Yoshiki, le kimono rock

Au printemps dernier, presqu’un autre âge, l’exposition Kimono s’ouvrait au Victoria & Albert Museum. Dans les méandres de l’histoire millénaire de ce vêtement exceptionnel, qui a autant inspiré Paul Poiret que les passions, les créations de Yoshikimono, imaginées par Yoshiki, le légendaire meneur de X Japan. Une fantaisie ? Loin de là. Rencontre virtuelle avec un artiste aux talents multiples et aux racines profondes comme l’histoire de ce vêtement dont l’expression rock’n’traditionnel hante le souvenir d’une exposition entrevue. Lily Templeton, Londres.

Fils aîné d’un marchand de kimono, la société aurait attendu que Yoshiki choisisse de reprendre le flambeau familial. Mais les muses en choisissent autrement. À 10 ans, la rencontre avec un album de KISS scelle la première partie de son destin : c’est d’abord la musique qui l’a appelé. Virtuose du piano formé à la musique classique, son talent est tel qu’il a été invité à jouer devant l’Empereur et l’Impératrice émérites du Japon en 1999.

Et pourtant, à ce moment-là, il est déjà une icône autrement plus radicale dans son pays. C’est en tant que pionnier du Visual Kei, une forme de gesamtkunstwerk dans lequel le spectacle est aussi important que la musique elle-même, que Yoshiki s’est fait son mononyme à l’échelle internationale. D’ailleurs en guise de cadeau de Noël en cette année 2020, il offre actuellement un concert virtuel dans lequel il a invité des personnalités aussi variées que Marilyn Manson, Scorpions, la violoniste Lindsey Stirling, ou encore St. Vincent pour un concert de Noël digital qu’il a organisé pour ses fans.

Et le kimono dans toutes ces virevoltes musicales ? Voir Yoshiki en seule icône musicale serait oublier que décloisonner est le seul point fixe en toutes choses qu’il accepte. Alors imaginez, pour l’exercice, si David Bowie s’était transformé en créateur de mode, et vous aurez une idée de Yoshikimono, lancée en 2011 avec la très respectée fabrique Keigo Kano, et qui ne présente que lorsque son créateur souhaite s’exprimer.

Alors transformations radicales ou inspiration wa, cette unité paisible au sein d’un groupe en recherche d’une harmonie collective qui transcende les intérêts personnels, il ne faut lire dans ces thèmes et variations que la volonté singulière d’un artiste qui fait ses arts – musique comme kimono – des domaines aussi vivants qu’immortels.

On vous connaît pour votre carrière musicale phénoménale. Pourquoi avez-vous décidé de créer également des kimonos, il y a une dizaine d’années ?

Yoshiki Fils de marchand de kimono, on pourrait dire que la mode est dans mon sang depuis la naissance. Je vois la mode dans tout ce que je fais. Même lorsque je compose une musique, c’est une forme de mode. Mais si je respecte l’histoire kimono, qui est une partie irremplaçable de la culture japonaise, je ne veux pas moins l’emmener dans le futur, de la même manière que le piano classique trouve sa place dans ma musique aux côtés de la batterie si chère au rock.

Dans l’exposition, on voit que ces vêtements se transmettent de génération en génération. Le kimono est-il le vêtement éco-responsable originel ?

C’est une question que j’aurais pu demander à mon arrière-arrière-arrière-ancêtre. Mais lorsque je compose un morceau rock ou une concerto de piano classique, je suis toujours en train de penser à la création d’un travail qui sera toujours vivace dans des centaines d’années, comme les partitions de Beethoven ou Tchaikovsky. J’imagine volontiers que mes ancêtres voyaient leur travail de la même manière, avec cette même vibe. Certains disent de moi que je suis un perfectionniste, un perpétuel insatisfait. Mais c’est cet état d’esprit qu’il faut impérativement avoir lorsqu’on créé, que ce soit en musique ou en mode.

Le kimono a inspiré marques de mode et couturiers tout au long de l’histoire et partout dans le monde. Que pensez-vous de cela?

J’aurais besoin d’étudier plus avant de pouvoir dire si le kimono a véritablement influencé ceux qui y ont trouvé l’inspiration. Mais si ce vêtement a eu un écho de l’envergure que vous décrivez, je ne pourrais que me sentir honoré en tant que descendant d’une famille de fabricants de kimono.

Comment traduisez-vous les valeurs, autant esthétiques que philosophiques, qui guident les formes du kimono dans un langage contemporain?

Grande question. Concernant la forme, je garde la forme traditionnelle mais j’essaie de transformer drastiquement le porté. En terme de matériel, j’ai regardé au delà des matières de celles utilisées traditionnellement. Sur les motifs, comme vous le savez, j’ai intégré l’animation japonaise. Je pense qu’il y a toujours un corde raide entre rejeter la tradition et innover.

Pour donner un parallèle avec l’autre facette de ma carrière, je viens de la musique classique. Quand, il y a longtemps, j’ai réarrangé et joué une sonate au piano de Beethoven, cela a créé la polémique. Mais les gens ont fini par accepter ce style. IL est si difficile de garder l’authenticité de la musique classique en tentant de trouver votre propre voie. Dans mon cas, [le fait d’innover] est ma manière de montrer tout le respect que j’ai pour l’artiste originel. Le mot disruption est sans doute galvaudé, puisque tout innovateur s’en voit affublé. Mais je pense que c’est le seul pour décrire la manière dont j’ai toujours envisager de traverser ce monde. C’est à mon sens la seule manière dont je peux me tenir éloigné de la mort.