertisseurs et joailliers ont réussi à faire entrer des pois, des carreaux, des rayures, des fleurs, dans la troisième dimension. Entretien. Isabelle Cerboneschi. Shooting photos & Style: Buonomo & Cometti
Présentée à Taormina, en Sicile, la dernière collection de haute joaillerie de Dior s’inspire des imprimés qui ont marqué l’histoire de la maison Dior. Victoire de Castellane a eu l’idée de transposer des motifs traditionnels – des pois, des tartans, des carreaux, des rayures, des fleurs – en bijou. L’idée était fraîche, le résultat sublime. Sauf que nul, en voyant la collection, ne peut imaginer les trésors de savoir-faire qu’il a fallu développer dans les ateliers parisiens pour transformer des tissus en bijoux qui semblent aussi légers que les rubans dont ils s’inspirent. Depuis qu’elle est entrée chez Dior en 1999, Victoire de Castellane écrit une joaillerie qui a bouleversé les codes du genre, tout en s’inspirant de l’histoire de la maison de couture. Après avoir récemment exploré les thèmes de la dentelle, des rubans, de la broderie, la directrice artistique s’est intéressée aux imprimés. Et pourquoi ne pas les faire entrer dans la troisième dimension et les métamorphoser en bijoux? Pour donner l’impression que les joyaux sont aussi souples que des tissus, les ateliers ont travaillé différents types de sertissages. Ainsi, afin de donner l’illusion d’un repli, les sertisseurs ont utilisé un serti plus dense dans les creux des rubans et moins serré aux extrémités. Et pour conférer un aspect réaliste aux rubans qui semblent avoir été tranchés net, leurs extrémités ont été travaillées en serti descendu, avec de minuscules pierres de pavage. Quant au collier central de la collection, composé d’un entremêlement de rubans où se mêlent des imprimés floraux et des rayures, il a fallu, pour parvenir à ce rendu, emprunter certains savoir-faire au monde horloger. Notamment la technique des barrettes, qui, emmaillées les unes aux autres, donnent de la souplesse au bijou.
Pour accompagner chaque parure, Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior, a créé une collection de haute couture, bel écrin mouvant mettant en valeur les bijoux. C’est rare de voir la haute couture se mettre au service de la haute joaillerie.
INTERVIEW
C’est la première fois que vous créez une collection qui s’inspire de manière aussi littérale de la haute couture de Monsieur Dior. Comment avez-vous eu l’idée de dessiner des imprimés sur des bijoux ?
Victoire de Castellane : J’aime travailler des thèmes de A à Z, pousser le fil de manière différente à chaque fois. Après avoir fait des rubans, des broderies, de la dentelle, je me suis intéressée aux imprimés: les fleurs, les rayures, les carreaux, les pois, le tartan,… Cela m’a amusée d’imaginer une collection comme celle-là.
Avez-vous fait des recherches dans les archives pour choisir des motifs, des modèles particuliers?
Je ne l’ai pas fait de manière très scolaire. J’ai des souvenirs, parfois un peu flous, de choses que j’ai vues dans les archives et j’aime les réadapter en fonction du moment.
Un imprimé floral s’inspire d’une robe Miss Dior de 1949. Pourquoi ce choix?
C’est avec ce motif que j’ai commencé la collection. Je le trouvais extrêmement frais, extrêmement Dior.
Passer d’un motif en deux dimensions, le tissu, à la troisième dimension du bijou, ne va pas de soi. Quels furent les plus grands défis?
Le plus grand défi fut de faire en sorte que l’imprimé suive les mouvements des volants, des rubans, que tout cela fasse extrêmement naturel et que les motifs ne disparaissent pas dans le sertissage. Ce sont les ateliers surtout qui ont dû relever les défis. Comment sertir les pierres pour toujours garder la forme et ne pas l’écraser à l’endroit où les volants s’écartent ou se resserrent? Et il se pose aussi toujours la question du poids de la pièce finie, de son confort. Les bijoux devaient avoir l’air très légers, sans que l’on s’interroge sur le nombre d’heures qu’il a fallu pour les réaliser.
Avez-vous dû renoncer à certains imprimés pour des raisons techniques?
Non. Si j’ai renoncé à des imprimés, c’est que je n’avais pas envie de les faire cette année. Je voulais vraiment m’en tenir aux imprimés typiques de la couture chez Dior et que ceux-ci soient immédiatement reconnaissables.
Que représente cette collection à vos yeux?
C’est une collection assez figurative qui s’inscrit dans l’histoire de la joaillerie que je crée depuis 1999. Elle n’est pas plus importante que les autres: elle est dans le fil de la vie de la joaillerie Dior.
Cette collection comporte certaines pierres de centre extraordinaires, comme un saphir birman de 14,66 carats, un diamant D Flawless de 11,58 carats, et surtout un rubis Mozambique de 10,27 carats. Travaille-t-on différemment avec ce genre de gemmes?
Cela fait trois ans que nous utilisons des pierres de centre extrêmement importantes. Oui, on travaille différemment car elles ont des culasses très imposantes. Il faut que le dessin soit parfaitement adapté pour l’enrober: cela nécessite tout un jeu de construction particulier. Chaque pierre de centre a son vêtement.
Lors d’une précédente interview, vous me disiez que le fait de créer des bijoux, à vos yeux, c’était comme si vous étiez perpétuellement en quête d’un coffre aux trésors.
C’est vrai. Ce serait merveilleux d’ailleurs de pouvoir découvrir un trésor! La base de mon travail, c’est de savoir garder cette part d’enfance en moi qui me permet de créer en oubliant la valeur incroyable de ces matériaux. Quand on est un enfant, on est totalement libre dans la création. Et c’est ce que je veux conserver pour continuer à aller toujours plus loin, sans aucune contrainte.
Dans cette collection, vous avez utilisé toutes les pierres qui vous sont chères: les saphirs de couleur, les Paraiba, les opales. Les marchands d’opales ou de pierres de couleur me disent souvent que c’est vous qui les avez remises au goût du jour. Comment avez-vous eu le goût pour ces gemmes dès votre arrivée chez Dior en 1999?
Je ne pouvais pas imaginer faire de la joaillerie sans utiliser toutes les couleurs de pierres existantes. Quand je suis arrivée dans le métier il y a 25 ans, les gens n’utilisaient que les quatre pierres précieuses classiques (diamant, rubis, saphir, émeraude, ndlr). Peut-être était-ce une forme de snobisme ou une manière d’envisager la joaillerie très bourgeoise? Les pierres de couleur avaient pourtant été utilisées par les grandes créatrices du XXe siècle, comme Suzanne Belperron, Jeanne Toussaint, mais elles ont été abandonnées par les joailliers traditionnels de la place. Je trouvais cela dommage. Pourquoi n’auraient-elles pas leur chance? D’autant plus que certaines sont devenues très rares, comme de très belles améthystes ou les vraies topazes. Je suis arrivée très libre dans le métier. J’ai choisi des pierres de 80 carats, des aigues-marines, des morganites, des pierres avec des tons pastels ou plus vifs. Je trouvais qu’elles étaient merveilleuses en compagnie des quatre pierres précieuses.
Et pourquoi avoir choisi aussi de mettre en valeur l’opale?
L’une de mes tantes possédait une bague ayant appartenu à Barbara Hutton, qui était sa marraine et aussi celle de mon père. Ma tante avait de toutes petites mains et elle portait cette énorme bague, un gros cabochon d’opale entouré de diamants, à l’index. Et je trouvais cela extraordinaire. Cela me faisait penser à ces pierres de fakir d’où un génie pourrait sortir. La pierre était comme vivante parce qu’elle prenait toutes les couleurs selon les lumières. Elle s’allumait de tous ses feux. C’est une pierre pour raconter des histoires fantastiques. C’est pour cela que je m’en suis servie tout de suite en arrivant chez Dior parce que, étant dans une maison de couture, tout était possible!
Maria Grazia Chiuri a imaginé une quarantaine de looks de haute couture en accord avec votre collection. Comment avez-vous collaboré ensemble?
Cela fait trois ans que l’on travaille ensemble. C’est très facile, rapide, on s’entend très bien. Je lui montre mes dessins pour lui expliquer le thème de la collection et elle imagine des robes qui sont à chaque fois en parfaite harmonie avec les bijoux. Elle ne les tue pas, au contraire, elle les met en valeur. C’est une proposition d’univers très sophistiquée pour les clientes qui peuvent s’offrir les bijoux et la tenue. Peu de maisons sont à même de faire cela.
Vous dirigez la création de la joaillerie Dior depuis 1999. Dès le départ vous avez eu carte blanche pour créer en toute liberté des collections que personne n’avait jamais vues, ni pensées auparavant. Lorsque vous regardez en arrière, de quoi êtes-vous le plus fière?
Je ne suis fière de rien: la fierté n’est pas une question pour moi. Je dirais que je suis extrêmement heureuse de m’épanouir dans ce métier et de ne jamais m’ennuyer. Tant que l’on a cette envie, ce désir, de continuer, c’est ça la vie et c’est ce qui m’intéresse.
Vous avez exploré tous les univers, même les plus insolites comme la collection Belladone Island en 2007. Y a-t-il un bijou ultime, une sorte de Graal que vous aimeriez encore réaliser?
J’espère que je ne le connais pas encore, que je vais le découvrir bientôt et me surprendre moi-même!