Quand la Seine sert de décor au défilé Chanel
Parce que le thème de la collection Chanel Haute Couture Automne-Hiver 2023/24 était Paris et la Parisienne, Virginie Viard, la Directrice Artistique des collections Mode, a choisi de défiler sur les quais. Une collection qui n’est pas une révolution mais qui rappelle la grammaire, le savoir-faire de Chanel et en signe l’allure. Isabelle Cerboneschi, Paris
Aucun décor grandiose n’a été créé pour l’occasion: la toile de fond du défilé Chanel Haute Couture Automne-Hiver 2023/24, c’était la Seine, tout simplement. La Seine, ses quais, ses pavés et au loin, la tour Eiffel que l’on apercevait en voyant apparaître le premier look, un long manteau de tweed marine à double boutonnage, aux proportions parfaites, porté par Caroline de Maigret.
Le set du défilé tenait à presque rien: des gradins posés sur les berges de la Seine, très simples, les bateaux mouches passant comme des personnages secondaires et quelques pavés peints aux couleurs fétiches de Virginie Viard, la Directrice Artistique des collections Mode: rose, mauve, violet. Cette absence de décorum, qui faisait un bien fou, a eu un impact positif sur les invités. Que ce soient l’actrice Lupita Nyong’o, le rappeur Kendrick Lamar, les chanteurs-compositeurs Vanessa Paradis, Sébastien Tellier et son épouse Amandine de la Richardière, ou encore le designer André, loin de se protéger dans un espace ViP, ils évoluaient simplement, au milieu des clientes et des journalistes, parce que les lieux s’y prêtaient. Cela aurait pu être un jour comme un autre, sauf que Chanel ne fait jamais rien comme les autres. « Si nous sommes à Paris, nous sommes cette fois-ci dans Paris même, sur les quais. La rue et les pavés colorés appellent à la fois de la sophistication et de la simplicité », relève Virginie Viard dans la note d’intention du défilé.
Pour cette collection, elle s’est inspirée de Paris, des quais de Seine, d’une Parisienne qui flâne, même si l’on a peu de chance d’en croiser une avec un bouquet à la main ou promenant son chien, habillée en haute couture. C’était une fiction, celle d’un Paris rêvé. Vue depuis les gradins, la collection était émaillée de manteaux sublimes à la coupe parfaite, de pantalons de tweed à la taille haute, de robes en dentelle fine comme une deuxième peau et surtout de pièces ornées de broderies de fleurs en trois dimensions, comme des jardins qui auraient poussé sur les robes, les plastrons, les chemisiers.
Pour comprendre ce qui fait l’unicité de Chanel, il faut pouvoir voir la haute couture de près. Ou avoir la chance, ce fut mon cas, de découvrir les échantillons de tweed de la collection tissés chez Lesage, les fleurs et les fruits brodés dans les ateliers Montex, deux maisons qui s’abritent dans le bâtiment le19M dessiné par l’architecte Rudy Ricciotti. C’est cela Chanel: un extraordinaire savoir-faire. Et c’est ce que recherchaient les nombreuses clientes de la haute couture venues faire des essayages dès le lendemain du défilé, dans les ateliers du 31 rue Cambon.
Cette collection n’est ni une ostentation, ni une révolution. Celle-ci a déjà eu lieu par deux fois au sein de Chanel: lors de sa création, en 1910 et lorsque Karl Lagerfeld en avait repris les rênes en 1983. Il s’agit d’une proposition, celle d’un style intemporel, d’un savoir-faire unique, d’une silhouette reconnaissable entre toutes. « Jouer avec les oppositions et les contrastes, la nonchalance et l’élégance, c’est se tenir sur une ligne entre force et douceur, que, chez Chanel, on appelle l’allure», souligne Virginie Viard.
Quelques jours avant le défilé, Vanessa Paradis avait posé pour les premières photos et le teaser, réalisés par Karim Sadli. Elle a connu et porté des robes haute couture dessinées par Karl Lagerfeld et désormais celles créées par Virginie Viard. Celle-ci ne s’exprime plus depuis qu’elle a été nommée mais Vanessa Paradis, qui la connaît depuis longtemps, en parle très bien. « Virginie, c’est une femme très féminine, très proche des autres femmes. On se retrouve toujours avant, après les défilés, on passe notre temps à parler, à rigoler, à échanger. Virginie, c’est quelqu’un qui adore la musique, le mouvement et qui inclut cela dans ses collections. J’ai l’impression qu’elle me comprend, qu’elle nous comprend toutes et c’est pour cela que de multiples générations peuvent se retrouver dans ses collections. Ce qui est merveilleux, c’est qu’elle a ses créations, ses visions, mais elle a tellement envie qu’on se sente bien, qu’on se sente nous-mêmes et qu’on s’amuse dans les tenues et qu’on puisse évoluer, danser, bouger. J’ai porté carrément ses tenues haute couture dans des concerts! C’est merveilleux. Quand on enfile une tenue haute couture, on est un petit peu impressionné, c’est tellement précieux, on a peur de l’abîmer et au bout de quelques heures, cette seconde peau est à vous et on peut évoluer. Et puis ce sont des tenues qui prennent tellement bien la lumière. Vos mouvements sont soulignés par ces points de lumière», confie la chanteuse et actrice dans un podcast.
Ce que Virginie Viard résume avec ces quelques mots: « Transmettre des émotions, réunir des éléments qui ne sont pas prévus pour être ensemble, faire à sa façon, rêver, tout simplement. »