Purnell, la marque aux tourbillons

La marque Purnell est née en 2020 d’une rencontre. Celle d’un entrepreneur, Maurizio Mazzocchi et d’un concepteur de génie, Eric Coudray. Lorsque le PDG a découvert la création ultime de l’horloger – le Spherion qui est un tourbillon trois axes – il a décidé de lancer une marque dédiée essentiellement au tourbillon. Ces garde-temps sophistiqués, qui ressemblent à de l’art cinétique, séduisent une clientèle très fortunée. Interview. Isabelle Cerboneschi

Maurizio Mazzocchi PDG Purnell ©Purnell

Le monde horloger est un univers dans lequel Maurizio Mazzocchi, le PDG de Purnell évolue depuis l’adolescence. Son père était le président de Heuer et Tag Heuer aux Etats-Unis en 1984. A travers lui, il a vécu la renaissance de l’horlogerie suisse. Cela laisse des traces. « L’époque était particulière: on était dans l’ère post-quartz et pré-boom de la montre mécanique, un entre-deux mondes, dit-il. Il restait bien des marques comme Patek Philippe, Vacheron Constantin, et quelques autres, les derniers mohicans qui essaient de sauver l’horlogerie suisse, mais selon la vision de l’époque, elles faisaient figure de dinosaures en voie d’extinction ». L’histoire a donné tort à tous ceux qui n’avaient pas eu foi dans l’extraordinaire résilience de ce  savoir-faire helvétique, pour le plus grand bonheur des amoureux de belle mécanique et de tous ceux qui œuvrent pour faire perdurer cet art.

Maurizio Mazzocchi a un peu cherché sa voie dans le domaine du football professionnel, mais après avoir compris qu’il n’avait pas de l’or dans les pieds, il a suivi la voie paternelle et s’est dirigé vers l’horlogerie. Il a eu la chance d’avoir comme maîtres des monuments: Nicolas Hayek et Jean-Claude Biver. Il a aussi travaillé avec Carlos Dias, chez Roger Dubuis et avec Jacob Arabo, le fondateur de Jacob’s & Co. De quoi se forger le caractère et apprendre que les limites, cela n’existe que dans la tête.

La rencontre avec Eric Coudray, le génie horloger qui a créé le mouvement Spherion, un tourbillon trois axes inédit, fut décisive. Maurizio Mazzocchi a décidé de tout miser sur lui et de créer en 2020 une marque essentiellement dédiée aux tourbillons, qu’il a baptisée Purnell.

INTERVIEW

Quand avez-vous fait vos premières armes dans l’horlogerie?

Maurizio Mazzocchi : Lorsque j’étais adolescent, je suivais mon père dans les foires horlogères, mais mes véritables débuts datent de 1994, lorsque Jean-Claude Biver a repris Omega à la demande de Monsieur Hayek. Il cherchait à engager des jeunes qui parlaient le français et l’anglais dans la région de Neuchâtel et il m’a engagé tout de suite. Je suis devenu l’un des responsables développement produit dans le marketing. Deux ans plus tard, il m’a envoyé en Italie comme responsable du marché italien. A l’époque, Oméga avait 800 points de vente en Italie: c’était l’un des trois marchés les plus forts avec le Japon et l’Amérique. On vendait presque des montres Omega dans les kiosques. En six ans, nous avons réussi à diminuer le nombre de points de vente à 200 et nous avons ouvert la première boutique Omega au monde sur la via Montenapoleone.

Vous avez travaillé ensuite pour le Gucci Group, Roger Dubuis, Jacob & Co. Comment le Spherion est-il entré dans votre vie?

J’ai été engagé dans le Gucci Group comme managing Director horlogerie en 2002 et chez Roger Dubuis en 2005 comme directeur commercial. Ensuite je suis parti à New York faire du consulting pour des marques de luxe et c’est là que j’ai rencontré Jabob Arabo. Le personnage était fascinant. Plus rien ne me faisait peur après Messieurs Hayek, Biver et Dias (rires). Je lui ai donné quelques conseils et il a décidé de me donner plein pouvoir pour créer Jacob & Co Suisse afin de faire de l’horlogerie haut de gamme en 2013 et jusqu’en 2018. Et puis un jour j’ai reçu un appel pour faire du consulting d’un projet. Il s’agissait du mouvement Spherion. J’ai décidé de m’en occuper pleinement, de le mettre en valeur, j’ai créé la société Purnell et l’aventure a commencé.

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette aventure?

Si j’ai un mérite, c’est d’avoir cru pouvoir faire une marque avec ce mouvement. Il est très compliqué à réaliser, personne n’avait bien communiqué sur le sujet. Pour créer le Spherion, Eric Coudray a utilisé à la fois l’échappement Potter (du nom de l’horloger et inventeur du XIXe siècle Albert H. Potter) et l’idée du gyrotourbillon qu’il avait réalisé pour Jaeger LeCoultre. Et c’est ainsi qu’il a déposé le Spherion. Cette technique va rester dans l’histoire ! Si l’on regarde la genèse des tourbillons depuis le premier inventé par Abraham-Louis Breguet il y a 220 ans, le dernier pallier, c’est le Spherion. On n’a pas créé quelque chose de plus complexe depuis. Je pense qu’Eric Coudray est sous-évalué: c’est un mécanicien qui frôle le génie.

Pourquoi avoir créé une marque dédiée seulement au tourbillon

On ne sait pas dans quelle catégorie placer le tourbillon. Ce n’est pas une complication à proprement parler. Une complication indique quelque chose en plus, comme le font un chronographe, un calendrier, une répétition minute. Le tourbillon, en revanche, n’indique rien du tout. Pour un horloger traditionnel, il s’agit juste d’un échappement sophistiqué qui permet théoriquement d’être plus précis. En revanche, c’est une prouesse technique. En choisissant de ne fabriquer que des tourbillons, nous prenons un engagement envers les nouveaux clients: nous leur assurons ainsi que la marque va rester fidèle à ce qu’elle est. C’est une vision. C’est clairement du marketing, mais c’est aussi une ligne de conduite. Nous allons peut-être réaliser un tourbillon avec une date, un chrono, mais il y aura toujours un tourbillon au coeur de nos montres.

 

Ce n’est pas une marque historique, mais ce mouvement est tellement compliqué, qu’il mériterait beaucoup plus de respect. J’aimerais que l’on me montre quelque chose de plus incroyable réalisé depuis les 3 dernières années!

Où vos montres sont-elles fabriquées?

A 150 km tout autour de Genève, sauf les plateaux de présentation, qui sont fabriqués dans la banlieue de Lyon, chez Carré d’Ebène.

Que vouliez-vous apporter sur un marché horloger déjà saturé?

Je suis conscient qu’il s’agit de haute horlogerie traditionnelle qui arrive sur un marché qui n’a pas nécessairement besoin d’horlogerie traditionnelle. Mais nous ciblons des clients qui achètent une montre parce que c’est unique, parce que c’est beau, parce que Monsieur X la porte et c’est un marché énorme. Grâce à mon expérience, j’ai eu l’occasion de rencontrer cette clientèle. Une montre Purnell, c’est un peu comme de l’art cinétique et c’est ce qu’un certain type de personnes fortunées recherche. Je pense que Purnell peut trouver sa place sur ce marché-là, mais je veux donner du vrai contenu, tout en limitant la production. Nous avons fabriqué moins de 100 montres cette année et l’an prochain nous atteindrons 150 à 200 pièces au maximum.

C’est une montre très visuelle que l’on reconnaît immédiatement, même si la marque n’affiche pas 150 ans au compteur.

Notre devise c’est « More future than past » (plus de futur que de passé, ndlr). Ce n’est pas une marque historique, mais ce mouvement est tellement compliqué, qu’il mériterait beaucoup plus de respect. J’aimerais que l’on me montre quelque chose de plus incroyable réalisé depuis les 3 dernières années! Le Spherion est très percutant visuellement. C’est le mouvement qui requiert le plus d’énergie au monde et pour l’animer, nous avons dû utiliser six barillets. La réserve de marche n’est que de 32 heures, raison pour laquelle nous avons inventé un petit outil pour remonter automatiquement la montre. Sur le couvercle du barillet, il y a gravé ma vision de Purnell: « Yesterday’s watchmaking innovations became today’s classic such as the Tourbillon » (Les innovations horlogères d’hier sont devenues des classiques d’aujourd’hui, comme le Tourbillon, ndlr). Ce produit est encore mal compris mais je pense que dans le futur, il deviendra un classique.

Le prix moyen de vos montres et de CHF 400’000.- Pourquoi ce positionnement de prix?

Ce mouvement est très cher à réaliser. Les artisans cassent 4 ou 5 boitiers en saphir monobloc avant d’en réussir un. Tout est fait à la main, cela prend des heures. Eric Coudray a dessiné les cages de tourbillon: chacune pèse 0,79 g. Seul un technicien peut le comprendre. Tout cela a un prix.

Purnell ESCAPE II CARBON ROSE GOLD – 48mm ©Joy Corthesy

Très peu de marques tiennent leurs promesses lors des ventes aux enchères. La marque Purnell est-elle déjà sur le second marché?

Pas encore et j’espère que nous n’y serons pas tout de suite. La marque est trop jeune. Rien ne me dit que ma montre atteindra son prix de vente sur ce marché. La seule chose que je peux promettre à mes clients, pour l’instant, c’est de maintenir la valeur de mes garde-temps en garantissant leur exclusivité et en faisant en sorte que la demande soit plus élevée que l’offre.

Cela ne suffit pas pour empêcher une marque de se retrouver sur le second marché. Quelles autres mesures avez-vous prises?

Je fais très attention à ce que mes clients n’offrent pas mes montres en cadeaux à des tiers. Car c’est là que se situe le risque: quand une personne reçoit une montre qui vaut 500’000 francs, s’il est sûr d’en retirer 200’000.-, il va la revendre. Nous essayons aussi de personnaliser les pièces le plus possible mais un jour où l’autre, cela peut arriver.

En 2020-21 les indépendants ont surperformé. Et vous?

Je ne me considère pas comme un horloger indépendant. A mes yeux, l’essence de l’indépendance, c’est une marque incarnée par son maitre horloger. Or je ne suis pas un horloger. Je veux faire une marque qui perdure au delà de son ou de ses horlogers, qui a des valeurs, qui fait du marketing, et que si le maître tousse, la production ne s’arrête pas.

Avez-vous néanmoins bénéficié de cet élan?

Actuellement le bonheur des uns fait le bonheur des autres. Les quatre grandes marques qui font la grande part du marché, n’arrivent plus à livrer. Donc oui, nous avons fait de beaux résultats.

Vous avez créé un modèle spécial pour le Ballon d’Or, vous êtes l’horloger officiel de l’AS Monaco. Pourquoi le foot?

Pour plein de raisons. J’ai été footballeur, c’est donc un univers auquel je suis sensible. Ensuite, le sport est un puissant véhicule de communication. Le Ballon d’Or est unique et exclusif, tout comme Purnell: on partage les mêmes valeurs. On se lie à un sport et pas à une personnalité dont on ne sait jamais à l’avance si elle va prendre un carton rouge. Nos clients ne veulent pas se reconnaître à travers un joueur. En revanche, on se retrouve dans les valeurs du trophée, dans l’histoire de France Football depuis 1958. Cela donne une belle visibilité à la marque. Quant à l’AS Monaco, nous nous reconnaissons pleinement dans son slogan: Rise. Risk. Repeat (s’élever. Risquer. Répéter. ndlr).

Vous avez ciblé une certaine clientèle à très haut pouvoir d’achat. Comment est-elle venue à vous?

Il faut remonter des années en arrière, aux origines de Franck Muller. Il avait réussi à toucher une clientèle qui achetait aussi des montres Patek Philippe, mais qui s’est très vite intéressée aussi à une horlogerie contemporaine, qui respectait certains codes classiques tout en osant. Roger Dubuis a pris le relai avec sa montre Excalibur, puis ce fut le tour de Richard Mille. C’était une histoire de look. Ces marques ont réussi à toucher une clientèle qui cherchait à acquérir des garde-temps contemporains, au même titre qu’elle achète de l’art contemporain. Cette clientèle, je l’ai côtoyée, je sais où elle va, où elle dîne, ce qu’elle écoute comme musique. Parmi elle, nous avons des chirurgiens, des entrepreneurs qui nous achètent 4 ou 5 montres à la fois. Quand ces personnes ouvrent leur coffre, qu’elles regardent leur cinquantaine de montres, je veux que la Purnell soit celle que le client choisisse, parce qu’elle lui met le sourire aux lèvres. Comme un coup de cœur. Quand on voit notre montre, on n’a pas besoin d’en ouvrir le boîtier pour en admirer le moteur. On saisit tout au premier regard. L’émotion naît du mouvement.