Chanel, retour à Aubazine

Le défilé haute couture printemps-été 2020, qui s’est tenu au grand palais le 21 janvier, était un hommage aux origines du style de Gabrielle Chanel. Son goût pour le noir et le blanc, les matériaux détournés, le logo de sa maison, sont inspirés de ses années passées à l’orphelinat où elle a grandi. Isabelle Cerboneschi, Paris.

Derrière les portes tambour du Grand Palais, habituellement, juste avant un défilé Chanel, on découvre un univers fantasmagorique et grandiose. Il s’agit parfois d’un hyper-supermarché, d’une fusée prête à décoller, d’un monde post-apocalyptique, d’une banquise, d’une plage, d’un hall d’aéroport, d’un jardin à la française ou à l’italienne… Tout est faux et tout semble si vrai, pourtant. Mais en ce mois de janvier 2020, on a le sentiment d’entrer de plein pied dans le réel, ou plutôt, de faire un saut dans le passé. Dans celui de Gabrielle Chanel et ses années passées à l’orphelinat d’Aubazine, en Corrèze. 

Le podium – si l’on peut qualifier de podium ces allées de gravillon bordées de fleurs sauvages qui mènent toutes à un puits de pierre central – est camouflé par des draps étendus, comme après une grande lessive de printemps. Ces tissus blancs, brodés, ou non, semblent avoir traversé le siècle.

Virginie Viard, la directrice artistique de la maison, a reconstitué un jardin de cloître, sous la coupole du Grand Palais, à Paris. Mais pas n’importe lequel : celui d’Aubazine, l’orphelinat où le père de Gabrielle Chanel l’a abandonnée avec ses soeurs, Julia et Antoinette, lorsqu’elle avait 11 ans et demi, juste près la mort de leur mère, en 1895.

Toute la collection est inspirée de ce lieu que Virginie Viard a visité. « Ce qui m’a tout de suite plu, dit-elle dans la note d’intention du défilé, c’est que le jardin du cloître était en friche. Il faisait un grand soleil. Cet endroit me faisait penser à l’été, aux brises parfumées de fleurs. J’ai eu envie de broderies florales comme un herbier, de fleurs délicates. Ce qui m’intéresse dans ce décor, c’est le paradoxe entre la sophistication de la haute couture et la simplicité de ce lieu. » 

De fait, la collection est une évocation douce des années douloureuses que la couturière a passées à l’orphelinat d’Aubazine. Un lieu qui est à l’origine de tout son style. Parce qu’elle a dû apprendre à retailler sa garde-robe de pensionnaire dans de vieux vêtements qu’on lui a donnés, Gabrielle Chanel a toujours gardé le goût des étoffes pauvres, qu’elle a paradoxalement introduites dans l’univers de haute couture. 

La simplicité de l’orphelinat, l’encadrement noir et blanc des fenêtres rappelle les codes couleurs de la couturière et se retrouvent aussi dans la collection dessinée par Virginie Viard. Peu de couleurs, du noir, du blanc, du gris, des silhouettes de pensionnaires, mais d’un chic absolu. Du tweed, de la dentelle, du tulle aérien. On retrouve, brodées sur une jupe de tulle, les motifs entrelacés des vitraux non figuratifs de l’abbaye cistercienne, qui ont sans doute inspiré le fameux logo du double C de Chanel. 

« Ce lieu était très touchant, très inspirant. Je m’y suis sentie bien… », commente Virginie Viard, qui a réussi à créer une collection, conçue comme un hommage, qui transmute en beauté la douleur des années d’orphelinat de Gabrielle Chanel.