Julie de Libran sort sa griffe

La créatrice, qui a quitté la direction artistique de Sonia Rykiel en mars 2019, lance une marque responsable qui porte sa signature : « Dress by Julie de Libran ». Des robes conçues dans des soies provenant d’archives ou de fins de stock et des broderies de chez Jakob Schlaepfer à Saint-Gall. Pas de surproduction, une mode consciente, intemporelle. Isabelle Cerboneschi, Paris

Lorsque j’ai rencontré Julie de Libran pour la première fois, c’était en 2010. Elle avait dessiné la collection croisière de Louis Vuitton et pour la première fois, elle faisait une apparition en public. Une collection désirable, gaie, fraîche, légère, féminine, chic. Sofia Coppola était présente. La collection lui ressemblait un peu.

Lorsque j’ai rencontré Julie de Libran pour la deuxième fois, c’était en mars 2015, dans la boutique-librairie Sonya Rykiel de Saint-Germain-des-Prés. Elle était la directrice artistique de la marque depuis mai 2014 et venait de présenter sa deuxième collection. Une collection désirable, gaie, fraîche, légère, féminine, chic. Sofia Coppola était-elle présente ? Je ne m’en souviens plus, mais j’ai reconnu une signature : celle de Julie de Libran.

En mars dernier, elle a annoncé son départ et le 25 juillet dernier, la marque Sonia Rykiel a été liquidée, faute de repreneurs. Les temps sont durs pour les maisons de mode, surtout lorsque les fondateurs ne sont plus…

La dernière fois que j’ai vu Julie de Libran, c’était en juillet dernier, chez elle. Elle venait de présenter la première collection qui portait son nom : Dress by Julie de Libran. Une collection de robes désirables, gaies, fraîches, légères, féminines, chics, et surtout versatiles. Le temps de se présenter dans la lumière, sans groupe ni « role model » derrière elle, était venu.

Julie de Libran a grandi sous le soleil, à Aix-en-Provence. Mais son enfance est faite de déracinements : à San Diego, d’abord, en Californie, où sa famille a déménagé lorsqu’elle avait huit ans. En Italie, ensuite, en 1990, lorsqu’elle est partie étudier le design et le patronage à l’Instituto Artistico dell’Abbigliamento Marangoni, à Milan. Puis à Paris, enfin, lorsqu’elle est entrée à l’École de la Chambre Syndicale de la Couture.

Pendant de longues années, elle a travaillé dans des ombres célèbres : celles de Gianfranco Ferré, de Gianni Versace, de Donatella Versace, de Miuccia Prada pendant plus de dix ans, de Marc Jacobs, lorsqu’il était directeur artistique de Louis Vuitton six années durant, puis de Sonia Rykiel où elle est restée cinq ans. « J’ai eu la chance de travailler avec de grands créateurs, dit-elle. J’ai eu la possibilité d’apprendre le travail dans de belles maisons, dans des ateliers extraordinaire. Et un jour j’étais prête à lancer ma marque avec mon nom sur l’étiquette.

Le premier défilé de Julie de Libran a eu lieu dans son appartement. C’était un peu comme si nous étions invités à une soirée et que l’on voyait passer des filles un peu plus jeunes, plus grandes, plus minces que les autres, portant des robes plus habillées, plus légères, plus ornées, plus fluides. En les voyant descendre les escaliers nonchalamment, je me suis dit qu’habillées comme cela, rien de grave ne pouvait leur arriver.
La collection est une suite de robes à histoires, vingt au total, qui portent le nom de ses amies ou de femmes qui l’inspirent. Julie de Libran travaille avec deux maisons : un atelier de soies italiennes et le fameux fabriquant suisse de broderies, Jakob Schlaepfer, à Saint-Gall. Elle fait aussi appel à un artisan qui récupère crée des bijoux intégrés aux robes, ou des accessoires en série limitée avec des matières de récupération.

La créatrice autofinance son projet. Elle s’est lancée dans l’aventure sans investisseur, afin d’être libre, mais elle n’est pas seule pour autant : elle a nommé soeur Fanelie Philipps comme CEO. Pas ou peu de stock : seules les pièces commandées sont fabriquées et livrées en quinze ours. Pour les robes sur mesure, il faut compter un mois et demi. Pas de discrimination grossophobe chez Julie de Libran : les robes sont taillées du 36 au 48.

INTERVIEW

Pourquoi une collection faite uniquement de robes?

Ma première création, quand j’avais 14 ans, ce fut une robe. J’ai toujours trouvé qu’une robe habillait une femme. On peut jouer avec des accessoires et la porter chaque fois de manière différente. C’est un morceau de musique, une robe. C’est l’expression d’une femme, quelque chose qui nous enveloppe, cela permet une créativité extrême. On peut jouer avec les matières, les formes, le court, le long, avec le côté versatile d’une manche qui devient une cape.

Vos modèles portent toutes un prénom différent. ont-elles été inspirées par des amies?

Elles ont toutes été inspirées par une femme. La robe Sofia (Coppola, ndlr) est inspirée par une amie extrêmement créative, mais qui n’est jamais « trop ». La robe Charlie, elle, s’inspire des Charlie’s Angels, elle bouge elle danse, on la porte avec ou sans cape. Quand une femme entre dans un magasin et découvre un modèle qui s’adapte parfaitement à son corps et à sa personnalité, elle a envie de l’avoir en plusieurs exemplaires. Chacun des vingt modèles a une histoire, un nom et possède trois variantes : une tunique, une robe courte, une robe longue. Je travaille avec les mêmes patronages puis je joue avec les matières, la longueur, le décolleté, les broderies.

Est-ce du prêt-à- porter ou du sur mesure.

Les robes brodées sont fabriquées sur mesure : chacune est numérotée et produite en édition limitée. Les autres sont des pièces de prêt-à-porter mais elles ne sont produites que s’il y a une commande. Je ne voulais pas entrer dans un système de surproduction et de gaspillage.

Une démarche responsable, pour une marque de mode aujourd’hui, c’est une nécessité?

En tant que créatrice, en tant que mère, dans un monde qui va de plus en plus vite, je veux me rapprocher à la fois de la femme qui va porter la robe et de la production. Je souhaite savoir comment cela mes robes sont faites, maîtriser la production, et j’espère ensuite que la robe sera portée et transmise. D’où leur côté intemporel. J’aimerais que lorsque l’on revienne à la valeur des choses, que l’on se dise que ces robes ont demander des heures à être produites. Et non pas qu’on les porte et qu’on les jette. J’utilise des soies magnifiques que j’ai récupérées dans des archives en Italie, des fins de stock. Elles n’existent de ce fait très petites quantités. Si je ne m’y étais pas intéressées, ces matériaux auraient été jetés, ou perdues. Je souhaitais récupérer des matières qui sont mises de côté et leur donner une deuxième vie.

En vente sur le site Julie de Libran https://www.juliedelibran.com et Matches Fashion.