Chanel tisse des bijoux de tweed
En 2020, grâce au savoir-faire de ses ateliers de haute joaillerie, Chanel avait métamorphosé ce fameux tissu écossais en une collection de haute joaillerie aussi précieuse que réaliste. Trois ans plus tard, sous l’impulsion de Patrice Leguéreau, le directeur du studio de création joaillerie de Chanel, s’ouvre un deuxième chapitre joaillier dédié au tweed. Isabelle Cerboneschi, Paris
Le tweed et Chanel, c’est une longue histoire qui dure depuis cent ans. C’est dans les années 1920 que Gabrielle Chanel découvre l’Écosse, ses paysages rugueux, son climat changeant, sa beauté aussi. Elle entretient alors une liaison amoureuse avec Hugh Grosvenor, le duc de Westminster qu’elle avait rencontré en 1924 à Monte Carlo. Leur idylle durera plus de dix ans. L’été, ils abritent leurs amours loin des regards indiscrets au sein de Rosehall Estate, une imposante bâtisse entièrement redécorée par Gabrielle Chanel. Avec ses 22 chambres, la propriété, située au cœur des Highlands écossais est depuis laissée à l’abandon.
Pour faire face à la rudesse du climat qui y règne, celle que l’on appelait Mademoiselle emprunte à son aristocratique amant ses vestes de tweed qui la protègent des vents. L’origine du nom de ce tissu de laine cardée aux teintes mêlées est incertaine: il viendrait du fleuve Tweed qui traverse l’Ecosse et marque la frontière avec l’Angleterre ou de la déformation du mot écossais « tweel », qui signifie étoffe croisée ou sergé.
Ce sont les paysans écossais qui ont inventé cette matière solide et rugueuse qui les mettait à l’abri du froid et de l’humidité. Le tweed fut anobli au XIXe siècle lorsque l’aristocratie a pris goût aux séjours à la campagne afin de se livrer à la chasse ou la pêche. Ses teintes s’inspirent de la nature écossaise, du brun doré de la lande, du vert de la bruyère, du bleu de l’océan Atlantique, du rouge du lichen ou encore du violet des baies de sureau.
Gabrielle Chanel fut la première à introduire cette matière de gentleman farmer dans le monde de la haute couture, et ce, dès 1924. Elle collabore alors avec une manufacture écossaise qui fabrique ses tissus dans les teintes de son choix et introduit ses premiers tweeds dans ses collections. Elle ne cessera d’utiliser cette matière pour créer toutes sortes de vêtements allant des ensembles de sport aux tailleurs de jour, en passant par des manteaux. « Chanel, une figure influente de la mode dont les vêtements sont à la fois simples, pratiques et élégants, présente des modèles de tweed écossais dans ses dernières collections. Quelques modèles sont déjà sortis pour l’été, et d’autres sont à venir dans sa collection pour l’automne », lit-on dans le Vogue américain d’octobre 1927. Le tweed devient l’une des signatures de Gabrielle Chanel.
En 2020, Patrice Leguéreau, le directeur du studio de création joaillerie de Chanel, s’en est inspiré pour créer une première collection de 45 pièces de haute joaillerie intitulée Tweed de Chanel. « Je voulais présenter cette matière, centrale dans l’univers de Chanel, qui pour la première fois inspirait une collection de joaillerie. Il s’agissait de poser les bases, de façon presque littérale. Alors que la joaillerie a souvent puisé dans les codes de la couture, il est exceptionnel qu’un tissu serve de point de départ à des pièces de joaillerie. Mais le tweed me fascine depuis mon arrivée chez Chanel en 2009. Je me souviens que l’une des premières personnes que j’ai alors rencontrée était François Lesage, il m’a montré ses archives de broderies et de tweed. J’ai tout de suite été embarqué par cette matière et son histoire. J’ai d’ailleurs fait fabriquer spécialement des carrés de tissu pour observer de très près la matière et m’en inspirer pour le deuxième opus », explique-t-il.
L’une des pièces magistrales de cette première collection, le collier Tweed Couture, a été rééditée pour faire son entrée dans les collections du Patrimoine joaillier de Chanel en janvier 2023. Ce collier est composé d’une multitude d’emmaillements de fils d’or rose et de platines et de lignes irrégulières serties de saphirs roses et de spinelles rouges, de diamants et de perles. Il est orné d’un diamant de 10,20 carats DIF Type IIa (*) en pierre de centre.
En 2023, c’est un deuxième chapitre composé de 63 pièces dédiées au tweed qui s’ouvre. «J’avais très envie de pousser le concept plus loin, de définitivement faire rentrer ce tissu exceptionnel au Patrimoine de la Haute Joaillerie. L’idée consiste à entrer davantage dans la matière, à zoomer dans le détail. Et enrichir ce thème fondateur de la maison d’un travail d’écriture encore plus précieux. J’ai voulu tisser un tweed de pierres, imaginer des volumes plus affirmés, écrire une histoire singulière avec chaque pièce de cette collection qui en compte plus de soixante», souligne Patrice Leguéreau.
Le directeur du studio de création joaillerie de Chanel s’est inspiré de cinq objets iconiques chers à Gabrielle Chanel. Le premier est le ruban blanc, qui vient s’entrelacer avec les fils du tissu, comme j’ai pu le découvrir juste après le défilé présentant la collection haute couture automne-hiver 2023/24 sur un métier à tisser dans les ateliers du brodeur Lesage. Chez Chanel, le tweed est une broderie et se construit ligne après ligne. L’artisan ajoute des fils de laine à des rubans de dentelle ou de soie et c’est l’ensemble qui forme une matière plus que précieuse. La seconde thématique est le camélia, une fleur chère à Gabrielle Chanel. On retrouve ensuite la comète, le soleil et enfin le lion, le signe astrologique de Mademoiselle, née le 19 août 1883. Pour donner vie à sa vision, Patrice Leguéraux a convoqué l’or, le platine, les perles, les pierres précieuses, le cristal de roche.
Le plus remarquable, dans cette collection, c’est la manière dont les joailliers ont réussi à reproduire la trame du tissu. « On ne soupçonne pas les trésors d’inventivité qu’ont déployé les artisans de nos ateliers pour reproduire la souplesse et la fluidité du tissu avec du métal et des pierres précieuses ! Cela a parfois été un casse-tête ! », explique Patrice Leguéraux. Grâce au savoir-faire des ateliers, Chanel a réussi à reproduire les multiples variations tweed, son moelleux et son tissage irrégulier grâce à de savants ajours et des emmaillements de fils d’or et de platine. Les diamants, les perles, les saphirs sont travaillés sur plusieurs niveaux, ce qui confère aux bijoux une texture très réaliste .
Quand on regarde le collier Tweed Royal, la pièce maîtresse de la collection, avec sa trame en or jaune gansée d’une chaîne comme celle que l’on trouve dans le bas des petites vestes emblématiques et qui en assure un tombé parfait, on a l’impression d’être devant un trompe-l’œil. On croit voir un tissu alors qu’il s’agit de maillons d’or sertis de diamants et de rubis. Cela relève d’une forme d’alchimie: comment transmuter un tissu en or?
*Les diamants GIF sont des diamants d’un blanc et d’une pureté exceptionnelle et dont aucune inclusion n’est visible à la loupe x 10.
Les diamants de “Type IIa” et “Type IIb” sont excessivement rares (ils représentent moins de 2% des diamants présents dans la nature). Ce sont les diamants chimiquement les plus purs qui offrent un blanc et une brillance unique.