… Et ce sont ceux qui la portent qui en parlent le mieux!

Le maître horloger François-Paul Journe n’avait aucune intention de créer un garde-temps sportif jusqu’à ce que l’un de ses clients japonais lui demande une montre ultra-légère. En 2011, la première lineSport est née. Ce modèle léger comme deux plumes est devenu l’objet de désir des nouveaux collectionneurs de montres F.P.Journe. Rencontre avec des propriétaires passionnés. Isabelle Cerboneschi

Octa Sport Automatique en titane avec cadran jaune ©F.P.Journe

« Tu sais pourquoi j’ai créé la Sport? », me demande François-Paul Journe par un beau jour d’automne 2021. La réponse heureusement était « non », ce qui lui a permis de raconter la rocambolesque histoire de ce modèle qui a fêté cette année ses 10 ans.

«L’un de mes clients à Tokyo était un très bon vivant, un vrai épicurien. Nous nous étions retrouvés à Paris en 2008: il était venu pour l’inauguration de notre boutique. À cette occasion, il portait le Centigraphe en platine avec un bracelet en platine. Quand je l’ai revu quelque temps plus tard à Tokyo, il était complètement transformé: il avait maigri de 30 kilos et il s’était mis au sport de manière intensive. Il faisait du triathlon et du marathon. Il m’a alors demandé de lui créer une montre plus légère que sa Centigraphe en platine, car pour courir, ce n’était pas pratique, m’avait-il dit. »

Parce qu’il est un horloger de l’extrême, François-Paul Journe a décidé de relever ce pari et concevoir une montre pour un homme d’affaires devenu, par la seule force de sa volonté, un sportif de l’extrême. Après moultes recherches, il a découvert un alliage d’aluminium de haute technologie, un matériau ultra léger utilisé dans l’aéronautique qui pouvait accueillir son calibre Centigraphe et a commencé à travailler sur ce modèle en 2010. Le Centigraphe Sport No 001, le premier d’une nouvelle collection, ne pesait que 55 grammes, boîtier, mouvement et bracelet inclus. Le pari a été relevé, mais c’était compter sans les caprices de l’histoire…

En mars 2011, avant même que le client puisse découvrir la création qui lui était destinée, un tremblement de terre, suivi d’un tsunami qui a frappé la centrale de Fukushima, a entraîné une catastrophe nucléaire. « J’ai décidé de mettre cette montre aux enchères chez Christie’s à Hong Kong (le 30 mai 2011, ndlr) au profit des victimes japonaises, explique François-Paul Journe. Trois acheteurs ont enchéri et celui qui a emporté le Centigraphe pour US$ 467’152.-, soit près de 9 fois le prix public, ce fut mon client! Il était très content car la majeure partie de cette somme a permis de construire un Centre Communautaire à Sendai, pour accueillir les familles ne sachant plus où se réunir et le reste a été versé à Médecins du Monde. J’ai visité les lieux trois ans plus tard, en 2014. Toutes les infrastructures portuaires, le gaz, etc. avaient été refaits à neuf. La seule trace qui restait de la catastrophe, c’était un tas de carcasses de voitures qui faisait 15 mètres », explique FP-Journe. C’est dans ces circonstances particulières que le Centigraphe Sport a vu le jour.

François-Paul Journe est un homme de la Renaissance: un mélange entre Galilée et Botticelli.

Carlo Gancia

Personne n’attendait François-Paul Journe sur le terrain des montres sportives, mais si le maître horloger créait des montres en fonction des attentes des autres, cela se saurait. Ce garde-temps fut à l’origine d’une collection: la lineSport. L’Octa Sport à remontage automatique a suivi le Centigraphe en 2012. Même si le boîtier, le mouvement et le bracelet sont réalisés en alliage d’aluminium, elle est proposée avec un bracelet en caoutchouc. Ce modèle possède les caractéristiques du calibre Octa, notamment 160 heures de réserve de marche.

Le 27 mai 2012, Jean Alesi participait à la 96e édition des 500 miles d’Indianapolis. Lorsqu’il s’est lancé dans la course au volant de sa Lotus, il portait son Centigraphe Sport au poignet. Pour célébrer sa participation, F.P.Journe a créé l’Octa Sport « Indy 500 », une série limitée à 99 exemplaires, avec un boîtier en alliage d’aluminium noirci et un bracelet en caoutchouc. C’est à l’occasion de cette course mythique que Carlo Gancia, un homme d’affaires italo-brésilien très impliqué dans le sport automobile et président de Image Sports Marketing, a découvert cette montre et accessoirement le nom de F.P. Journe.

« Je connais Jean Alesi depuis longtemps parce que j’avais une écurie de Formule 1 en 1995 et de ce fait j’étais présent lors de sa première et seule victoire en F1 lors du Grand Prix du Canada à Montréal, en juin 1995 avec la Scuderia Ferrari, explique Carlo Gancia. Des années plus tard, à Indianapolis, quand j’ai vu le nom de F.P.Journe écrit sur sa voiture, je lui ai demandé de qui il s’agissait car je ne le connaissais pas. J’ai commencé alors à suivre l’actualité de ce maître horloger: ses montres étaient tellement différentes de tout ce qui se faisait! François-Paul Journe est un homme de la Renaissance, un artiste total. Il dessine ses montres, ses propres polices de caractère et il crée aussi toute la mécanique. Un mélange entre Galilée et Botticelli. Constantin Brancusi disait que « la simplicité est la complexité résolue ». Mais avec François-Paul Journe on devrait plutôt parler de complexité domptée. »

Cette rencontre avec l’univers de François-Paul Journe fut décisive pour ce collectionneur de montres: à partir de ce moment-là, Carlo Gancia a œuvré pour s’offrir une part du mythe. « J’ai eu la chance de pouvoir acquérir l’un de ses modèles. Je voulais une montre automatique or il n’y avait qu’une Octa Sport avec un cadran jaune de disponible. Quand je l’ai vue, ce fut un coup de foudre. Pour moi, c’était Georges Méliès en technicolore! Une véritable « conversation piece ». J’ai pu l’acquérir le 31 mai 2021. C’est ma première montre F.P.Journe mais ce n’est pas la dernière. Je suis dans la file d’attente pour un Centigraphe. J’aimerais que mes deux fils puissent avoir chacun leur montre F.P.Journe lorsque je ne serai plus et qu’ils puissent les transmettre à leur tour afin qu’elles restent dans la famille. Ils pourront dire que leur père les a achetées au créateur, Monsieur Journe.»

INDY 500 en hommage à Jean Alesi lors de la course d'Indianapolis de 2012 INDY 500 in tribute to Jean Alesi at the 2012 Indianapolis race ©F.P.Journe

L’Octa pèse 70 grammes, comme une plume qui vole sur le temps...

Giorgio Vorlet

En 2018, François-Paul Journe a décidé de remanier toute la collection lineSport et d’en pousser le diamètre. « Je m’étais aperçu que, pour une montre de sport, elle avait l’air petite sur un poignet: j’ai donc agrandi les boîtiers qui sont passés de 42 à 44mm, explique-t-il. Et comme ces montres n’ont pas de cornes, elles font vraiment à 44mm. Le bracelet suit la forme du bras et la montre est plus harmonieuse. Actuellement, les 42mm valent une fortune sur le second marché. » Cette même année 2018, il a ajouté un troisième modèle à la collection, le Chronographe Rattrapante, doté du nouveau calibre 1518 à remontage manuel qui est issu du développement du Chronographe Monopoussoir Rattrapante Bleu réalisé pour Only Watch en 2017. Elle existe désormais dans différentes versions avec des boîtiers et bracelets en platine, en or rouge 6N 18 ct. et en Titane Grade 5.

L’année suivante, en 2019, le Centigraphe et l’Automatique Réserve, disponibles en or 6N ou en platine, ont été intégrés à la lineSport. Les montres signées F.P.Journe ne se contentent pas d’être belles et techniquement irréprochables: elles sont aussi vertueuses. En effet, 30% du profit de la vente de chaque Centigraphe est reversé à l’ICM, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière à Paris. Mais encore faut-il réussir à s’en offrir une.

François-Paul Journe génère le manque chez ses clients, mais de manière involontaire: ce manque naît de l’incapacité de sa manufacture à produire plus de 900 montres par année. Et comme il est l’un des plus grands horlogers vivants et que ses pièces font des records lors des ventes aux enchères, tous les passionnés de pure horlogerie voudraient s’offrir un modèle portant son nom. Le manque crée le désir. « La frustration de ne pas toujours pouvoir obtenir ce que l’on veut est essentielle, explique le collectionneur Giorgio Vorlet. Les porteurs de montres de F.P. Journe sont comme un clan d’initiés, une bande de disciples. Ils sont contents qu’un horloger comme François-Paul Journe existe, parce qu’il n’est pas dans la norme. Ses objets sont mythiques et l’on s’attribue une parcelle de son talent en possédant l’une de ses montres. »

Giorgio Vorlet ne possède « malheureusement » qu’une seule montre signée F.P. Journe: l’Octa Sport Automatique Titane. «Le Centigraphe Sport, auquel je m’intéressais aussi, n’était hélas pas disponible, dit-il. L’Octa pèse 70 grammes, comme une plume qui vole sur le temps… On l’oublie. J’ai beaucoup d’autres montres mais je ne porte que celle-ci. Je peux l’utiliser n’importe quand, sans devoir y faire attention. Je rentre des Dolomites où j’ai fait du VTT pendant une semaine où j’ai pu tester sa résistance et la mienne. Je n’avais pas peur de la porter: je ne veux pas d’une montre qui soit un boulet. Avec l’Octa on fait du sport, on transpire, on prend sa douche. Parfois je la laisse reposer exprès pour voir si son petit cœur résiste 7 jours, et il résiste!»

Ceux qui parlent le mieux des montres F.P.Journe, ce sont ceux qui les possèdent, qui les portent et qui les aiment. Lorsque Giorgio Vorlet s’exprime au sujet de son Octa Sport, il devient lyrique. « C’est une sculpture qui, par ailleurs, donne l’heure, relève-t-il. Pouvoir l’acquérir fut une chance extraordinaire! Le fait que François-Paul Journe ait créé une ligne sport avec le même état d’esprit que ses montres classiques, c’est exceptionnel. Je possédais déjà toutes les montres que je désirais et j’avais le sentiment d’avoir fait le tour: je n’en voulais plus de nouvelles. Celle-ci fut l’exception. En possédant l’une des créations de François-Paul Journe, on prend conscience que l’on traverse une belle période de sa vie et qu’il faut en profiter. Quand je la regarde, j’apprécie tout ce qu’il y a derrière cette montre: tous ceux qui l’on faite, tout ce que je suis incapable de faire…»