Le Gazar, ce tissu haute couture inventé pour Cristobal Balenciaga

Gazar, un mot qui claque haut et fort, deux syllabes qui entraînent les connaisseurs dans l’univers de la haute couture et qui plongent les non initiés dans le monde mystérieux des étoffes. Il est bon d’en savoir plus sur ce matériau noble alors que commence la semaine de la haute couture. Catherine Kouliche-Goldman

Cape en gazar noir 1957, Balenciaga. Courtesy of Archives Balenciaga, Paris

Le gazar serait une banale étoffe si une part de génie créatif ne s’était pas immiscée entre ses fils. Ce précieux matériau fut porté sur les fonts baptismaux en 1958, par deux célébrités du monde de la mode : Gustave Zumsteg, créateur de tissus pour la société textile Abraham et Cristobal Balenciaga.

Le couturier cherchait un tissu capable de le comprendre et de le suivre dans ses démarches créatives, mais comme il n’existait pas dans le commerce, il fallait l’inventer. Il s’adressa à monsieur Zumsteg, directeur de la société Abraham et grand collectionneur de peintures, pensant à juste titre qu’il saisirait toute la subtilité sa demande. Ensemble ils feront un bout de chemin et traverseront la mode avec maestria coté lumière pour l’un et à l’ombre de cette lumière pour l’autre. Mais qu’importe, les deux furent des maîtres dans leur domaine.

Membre de la famille des gaze, le gazar s’en éloigne par son étonnante construction. Monsieur Zumsteg raconte que c’est la vue d’un rouleau de gaze de coton qui lui suggéra l’idée de ce type de tissage. Le secret? Un double fil de soie crue associé à une armure de taffetas et à un tissage lâche. L’ensemble confère à l’étoffe une amplitude qui offre un espace de liberté aux fils. L’espace inespéré laisse les fils se mouvoir en toute liberté, mais une liberté surveillée car cette matière ne se laisse pas apprivoiser aisément.

Le gazar est un tissu complexe à bien des égards. Doté d’un tempérament ombrageux et d’une personnalité insolente, il ne tient pas en place. À la fois malléable et indocile, il est volumineux et plat, il est là où on ne l’attend pas, il force l’imaginaire, il magnifie les réalisations. Si c’est un conte de fée pour l’œil, c’est un enfer pour les couturières mais le résultat est époustouflant.

Le Gazar possède un potentiel qui séduit les artistes, les créateurs, les couturiers jusqu’au boutistes ; Il se prête aux déformations inattendues, se gonfle, s’arrondit, occupe tout l’espace, joue les timides, mais au moindre désir d’une main habile à le dompter, il obtempère se tient tranquille. Enfin il vit.

Le gazar se sculpte plus qu’il ne se coud: il permet de créer des volumes, des vêtements en 3 D tout en douceur et rondeur.

Ce tissu fut une vedette des collections de Christobal Balenciaga et il est carrément devenu une star lorsqu’il fut choisit pour la mythique robe de mariée de la collection 1967, un modèle simplement simple, aux lignes limpides, courbes et épurées. C’était tout le talent de Balenciaga qui à su révéler le potentiel du gazar. Cette tenue eut été impossible à confectionner avec une étoffe plus souple.

Le gazar est une idole que l’on vénère, que l’on ose à peine utiliser de peur de la maltraiter. Il glisse, il résiste, il fait le dos rond mais quelle élégance lorsqu’il se fait volant, col, poignets, manteau… Le gazar est un tissu qui appartient à l’univers de la haute couture. Il règne sans partage sur un luxe invisible. Sobre et élégant par touche, il suffit à personnaliser un vêtement.

J’aime son aspect son toucher craquant, sa fausse humilité, sa nervosité. Il me fascine par sa prise de pouvoir et sa manière d’occuper l’espace, mais il m’effraie par sa vivacité. J’aime ce luxe sous jacent, jamais dans l’excès toujours dans la finesse, je l’aime parce qu’il est né de la rencontre entre un couturier reconnu par le grand public et un créateur d’étoffes créatif, inconnu du grand public.

Si l’on y pense, combien de tissus portent-ils une signature? Combien dans l’histoire de la mode, peuvent se targuer d’avoir été conçus sur mesure par une personne pour une autre personne? Le gazar n’est pas un produit industriel comme les autres, sorti de machines à tisser intelligentes ou pas. C’est un article difficile à trouver dans le commerce mais quel bonheur de faire sa connaissance.

Le gazar possède une vibration qui le rend presque humain, on pourrait presque envisager de faire ami-ami avec lui, d’ailleurs je crois que c’est ce que j’ai fait. J’ai toujours gardé dans ma boîte à trésors un échantillon de gazar framboise qui m’avait été envoyé par la société Abraham, il y a bien des années. Une belle et vieille amitié…