Lettre à Luna

En hiver, les jours diminuent et les nuits s’allongent. Le bon côté des choses, c’est que l’on peut se plonger plus longtemps dans l’observation de la lune. En janvier 2019 Hermès Horloger a lancé un modèle qui s’appelle Arceau, L’Heure de la lune. Ce garde-temps d’une intense poésie m’a inspiré ce récit, juste avant les fêtes. Parce que cet astre rend nos nuits moins sombres et nous donne l’espoir de lendemains plus doux. Voici l’histoire de Luna. Photos et réalisation : Buonomo & Cometti. Texte : Isabelle Cerboneschi

Préambule : ce texte est un récit. Luna est un personnage est sa mère aussi. Toute ressemblance avec des personnes existantes est fortuite.

 

Ce soir, c’est la pleine lune. Luna s’est accoudée à la fenêtre pour mieux la regarder…

« Sa face, celle qui n’est pas cachée, m’est si familière. Combien de fois me suis-je laissé bercer à sa lueur. Combien de nuits ai-je rêvé que les prières muettes que je lui adressais sauraient être entendues. Et comme chaque nuit de pleine lune, un flux et un reflux de souvenirs se déversent en moi.

En faisant du rangement, ce soir, j’ai retrouvé, tout en haut d’un placard, un grand carton oublié. Il contenait une lettre que ma mère m’avait écrite juste avant ma naissance. Elle me l’avait donnée lorsque j’ai eu 18 ans, dans un paquet enrubanné qui contenait mes premiers langes, mes premiers pyjamas, mes premières petites chaussures d’enfant,… La lettre était posée juste au-dessus. La retrouver me bouleverse. On dirait qu’elle a été écrite exprès pour ce soir de pleine lune.

«Ma fille chérie,

Le soir tombe, la lune est d’or ». c’est le seul vers de ce poème d’Émile Verhaeren dont je me souvienne. Je l’avais appris par cœur, comme tous les élèves de ma classe. Dans la cuisine de ma grand-mère, je l’avais répété, répété, comme un singe savant. Et inlassablement, elle m’avait corrigée, corrigée, jusqu’à ce qu’il sorte de ma bouche sans accroc. J’avais quel âge, déjà ? Cela fait si longtemps.

Je n’aimais pas ce poème, horriblement triste, ni le nom du poète. Il me faisait penser à André Verchuren, l’accordéoniste. Et les accordéons me mettaient mal à l’aise. Je trouvais qu’il en sortait un son pas très joli, comme si l’instrument parlait du nez. Plus tard, j’ai découvert Astor Piazzolla et sa façon de me tordre le cœur avec son bandonéon qui pleurait des larmes de sang. Il m’a réconciliée avec les instruments de musique à soufflet. Mais c’était plus tard. »

Un autre souvenir vient frapper à la porte de mon esprit. C’était au beau milieu de la nuit, le 21 juillet 1969. J’étais une toute petite fille mais mes parents m’avaient sortie du lit de force pour me faire regarder quelque chose d’unique. Dans la lucarne de la télévision, je voyais des silhouettes rectangulaires qui semblaient rebondir comme des marshmallows blancs sur une terre poussiéreuse. L’homme avait marché sur la lune ce soir-là. Notre beau satellite avait perdu un peu de son mystère mais cela ne m’a pas empêchée de l’aimer.

La lune est devenue mon alliée l’été de mes 18 ans. J’étais couchée sur l’herbe avec mon amoureux, mon seul, mon unique, celui qui est devenu ton père. Mon cœur battait, son cœur battait, c’était ma première fois. Je n’en ai pas gardé un souvenir inoubliable. En revanche, je me souviens de tout le reste. De la lune pleine, surtout, qui semblait me regarder de son œil cyclopéen, sans jugement, j’espérais même avec bienveillance. Elle était aussi ronde que j’étais menue. Comme deux enfants qui ont grandi trop vite, ton futur père et moi ne savions plus quoi faire des portions de nos corps que nous tentions de récupérer après les avoir si bien mélangés. « Tiens, reprends ta jambe ». « Tiens, reprends ton bras ». Et soudain, au beau milieu de ce méli-mélo, nous avons éclaté de rire. C’était bon, toute cette joie après la première fois. À cet instant, j’ai su que nous allions passer notre vie ensemble, lui et moi, parce que le rire sauve de tout.

J’ai la faiblesse de croire que depuis ce soir-là, la lune est devenue mon amie. Je n’en ai pas beaucoup, d’amies. Celle-là est muette pour l’éternité, mais cela ne fait rien. On n’est jamais déçu par la lune. Elle est là. Et au pire, elle s’éclipse, mais cela ne dure pas.

Un jour, c’est moi qui suis devenue lune. Ou plutôt mon ventre. Il s’est arrondi, arrondi. J’ai cru qu’il n’en finirait plus de prendre tout cet espace. J’avais avalé un astre et cet astre, c’était toi. Tu as pointé le bout de ton nez en plein jour, comme pour contrebalancer le pouvoir d’attraction que la nuit exerçait sur moi. Ton père et moi t’avons prénommée Luna. Voilà, c’est ce que je voulais t’écrire, ce soir, en attendant que tu donnes naissance à ton tour, un jour, à un astre des nuits qui embellira nos jours… »

« Je pose la lettre délicatement et je jette un regard sur ma montre. Un cadeau que je me suis fait. Elle s’appelle Arceau, L’Heure de la lune. Sur son cadran, il y a deux lunes, et sur l’une d’elles, on voit Pégase, ce beau cheval ailé, coursier des muses, qui passe de la Terre au Ciel. Comme mes pensées.

Je pense à toi, qui n’est pas encore né. Un jour, tu recevras à ton tour la lettre de ta grand-mère, la montre de ta mère. Mais pour l’instant tu es lové à l’intérieur de moi, mon beau soleil. Et je t’attends. »

Photo & réalisation: Buonomo & Cometti
Model : Elodie@elite
Merci à Evane Boulanger @elite