La joaillerie vit un nouvel âge d’or
Les collections de haute joaillerie présentées en 2023 sont la preuve d’un secteur florissant. On a pu découvrir au sein des grandes maisons des pierres de centre majestueuses, une créativité débridée, quelques citations du passé et surtout des pièces qui feront date et marqueront l’histoire de la joaillerie. Photos: Buonomo & Cometti. Texte: Isabelle Cerboneschi, Paris
Depuis environ une dizaine d’années, la joaillerie est le secteur le plus porteur de l’industrie du luxe. Cela s’explique non seulement par la beauté des pièces et l’existence à l’autre bout de la chaîne d’une clientèle de connaisseurs et de collectionneurs qui n’a fait que croître au fil des ans, mais surtout par la valeur pérenne des bijoux. Un joyaux signé d’une grande maison, orné d’une pierre de centre dotée d’une valeur d’investissement, ne se dévaluera pas, bien au contraire. Elle ne fera que s’apprécier avec le temps.
La joaillerie est la catégorie qui rassure en des périodes troubles et qui vole de records en records. En 2022, le marché mondial de la bijouterie était évalué à 340,69 milliards de dollars et devrait connaître un taux de croissance annuel composé de 4,6 % entre 2023 et 2030, selon les analystes. Elle a de beaux jours devant elle. Mais la joaillerie ne peut pas s’apprécier uniquement à l’aune de sa valeur financière: elle est un espace créatif qui permet aux directeurs artistiques des grandes maisons de s’exprimer avec des formes et des pierres comme un peintre avec ses couleurs.
La joaillerie Pop Art de Boucheron
Celle qui a poussé l’exercice le plus loin, cette année, c’est sans doute Claire Choisne, la directrice de création de Boucheron. Sa collection More is More s’inspire de l’univers des comics et du Pop Art et ses bijoux semblent avoir été découpés dans un tableau de Roy Lichtenstein. Ils donnent l’illusion d’être en deux dimensions alors qu’il n’en est rien. « Nous avons commencé à travailler sur cette collection en 2020, à la fin du second confinement, en France. J’ai voulu apporter de la joie dans la joaillerie et en ressentir. Nous avons travaillé sur des volumes extravagants, des formes très simples, des effets d’optique et des couleurs vives. Les bijoux ont l’air d’appartenir à une bande dessinée», souligne Claire Choisne. La collection comporte un nœud de cheveux démesuré, des cordons de hoodie et même une poche sertie que l’on applique avec des aimants. Du jamais vu dans le monde de la joaillerie.
Van Cleef & Arpels et son grand tour de la joaillerie
La collection Le Grand Tour de Van Cleef & Arpels rend hommage aux périples européens auxquels se livraient les aristocrates cultivés des XVIIIe et XIXe siècles. Le joaillier a choisi plusieurs étapes pour exprimer à la fois sa créativité, son histoire, son savoir-faire et la beauté de ses pierres. L’itinéraire passe par l’Angleterre, la France, l’Italie, Baden Baden, sans oublier la Suisse, ou plutôt les Alpes, ce qui offre l’occasion de voir deux des plus belles pièces de la collection. Mais peut-être est-ce notre esprit chauvin qui s’exprime… Cette collection n’est pas une révolution stylistique, au contraire: elle met en valeur toutes les techniques traditionnelles de la haute joaillerie. Et surtout, elle porte en elle un message non écrit, presque une leçon pour notre époque: la culture et la beauté sont éternelles.
Les nouveaux horizons de Cartier
Cartier continue son épopée et sa dernière collection, Le Voyage Recommencé, est la parfaite expression du savoir-faire de la maison parisienne. Un véritable exercice de style qui permet justement au joaillier d’explorer tous les styles qui ont fait sa renommée. Une manière de rappeler un vocabulaire qui ne cesse de s’étoffer depuis 176 ans. On perçoit dans certaines pièces, l’influence artistique de pays comme l’Inde ou la Chine, qui furent des sources d’inspirations de la maison par le passé, mais interprétées de manière contemporaine. Ce qui est sans doute le plus inattendu, dans cette collection, c’est l’utilisation de tailles de pierres peu usuelles: en forme de cerf-volant, de triangle ou de demi-lune. Et sans oublier la panthère, l’animal le plus connu du monde joaillier et éternellement associé à Cartier, qui apparaît alanguie sur un parterre de saphirs gravés.
Le tweed précieux de Chanel
Avec sa collection Tweed de Chanel la maison au double C écrit le second chapitre d’une histoire qui se déroule à mi-chemin entre la mode et la haute joaillerie. Patrice Leguéreau, directeur du studio de création joaillerie de Chanel, avait dédié une première collection au fameux tissu emblématique de la maison en 2020. Il réitère en 2023. Il s’agit d’un véritable tour de force des ateliers qui ont réussi à donner l’illusion d’une étoffe avec de l’or et des pierres précieuses. Le clou de la collection est sans doute le collier Tweed Royal, une pièce versatile qui peut se porter de diverses manières, avec sa broche tête de lion détachable qui protège jalousement un diamant poire de plus de 10 carats.
Le jardin extraordinaire de Dior
Victoire de Castellane, la directrice artistique de la joaillerie Dior, continue de nous enchanter avec une joaillerie où le réalisme ne saurait aller sans une touche onirique. Sa dernière collection « Les Jardins de la Couture » ne compte pas moins de 170 pièces. Parmi cette multitude, un jardin, un merveilleux jardin miniature, tient tout entier sur un collier d’or.
Lors de leur présentation à la Villa Erba, la maison d’enfance du réalisateur Luchino Visconti, au bord du lac de Côme, les parures étaient portées par des mannequins vêtues de tenues haute couture conçues spécialement pour l’occasion par Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior. L’une des robes, couleur marine, était ennoblie d’un bijou de taille, une ceinture sertie de diamants, qui proposait ainsi un nouveau porté. Avec ses bijoux, dont certains ressemblent à de gros bonbons acidulés, Victoire de Castellane raconte des histoires où l’âme de l’enfant, devenu adulte, aime à s’aventurer.
L’ode à la nature de Chaumet
Chaumet nous invite à explorer le monde de la nature, interprété à travers le regard d’Ehssan Moazen, le directeur du studio de création avec sa collection Le Jardin de Chaumet. Le créateur laisse la part belle à toutes les fleurs, toutes les plantes, que ce soient les plus voluptueuses comme l’arum, les plus simples, comme le blé, ou les plus communes, comme le gui, magnifié par le Collier Gui, en platine et or blanc, serti d’une émeraude de Colombie taille coussin de 21,59 carats et de perles fines. Il semble avoir été cueilli encore perlé de givre le matin même.