Le parfum d’une poussière d’étoile

Comète, le nouveau parfum de la collection Les Exclusifs de Chanel, lancé le 1er mai, possède une structure complexe qui évoque les notes d’iris, d’héliotropes et de fleurs de cerisier. Une senteur enveloppante comme un voile. Celui qui en parle le mieux, Olivier Polge, le Parfumeur Créateur de la Maison Chanel, était à Genève pour présenter son dernier opus. Photos du flacon: Buonomo & Cometti. Interview: Isabelle Cerboneschi

Décrire un parfum, c’est un peu comme essayer de peindre un esprit: une mission difficile tant une fragrance fait appel à bien autre chose que le sens de l’olfaction. Un parfum a ce merveilleux pouvoir de réveiller les histoires qui dorment dans notre imaginaire. A ce titre, on devrait le considérer comme un art.

Mentionner que Comète est un « floral lumineux, dense et poudré. Qu’il est traversé d’un accord de fleurs de cerisier, frais et délicat. Un trait lumineux, une clarté qui se métamorphose en halo serti de notes d’héliotrope se fondant dans un nuage d’extrait d’iris et d’accord musqué », comme l’indique le communiqué, donne une première impression, une piste. Mais cela ne dit rien de ce sentiment que l’on ressent lorsque l’on s’en parfume, comme si l’on s’était laissé envelopper par une mousseline irisée, légère comme une aile de libellule. Cela ne dit pas non plus à quel point cette fragrance semble laisser derrière soi un sillage de particules scintillantes, nées forcément de la magie. Tout ceci est une vue de l’esprit, bien sûr, une vue de mon esprit. Mais comment parler d’un parfum sans partir de soi? En discutant avec son créateur.

Olivier Polge était de passage à Genève en mars afin de présenter son dernier opus. Lors de cette rencontre, il a révélé que sa fleur préférée était l’iris dont il a fait bel usage dans Comète. Et lorsque l’on parle de fleur, c’est un raccourci car « ce n’est pas la fleur qui intéresse le parfumeur, mais la racine, explique Olivier Polge. Il s’agit d’une matière première compliquée parce qu’elle a besoin de rester en terre trois ans afin que les rhizomes se développent. Ensuite on arrache ceux-ci et on les fait sécher afin que se développent les principes olfactifs après trois ans de séchage. Le beurre d’iris nécessite au moins six années de travail avant de pouvoir être utilisé. » La beauté de la note d’iris naît sous terre, comme un beau mystère. «C’est une odeur équivoque un peu florale, un peu boisée, un peu poudrée. Elle a un côté abstrait qui résonne avec la parfumerie de Chanel », poursuit le parfumeur.

Les iris utilisés par Olivier Polge pour concevoir Comète ont poussé à Pégomas, près de Grasse, où sont cultivés aussi les champs de roses de mai, de jasmins et de géraniums par la famille Mul dont la production est réservée à Chanel afin de la sécuriser.

Comète appartient à la collection Les Exclusifs de Chanel crée en 2007 et au sein de laquelle s’intègrent quatre parfums historiques créés par Ernest Beaux, le créateur du célèbre N°5: Cuir de Russie (1927), N°22 (1922) Bois des îles (1928) et Gardénia (1925).

Quand Olivier Polge souhaite résumer les notes du parfum Comète, il en évoque trois: héliotrope, iris, fleur de cerisier. Mais la construction de ce parfum est bien plus complexe que cela et au fil de notre entretien, il en a dévoilé un peu plus, juste assez pour donner envie de se plonger dans cette fragrance dont le nom a un pouvoir évocateur magnifique et dont les notes enveloppent et rassurent.

INTERVIEW

Quel fut le point de départ de Comète?

Olivier Polge : Une poussière d’étoiles. Cela sonne d’ailleurs très bien en anglais : Stardust.

La seule note en parfumerie qui puisse être considérée comme « poussiéreusement lumineuse » c’est l’iris. Quel chemin vous a mené à cette note d’iris qui s’exprime dans ce parfum?

C’est un chemin qui est rarement loin du mien. Avec cette idée de poussière d’étoile et de luminosité, j’ai trouvé intéressant de ne pas tomber dans une forme d’évidence, en créant une note poudrée avec de la vanille et de l’amande, ce qui aurait été une solution de facilité. J’ai choisi de la construire avec des fleurs – des notes d’héliotrope, d’aubépine, de l’iris – et des fruits qui sont aussi poudrés, comme les notes de griotte, et de réaliser une sorte de camaïeu de blanc-beige. L’iris m’a permis de construire ce parfum lumineux et irisé à la fois et constitue la charpente du parfum.

Depuis votre arrivée chez Chanel en 2013, vous avez créé 21 parfums et évolutions de parfums existants. Il existe un lien de filiation entre chacun puisqu’il y a toujours le même point de départ: Gabrielle Chanel, sa vie, son œuvre. Mais les enjeux ne sont pas les mêmes lorsqu’on lance une nouveauté comme Gabrielle, une Eau, ou un Exclusif. Travaillez-vous différemment les Exclusifs?

Oui, je les travaille différemment parce qu’ils composent une collection de parfums. Quand je créerai le prochain, j’en aurai déjà 19 en tête. Il me faudra penser à sa filiation, à sa différence. La collection s’est construite en travaillant sur certaines singularités. Quand on crée un parfum qui s’appelle Coromandel, on tisse un fil avec la décoration de son appartement du 31 rue Cambon où se trouvent toujours ses paravents de Coromandel qui évoquent un certain exotisme. Chaque Exclusif possède une écriture assez dense, une texture particulière, parfois même des tonalités plus sombres avec des notes cuirées. C’est pour cela qu’à un moment donné, lorsque j’ai souhaité créer un parfum plus frais, plus fluide, plus aérien, j’ai eu l’idée de lancer la collection des Eaux, soit le parti pris inverse. Pour les concevoir, je suis parti de l’eau de Cologne, dont les éléments clés, ceux qui prennent le plus de place dans la formule, sont les agrumes, à l’opposé des notes boisées, ambrées ou d’encens que l’on retrouve souvent dans les Exclusifs. Le parfum Gabrielle, lui, répondait à un objectif plus universel. Il devait raconter quelque chose qui est au cœur de la personnalité de Gabrielle Chanel, d’où l’idée de baser sa composition sur des notes florales. Il fallait faire aussi attention à certaines inflexions: chercher un peu plus de notes fruitées, pétillantes. Dans un Exclusif, si l’on s’abandonne dans les encens par exemple, qui sont plus polarisants, ce ne sera jamais un problème.

A vous écouter, Les Exclusifs sont un terrain de jeu extraordinaire!

C’est un terrain de jeu très agréable parce que l’on crée avec un état d’esprit plus léger. Il y a peu d’enjeux car l’objectif est de rester exclusif. Et si cela ne plaît qu’à un certain nombre de personnes, ce n’est pas important. Cette gamme a été créée afin de proposer des parfums à des gens qui ne veulent pas sentir comme leur voisin.

Comète est votre cinquième Exclusif?

Oui et le chiffre 5 porte chance! (Rires).

Comment se passe le processus de création: choisissez vous le thème ou répond-il au besoin de l’un des métiers de Chanel?

C’est moi qui choisis le thème. Le point de départ étant souvent le nom, qui va devenir symbolique et structurant, je le choisis également. Au fur et à mesure des années, certains thèmes me travaillent et j’ai quelques idées. Avec Les Exclusifs, nous ne recherchons absolument pas le consensus. Il ne s’agit pas de devoir convaincre qui que ce soit. J’ai carte blanche.

Vous dites que vous avez des noms à l’esprit: est-ce qu’Aubazine, l’orphelinat où a grandi Gabrielle Chanel, en fait partie?

Oui. Peut-être…

Avez-vous vu la broche Comète qui est conservée au Patrimoine et a-t-elle inspiré ce parfum?

J’ai vu le collier Comète (dont le motif est embossé sur la boîte protégeant le parfum, ndlr), mais pas la broche. Ce bijou m’a inspiré très indirectement. Le point de départ d’un Exclusif, c’est de trouver quelque chose qui dépasse la chose nommée et de tirer des fils subjectifs qui ont du sens pour Chanel. A l’origine, la comète était un motif que Gabrielle Chanel a utilisé dans une collection de joaillerie (« Bijoux de Diamants », ndlr) et qui est finalement devenu un symbole chez Chanel. Il exprime l’intérêt qu’elle portait à l’astrologie et c’est très inspirant. Ce que j’aime, c’est le fait que ce motif soit devenu l’un des éléments que Gabrielle Chanel a le plus repris et qu’il a fini par prendre beaucoup de place dans son imaginaire.

Les Exclusifs représentent-ils toutes les facettes de la maison Chanel?

Oui. Finalement, le style Chanel pourrait être l’addition de tous les Exclusifs. Chacun constitue un travail précis sur un élément très particulier qui a une résonance dans presque tous les métiers. Ce qu’il y a de saisissant chez Chanel c’est qu’il y existe un état d’esprit qui transparaît à travers tout ce que l’on crée, que ce soient les bijoux, les parfums et bien évidemment la mode.

Un parfum est un beau paradoxe: il s’agit à la fois d’une création matérielle et immatérielle.

Oui, quand on croise une personne parfumée dans la rue, son sillage est totalement immatériel. Le travail du parfumeur doit s’effectuer en totale intuition. Il faut se débarrasser des influences visuelles ou trop intellectuelles. La création d’un parfum fait appel à un sens instinctif et sensuel.

Parfumeur est un métier qui commence dans la terre et qui s’évapore de la manière la plus poétique qui soit.

Vous évoquez l’instinct. Lorsqu’il regarde un morceau de marbre, un sculpteur peut percevoir la Vénus qui va en émerger sous ses ciseaux, mais qu’y a-t-il dans la tête d’un parfumeur pour parvenir à un résultat concret tout en partant d’une idée abstraite?

C’est ce que j’aime dans le parfum, justement: la confrontation de ces deux extrêmes. Le point de départ du parfum est très concret en réalité: quand vous venez à Grasse, vous voyez qu’avant de capturer l’essence d’une fleur, il y a un vrai travail terrien, agricole et saisonnier qui est effectué. Cet ingrédient infusé dans l’univers de Chanel, prend une autre dimension et s’évapore de manière totalement immatérielle sur les gens qui les portent. Vous évoquez le sculpteur et son marbre, mais pour nous, les parfumeurs, c’est pareil: quand on sent une matière première, on sait ce que l’on peut en faire. Souvent, quand on nous présente de nouvelles matières premières, nous voyons tout de suite quand il s’agit d’une petite odeur qui sent bon mais qui n’a pas le corps pour signer un parfum. Face à un ingrédient brut, on sait ce que l’on peut lui demander.

Quand vous décrivez le parfum, vous évoquez une note de fleurs de cerisier. Comment reconstitue-t-on une fleur de cerisier?

Ce n’est pas une reconstitution. La note de tête de ce parfum est faite d’une multitude de petites choses: un petit peu d’agrumes, une note fruitée, une note amandée,… Quand on m’a demandé quelles étaient les trois notes les plus importantes de ce parfum, il y avait quelque chose d’un peu floral-fruité dans toutes les petites notes de tête, l’amande m’a fait penser à la griotte et cela a donné une impression de fleur de cerisier. C’est pour cela que l’on parle d’un accord de fleurs de cerisier, mais ce n’est ni un ingrédient naturel, ni une reconstitution par Head Space*.

« Un parfum est un langage », dites-vous. Que souhaitiez-vous raconter avec Comète?

Ce que je sous-entends, quand je dis qu’un parfum est un langage, c’est que le parfum que l’on porte, au-delà des mots, exprime quelque chose que l’on veut dire de soi, de la même manière que les vêtements que l’on porte parlent de nous. Le parfum apporte une autre dimension à notre histoire. Et cette intimité que l’on peut développer avec un parfum est révélateur de notre personnalité.

Quand on voit une comète…

… C’est rare! Justement, l’autre jour, alors que nous étions en train de présenter Comète aux différents marchés, j’écoutais les informations à la radio et j’ai entendu que l’on pouvait apercevoir dans le ciel une comète qui ne passe que tous les 70 ans. J’ai trouvé extraordinaire que cela advienne exactement pendant le lancement du parfum! On associe souvent les comètes et les étoiles filantes. Elles ont quelque chose de magique. Cela fait fantasmer. J’aimerais que l’on dise que ce parfum est magique, surprenant, poétique…

Quand on voit une comète, disais-je, il faut faire un vœux. Quel serait le vôtre?

Si je vous le dis, il ne se réalisera pas (rires).

Dans le communiqué, vous avez déclaré que le collier Comète de 1932, qui se porte ouvert à même la peau, vous évoque le sillage enveloppant d’un parfum de peau. Quelle est votre définition d’un parfum de peau?

Ce collier a quelque chose de très enveloppant. Si j’applique cette idée à un parfum, il fallait que Comète se révèle sur la peau. Sa formule comporte beaucoup de notes appelées communément « de fond » et il est bâti sur des notes poudrées différentes qui se ressemblent un peu. C’est comme si, une fois déposé sur la peau, ce parfum passait de la deuxième à la troisième dimension. Quand on le porte, on a l’impression qu’il infuse et nous entoure.

La peau peut-elle être considérée comme le dernier ingrédient involontaire de ce parfum?

Oui. J’aime bien cette idée. Je n’ai pas formulé ce parfum de cette manière-là, sans doute parce qu’il m’échapperait. Le rendu d’un parfum est très différent selon la personne qui le porte. Je considère souvent qu’un parfum est vivant: il possède beaucoup de différentes facettes et le fait de le porter lui donne vie. La peau fait vivre le parfum.

Un parfumeur n’est-il pas finalement un alchimiste? Il part d’une fleur qui pousse dans la terre, qui est extraite, transformée en esprit, puis en l’associant à d’autres matières il en fait une architecture invisible qui va révéler certaines facettes d’une personnalité. Vous percevez-vous comme cela?

J’aime beaucoup cette notion d’alchimie, comme s’il y avait des connexions qui se créent avec la personne qui le porte, une certaine forme d’influence. Parfumeur est un métier qui commence dans la terre et qui s’évapore de la manière la plus poétique qui soit.

Le Head Space est une technique qui a pour but de reconstituer les notes agréables d’une fleur ou d’un fruit impossibles à obtenir avec les techniques de parfumerie habituelles. L’objet odorant est placé dans un récipient dans lequel est placé un micro capteur. L’air parfumé autour de la fleur ou du fruit est absorbé par ce micro-capteur. L’échantillon ainsi obtenu est ensuite étudié par chromatographie en phase gazeuse qui permet d’identifier les différentes molécules.