BA111OD VS Aston Martin

La marque de montres BA111OD est née en octobre 2019 presque par hasard. Créée par un professionnel du monde horloger, Thomas Baillod, afin de prouver la viabilité d’un principe de distribution révolutionnaire, la marque connaît depuis un succès exponentiel. Au point que l’un de ses clients a fait fabriquer une Aston Martin unique aux couleurs de sa montre. Si cette dernière coûte 400 chf, la voiture vaut mille fois plus. Isabelle Cerboneschi

Cette histoire est improbable et si elle n’était pas vraie, on me soupçonnerait de l’avoir inventée.
Nous sommes au printemps 2017. Tandis qu’il suivait des études en stratégie digitale, Thomas Baillod, un professionnel de l’industrie horlogère, a eu une sorte d’épiphanie. Et si la distribution prenait exemple sur le monde digital ? En d’autres termes, et si, à l’image du contenu généré par l’utilisateur, les ventes pouvaient elles aussi être générées par le client, qui deviendrait ainsi le centre de tout le système ?

Ces cours, nous les suivions ensemble et pendant que je somnolais, incapable d’intégrer un vocabulaire et des concepts abscons, Thomas Baillod, lui, n’en manquait pas une miette. Pendant la pause-café nous avions des échanges passionnés, lui sur son intuition d’une distribution disruptive, moi sur mon projet de magazine ALL-I-C. Son ambition de révolutionner ce monde était encore à l’état embryonnaire, mais l’idée avait été plantée. Il ne restait qu’à la faire fleurir.

Pendant trois ans, il a patiemment mis au point sa stratégie de vente « phygitale », à la fois physique et digitale. Il a inventé le concept d’ « Afluendor », un néologisme issu des termes ambassadeur, influenceur, et vendeur. En achetant une montre, le client acquiert le droit d’en vendre un certain nombre, et en échange, il en reçoit une gratuitement. « C’est l’acheteur qui fait le storytelling : plus besoin de marketing, ni de frais de publicité, explique Thomas Baillod. Mon modèle permet de décorréler la partie service et l’action de vendre et par conséquent, de garantir un prix juste. » Son concept pourrait permettre à certaines entreprises horlogères de récupérer une partie des marges absorbées par les intermédiaires. Sûr de sa formule, Thomas Baillod l’a proposée à de nombreuses sociétés, mais s’est heurté à autant de refus.

Qu’à cela ne tienne, pour prouver que ses idées tenaient la route, il a décidé de créer une montre, pas par bravade, mais pour tester la justesse de son propos. Parce qu’il n’est pas à la tête d’une immense fortune, Thomas Baillod a décidé de la faire fabriquer en Chine, « pour garantir le plus grand delta entre la valeur perçue et le coût », explique-t-il. Il a choisi un modèle joli et pas trop cher, fabriqué dans un atelier avec qui travaillent d’ailleurs quelques maisons réputées, qui font des marges généreuses, mais qui n’avoueront jamais faire fabriquer leurs produits en Chine.

Il a annoncé la vente de la première montre portant le nom crypté de BA111OD, sans publicité, via Linkedin, le 11 octobre 2019. Le succès fut immédiat. A la fin de l’année 2020, il avait déjà vendu 2000 montres et son chiffre d’affaires atteignait 600’000 francs. Pas mal pour une montre alibi. Mais il n’entendait pas s’arrêter là : fin 2020 il a créé un modèle serti de diamants « de laboratoire » au prix de 595 francs + TVA et son prochain modèle sera Swiss Made.

Cette success story, presque involontaire, a donné naissance à une histoire parallèle assez rocambolesque. La clientèle de Thomas Baillod est éclectique et il la partage parfois avec de grandes manufactures horlogères suisses. C’est le cas de Dr Saeed Dana, gérant du garage Aston Martin à Dubaï. Il est l’un des premiers Afluendor de la marque. « Quand j’ai lancé le modèle Black Ice, il l’a commandé car il aimait la combinaison des couleurs. », explique Thomas Baillod. Cet Afluendor possède une belle collection de montres issues de manufactures suisses, mais sa BA111OD, il y tient particulièrement, au point d’avoir fait fabriquer une édition unique d’Aston Martin aux couleurs de sa montre.

Le bleu du cadran viendrait habiller la carrosserie, et les surpiqûres jaunes du bracelet souligneraient la peausserie. Ce modèle unique lui a été livré fin 2020 à Dubaï. « Je ne veux pas m’enorgueillir mais tout de même,  relève Thomas Baillod qui n’en revient toujours pas. J’aimerais pouvoir l’acheter, mais hélas, pour l’instant, c’est impossible : la montre vaut 400 francs, la voiture 1000 fois plus. C’est là toute la puissance d’un modèle centré sur le client… »