Yohji Yamamoto, l’éloge de l’ombre

Le créateur japonais a présenté sa collection homme automne-hiver 2022-23 à Tokyo le 20 janvier. Il faudra attendre quelques mois avant qu’elle n’arrive en boutique, mais voici déjà un aperçu de sa vision en clair-obscur d’une saison à venir. La collection, d’une étrange beauté, est née du passé et dessine un futur possible. Elle chante les valeurs du temps qui passe. Une posture paradoxale dans le monde de la mode qui ne jure que par les Millennials. Photos: Takay. Texte: Isabelle Cerboneschi

Yohji Yamamoto POUR HOMME AW22 - Photo by TAKAY - Look30

Ça pourrait ressembler à cela, la mode de l’après, à cette collection automne-hiver 2022-23 que Yohji Yamamoto a fait défiler dans sa boutique phare d’Aoyama, à Tokyo, portée par des hommes à la beauté bouleversante, dont cinq acteurs japonais. Quelque chose entre la silhouette d’Edward aux mains d’argent, Charlot et tous les personnages de Twilight.

Les hommes qui passent portent deux pantalons superposés l’un sur l’autre avec une taille trop large, comme pour vêtir les affamés de la crise de 29, sauf que nous ne sommes qu’en 22 du siècle d’après.

Ils sont vêtus de noir, de gris, de blanc et de toutes les nuances possibles entre les trois. Ils portent beau les costumes trois pièces, les gilets, les chemises blanches à col haut et les foulards à la George Brummell, en parfaits dandys du temps présent. Et par dessus tout cela, ils arborent de larges manteaux imprimés d’œuvres du peintre polonais Zdzislaw Beksiński. Dans le dos des derniers pardessus apparaissent des phrases en calligraphie: « Je pense que c’est fini entre nous » ou « Début du 3ème âge ». Pour rappeler peut-être que la mode n’est pas réservée aux Millennials.

Les vêtements semblent patinés par le temps et rappellent en cela le merveilleux ouvrage de Jun’ichiro Tanizaki, l’Eloge de l’ombre, qui explique si bien que le temps qui passe apporte une valeur à un objet, plutôt que la lui ôter.

Yohji Yamamoto ne tombe pas les masques: en collaboration avec la marque Riefe, il en fait des bijoux, précieux accessoires d’une masculinité qui ne se cherche plus.
Le créateur nous invite dans son monde parallèle: il regarde vers le passé, le XIXe siècle, pour écrire un hypothétique futur.

Lorsqu’il a présenté son premier défilé féminin à Paris en 1981, il avait lancé sur le podium des mannequins portant des vêtements amples, noirs, déstructurés, avec le visage passé à la craie. De nombreux critiques avaient détesté: « Hirochima Chic », « Clochardes intellos », « misérabilisme rigoureux », tout avait été dit. Yohji Yamamoto (tout comme Rei Kawakubo) voulait en découdre avec la mode occidentale. Aujourd’hui Yohji Yamamoto ne découd plus mais tisse sa légende à grands coups de beauté.