Cosmopolis, à l’heure des étoiles
Le 21 septembre dernier, Jean-Marie Schaller, propriétaire & directeur créatif de la marque Louis Moinet, a présenté une montre baptisée Cosmopolis et dont les heures sont indiquées par des météorites. Ce garde-temps en compte 12, ce qui lui a valu d’entrer dans le Guinness World Records™. Ce modèle est un résumé de l’histoire de notre système solaire et nous rappelle notre place dans l’univers: minuscule. Isabelle Cerboneschi
« Les météorites représentent l’origine de l’univers et il y a une pureté dans ces petits fragments qui est très touchante », souligne Jean-Marie Schaller, CEO & directeur créatif de la marque Louis Moinet. Cosmopolis, sa dernière création, relève elle aussi d’une réflexion sur l’origine de l’univers et donc de notre rapport au temps. Mais pas seulement: ce garde-temps fait directement référence à l’histoire de la marque.
« La première impulsion qui nous a poussés à créer cette montre provient de l’histoire de Louis Moinet, explique-t-il. Micaela (Bartolucci, son épouse, ndlr) et moi avons commencé l’aventure de Louis Moinet il y a 25 ans. Nous avions été attirés par ce nom qui était tombé dans l’oubli. Ce qui en subsistait, c’était une nécrologie de huit pages, écrite par un ami de Louis Moinet qui affirmait que ce dernier était le plus grand de tous les horlogers. J’ai donc fait des recherches et j’ai découvert qu’il avait inventé non seulement le chronographe, mais aussi la haute fréquence et qu’il avait eu comme clients les personnages les plus importants de son temps! Cet homme avait trois passions: les arts, l’astronomie, et l’horlogerie. Alors forcément, cet attrait pour l’astronomie nous a guidés afin d’utiliser des météorites dans les montres Louis Moinet. »
Avant de parler de météorites et de se pencher sur ce qui fait la particularité de la Cosmopolis, revenons sur ces deux assertions: Louis Moinet comme inventeur du chronographe et de la haute fréquence. L’histoire horlogère a longtemps considéré que le premier chronographe avait été inventé par Nicolas Rieussec en 1822 qui utilisait de l’encre pour marquer le passage du temps. Et ce, jusqu’à la réapparition en 2013 d’un garde-temps extraordinaire qui a bouleversé toutes les certitudes: le véritable premier chronographe capable de calculer le soixantième de seconde grâce à une aiguille foudroyante! Conçue entre 1815 et 1816, cette montre de poche porte la signature de Louis Moinet sur le cadran. Son concepteur l’avait nommée « Compteur de Tierces », parce qu’à l’époque, un soixantième de seconde s’appelait un tiers. Or ce chronographe oscille à 30 Hz, une fréquence qui n’a été maîtrisée par l’industrie horlogère qu’environ deux siècles plus tard!
La fréquence la plus courante utilisée pour les montres mécaniques est de 4 Hz, soit 28’800 alternances par heure. En 2017, Zenith a lancé son modèle Defy El Primero 21, muni de deux mouvements indépendants. Le premier, qui prend en charge l’affichage des heures et des minutes, bat à 36’000 alternances par heure, soit 5 Hz, la fréquence du fameux El Primero. Le second est dédié à la fonction chronographe qui affiche le 1/100e de seconde. Il ne fonctionne que pendant 50 minutes à remontage complet mais son balancier oscille à la fréquence de 360 000 alternances par heure soit 50 Hz. Avec sa montre, dont le balancier oscille à 30Hz, Louis Moinet, qui l’avait conçue pour mesurer le passage des étoiles, avait deux siècles d’avance!
Jean-Marie Schaller n’a pas choisi de mettre sur son cadran douze météorites par opportunisme. Il les collectionne depuis vingt ans et se fournit chez le marchand et chasseur de météorites Luc Labenne. Cet ancien médecin, devenu chasseur de météorites, parcourt les déserts de la planète en quête de roches extraterrestres depuis près de 30 ans. C’est vers cet expert reconnu mondialement que les horlogers et joailliers se tournent pour acheter des pièces d’exception qui deviendront des bijoux ou des cadrans de montres. « La première que je lui ai achetée était une météorite de lune et j’avoue que j’ai pleuré quand il me l’a donnée, explique-t-il. Vous regardez la lune, elle est à 360’000 km de distance or vous en avez un fragment dans la main». Le goût de Jean-Marie Schaller pour les météorites n’est pas seulement lié à leur rareté mais aussi à leur beauté. « Avez-vous déjà vu une pallasite (une météorite composée de cristaux d’olivine inclus dans une matrice de fer, ndlr) ? C’est magnifique! C’est comme si un créateur avait fait de l’art avec une matière brute », confie-t-il.
« En choisissant ces météorites c’était comme si l’on créait un système planétaire à l’intérieur de la montre. Nous avons confié leur découpe à Daniel Haas, spécialiste et artisan des pierres semi-précieuses», poursuit-il. La montre a été dessinée par son fils, Nathanaël Schaller. « Le challenge était de placer le plus de variétés de météorites possible dans la montre: mais comment les agencer pour que ce soit harmonieux? Il y a douze météorites et douze heures. Si vous regardez le cadran de cette pièce, entre chaque interstice séparant les pastilles de météorites on retrouve les index des heures. La gradation s’arrête au niveau du tourbillon. Nous avons placé une chondrite noire à l’arrière de la cage du tourbillon et au centre, une météorite lunaire, parce que la lune nous fait tous rêver. Je voulais que le résultat soit épuré. Je suis bijoutier de formation et les météorites sont tenues par un serti clos. Elles confèrent à cette montre un aspect muséal », explique Nathanaël Schaller. Cette montre a d’ailleurs décroché le titre “Most meteorite inserts in a watch” du Guinness World Records™.
Le soir de la présentation, parmi les invités, il y avait Luc Labenne, le fameux chasseur d’étoiles et l’homme qui vend ses météorites à Jean-Luc Schaller depuis une vingtaine d’années. L’occasion rêvée pour en savoir plus sur certains fragments rares qui ornent la Cosmopolis. « Chacune des douze météorites a une histoire différente: bien sûr il y en a une qui provient de mars et une autre de la lune, mais il y a aussi une météorite que j’aime beaucoup et qui s’appelle Erg Chech 002. C’est la roche la plus ancienne du système solaire. Lorsque j’en ai reçu les premières photos envoyées par les personnes qui l’avaient trouvée, je n’étais pas sûr que c’était une météorite: elle possède de grands cristaux verts couleur chartreuse inhabituels. Mais quand les scientifiques l’ont analysée, ils se sont rendu compte que non seulement c’était une météorite, mais ils se sont aperçus que c’était la plus ancienne de toutes! Elle a 4,567 milliards d’années, ce qui veut dire qu’il s’agit d’un morceau de protoplanète qui est plus ancien que la Terre ».
Cette montre regroupe des météorites iconiques. Sur son cadran, on peut aussi découvrir un morceau de l’Allende, qui est tombée au Mexique. « Elle possède des inclusions très anciennes qui se sont formées au début du système solaire mais en termes d’ancienneté, elle a été détrônée par la Erg Chech. Il faut aussi mentionner l’Aguas Zarcas, tombée au Costa Rica et qui est fascinante. Elle contient des acides aminés et fait partie de ces rares météorites qui contient environ 15% d’eau. Les scientifiques pensent qu’elles étaient très abondantes au début de la formation du système solaire et que 20% de l’eau sur terre aurait été apportée par ce genre de météorites. J’ai oublié de mentionner la Sahara 97093 qui contient des micro diamants qui mesurent entre 20 à 100 microns. Ils se sont formés lors d’explosions de supernovae qui contiennent beaucoup de carbone. C’est lors de l’explosion que se sont formés des diamants.»
Et quand on écoute le chasseur d’étoiles raconter l’histoire de chaque météorite sertie sur le cadran de la Cosmopolis, on se dit que cette montre retrace une portion d’histoire du système solaire et celle de l’humanité…