Alaïa, les secrets de la collection printemps-été 1992

Comment naît une collection? ll y a autant de réponses que de créateurs ou de couturiers. Mais si l’on se rend au 18 rue de la Verrerie, jusqu’au 6 janvier 2019, à Paris on peut découvrir comment est née celle du printemps-été 1992 dessinée par Azzedine Alaïa. Au fil de l’exposition intitulée « L’Alchimie secrète d’une collection » on perçoit en filigrane ce qu’elle doit à la Marquise de Pompadour. – Isabelle Cerboneschi, Paris

Le couturier Azzedine Alaïa avait établi son fief dans le quartier du Marais où il avait acquis un îlot de bâtiments pour y installer son atelier de travail, sa boutique, un lieu de vie, d’exposition et de rencontres, et plus tard un hôtel de quelques chambres où recevoir ses amis.

Lorsqu’il avait acquis cet ensemble, en 1987, dont un atelier industriel qui fut autrefois l’hôtel des évêques de Bauvais, il a découvert pendant les travaux que Jeanne-Antoinette Poisson, devenue la Marquise de Pompadour, la favorite du roi Louis XV, avait été éduquée en ces lieux. Grâce à cet apprentissage, et à sa beauté, la jeune femme, qui n’appartenait pas à la noblesse, avait réussi à entrer à la Cour et y avait tracé son chemin jusqu’au roi.

La Pompadour fascinait Azzedine Alaïa: elle représentait la femme dans toute l’expression de sa puissance, capable de surmonter l’obstacle de ses origines pour tordre le destin et se hisser jusqu’au pinacle: le trône de France. Le couturier a vu en cette coïncidence un clin d’œil. En 1991, il s’est installé  rue de la Verrerie, avec son compagnon l’artiste Christoph von Veyhe, et a décidé de créer une collection inspirée par la Marquise de Pompadour: la collection printemps-été 1992. « Ça lui plaisait beaucoup de découvrir que la Pompadour avait vécu là, confie Olivier Saillard, le commissaire de l’exposition « L’Alchimie secrète d’une collection ». C’est pour cela qu’il a fait cette collection. Il avait fait beaucoup de recherches. Il se sentait sous son parrainage. »

Il s’agit de la plus importante collection jamais créée par le couturier: 115 passages. On y découvre des références à Versailles dans les broderies anglaises qui bordent les ourlets, dans les rubans en trompe l’œil sur les robes en maille, mais surtout dans les bustiers et les corsets de cuir perforé et dentelé.

« Pour la première exposition, nous avions présenté des œuvres qui avaient déjà été exposées, ce qui était plus simple à mettre en œuvre, explique Olivier Saillard. Pour la deuxième, Carla Sozzani (la présidente de l’Association Azzedine Alaïa, ndlr) a proposé que l’on expose les pièces de la première collection présentée en ces lieux. Les réserves et les collections d’Azzedine étant immenses et pléthoriques, bien stockées mais mal rangées, ce fut une pêche miraculeuse! »
Les robes de la collection printemps-été 1992 sont exposées sur des bustes dont la transparence laisse toute la place au savoir-faire du couturier, à son art de la coupe qui fait que ses vêtements semblent toujours habités. Impossible de les dater. Cela vaut pour toute son œuvre d’ailleurs. Bien avant que les créateurs et les designers s’inspirent du passé pour réinventer un certain présent, Azzedine Alaïa s’était prêté au jeu du voyage dans le temps. Mais avec subtilité et une maestria redoutables: si l’on ne connaît pas les origines de la collection, on ne saisit pas les références à la Pompadour.

Sur un mur de l’exposition, on découvre la vidéo du défilé: on y voit les top models de l’époque, celles qui ont fait de leur prénom une marque: Naomi (Campbell), Linda (Evangelista), Christy (Turlington), Cindy (Crawford), et d’autres, belles à la puissance dix, drôles, joueuses. « C’était une période où elles s’amusaient, rappelle Olivier Saillard. Elles avaient des corps, des courbes, et elles n’étaient pas toutes pareilles. ».

L’exposition dévoile des modèles qui n’avaient plus été montrés depuis le défilé, comme « toutes ces petites robes en maille de la fin, dans des couleurs très particulières, comme des framboises écrasées, que je n’avais jamais vues, confie Olivier Saillard. Les couleurs sont restées intactes. Azzedine avait le sentiment puissant de l’œuvre à conserver, même si il l’a fait dans un ordre improbable.»

L’Alchimie secrète d’une collection, 18 rue de la Verrerie, Paris. L’exposition dure jusqu’au 6 janvier, et est ouverte tous les jours de 11:00 à 19:00 h