La lumière, plus forte que les ombres

Le solstice d’hiver, qui marque l’entrée dans la saison froide, est la nuit la plus longue de l’année. Il aura lieu cette nuit, le 22 décembre, à 4h27. Il est grand temps de célébrer la victoire de la lumière sur l’ombre. Fiction autour de quelques bougies. – Texte: Isabelle Cerboneschi. Photos: Buonomo & Cometti.

Cette voûte céleste devant laquelle nous restons interdits
Nous savons qu’elle n’est qu’une sorte de lanterne magique;
Le soleil est la lampe et l’univers la lanterne,
Et nous les images qui tournent.

Les Rubaiyat, Omar Khayyam

Ce soir c’est le solstice d’hiver, la nuit la plus longue de l’année. J’adore cet instant de passage. Il me rappelle mon enfance, lorsque ma mère était encore de ce monde et que j’étais un petit garçon qui croyait que la vie était une longue suite de moments heureux. Elle avait emporté de son Iran natal son accent chantant, les poèmes de Rûmi, de Hafez et ceux d’Omar Khayyam. Ses fêtes aussi. Yaldâ est de loin la plus joyeuse. C’est une fête de la victoire: celle de la lumière sur l’ombre, celle de Madame Soleil sur Monsieur Lune. En langue persane, la lune est masculin, le soleil est féminin et Yaldâ signifie la «naissance du soleil».

C’était le seul soir où nous avions le droit de rester éveillés le plus tard possible, ma sœur et moi. Notre mère nous demandait d’offrir une portion de la flamme de notre cœur à Dame Soleil afin qu’elle puisse reprendre des forces et repousser l’obscurité. Et nous le faisions, car nous avons grandi dans cette croyance-là, convaincus que notre flamme, aussi jeune, aussi petite soit-elle, avait un rôle à jouer.

Pour nous donner des forces, notre mère préparait une soupe de légumes épaisse et des assiettes de fruits secs, ainsi que des fruits rouges pour nous donner de l’énergie, des grenades surtout, coupées en quart. Il y avait du vin rouge pour les adultes, du jus de fruits pour ma sœur et moi, nos parents nous lisaient des poèmes, nous allumions des bougies et il s’agissait de ne jamais laisser la flamme s’éteindre: pas question de laisser l’ombre prendre le dessus. Quand nous avions réussi à dépasser minuit et que nous tombions de sommeil, notre mère nous demandait de rester éveillés encore un peu, un tout petit peu, pour aider Dame Soleil. Et à l’aube, lorsque celle-ci apparaissait, nous savions que nous n’avions pas veillé en vain.

Ce soir, nous fêtons Yaldâ dans le chalet familial, à la montagne. Depuis que notre mère n’est plus, c’est ma sœur qui a continué la tradition. C’est beau une tradition. Cela nous rappelle d’où nous venons, nos racines. Mes neveux et nièces ont pris notre place autour de la table, les yeux gorgés de sommeil, mais convaincus comme nous autrefois de l’importance de leur don. Il n’y a rien de plus beau qu’un enfant qui croit en sa propre magie.

Le feu crépite dans la cheminée. J’aime cette odeur de bois qui brûle et qui s’accroche aux chevelures. Dehors, la neige a entièrement recouvert le chemin qui mène au chalet. Elle a le don de tout atténuer, la neige: les bruits, les pas et un peu du passé. Elle est comme une page blanche sur laquelle laisser de nouvelles traces de soi.

En cette nuit de 22 décembre, à 4h27, pile au moment du solstice d’hiver, j’ai allumé la mèche de quelques bougies puis j’ai tourné machinalement le regard vers la fenêtre: des tourbillons de flocons nous offraient le tableau d’une danse au ralenti. « Il neige! », dis-je soudain. Mes neveux, qui s’étaient assoupis, se sont réveillés d’un coup et ont poussé des cris de joie. Ils sont sortis sans leur anorak, tendant leur visage vers le ciel immaculé où Monsieur Lune se faisait très discret. Je les ai vu tirer la langue afin d’y recueillir quelques flocons de neige. La flamme de leur cœur montait droit vers le ciel. Demain, c’est sûr, Dame Soleil remportera la victoire sur le monde des ombres.

Toute l’équipe d’All-I-C vous souhaite de lumineuses fêtes de fin d’année!