La nouvelle boutique Dior a éclot à Genève

La rue du Rhône a changé de physionomie depuis que la boutique Dior, dessinée par l’architecte Christian de Portzamparc, a ouvert ses portes le 27 février. Ce bâtiment, comme une fleur à peine éclose, relève de la poésie urbaine. Photos: Jonathan Taylor. Texte: Isabelle Cerboneschi

Christian de Portzamparc, l’architecte français qui avait redessiné la fameuse skyline de New York, a déposé au centre de Genève un bâtiment à la poésie rare: une fleur à peine éclose qui enferme en son cœur la nouvelle boutique Dior. Un «bâtiment symbole», comme il appelle ces lieux qui servent de points de repère dans une ville.

Depuis que les échafaudages sont tombés et ont dévoilé cette sculpture architecturale, la physionomie de la rue du Rhône a changé. Tout au long de cette rue, qui n’est pas connue pour ses extravagances architecturales, on retrouve les boutiques des griffes de mode, des grands joailliers et des horlogers, abrités dans de grands rectangles élégants qui scandent l’artère, se distinguant avant tout par leurs vitrines artistiquement décorées. Et puis il y a cette sculpture architecturale, sorte d’arum gigantesque qui semble avoir choisi de pousser là, sur le bitume genevois.

Tout comme pour la boutique de Séoul, la grande sœur de celle de Genève, l’architecte a eu carte blanche. Je l’avais rencontré lorsqu’il avait créé le flagship coréen et il m’avait dit ceci: « Petit à petit a émergé l’idée de faire quelque chose qui ait la douceur d’une toile de couture. J’ai pensé à l’œuvre de Christian Dior, à son rapport à la surface, à la fluidité aussi. A l’extérieur, ce sont des coques verticales assemblées, les joints forment des lignes qui sont comme des coutures. »

Faute d’avoir pu lui parler lors de l’inauguration genevoise, je me fie à ce qu’il m’avait dit alors. Les grands pétales blancs sont « comme une coque de bateau, en résine avec de la fibre de verre très solide. Elles ont été fabriquées sur un immense moule en bois. On ne pouvait pas faire ces coques à la fois longues et larges, car on n’aurait pas su comment les transporter. Elles ont été montées sur place, comme un avion, et sont tenues par une charpente. »

Ce qu’il a voulu représenter? « On peut le prendre comme on veut: fleur, corolle, toile. Je ne suis pas parti d’une fleur, ni d’une robe, ni de Monsieur Dior: j’ai fait ce que j’avais envie de faire moi. Si j’étais parti de la mode, tout serait à l’envers: la «robe» s’écarte vers le haut. C’est autre chose qu’une robe ou une fleur, mais cela dans l’esprit peut entrer en communication avec cette idée. » A Genève, il a évoqué des caryatides, ces statues de jeunes femmes qui remplaçaient les colonnes. Soit. Une architecture est une œuvre d’art et celui qui regarde participe aussi à sa définition. C’est l’une des libertés que l’art nous offre: ne pas nous obliger et nous laisser croire à ce que l’on voit et pas à ce que l’on nous dit.

Passons rapidement à l’intérieur. Un mur se déploie sur les 6 étages que compte le bâtiment où sont exposées des toiles blanches, la maquette d’une robe ou d’un tailleur de haute couture. Chaque étage possède sa propre thématiques: les chaussures, les sacs, le prêt-à-porter féminin imaginé par Maria Grazia Chiuri, la ligne masculine pensée par Kim Jones et des fantasmagories joaillières de Victoire de Castellane. L’étage supérieur, qui donne sur une terrasse, est un salon privé dédié aux Very Important Customer, qui peuvent prendre un thé ou un café en regardant le jet d’eau.

L’espace est émaillé de nombreuses œuvres d’art signées Pamela Rosenkranz, Ugo Rondinone, William Coggin, Martin Kline et Dashiell Manley, en hommage au couturier-fondateur qui fut galeriste et collectionneur. On peut d’ailleurs découvrir certains croquis d’archives et des photographies iconiques signées Brigitte Niedermair. Le salon privé est orné d’une fresque de François Mascarello, inspirée des peintures de Ferdinand Hodler, qui chante la beauté des paysages du lac Léman. Treize tableaux de Thomas Trum scandent la descente d’escalier.

J’allais oublier un point très important. Christian de Portzamparc a reçu le prestigieux prix Pritzker en 1994, à l’âge de 50 ans (il en a 80), la plus haute distinction qui soit en architecture. Il est détenteur de nombreux autres prix et titres honorifiques, comme la France sait en décerner à ses porteurs de lumière (commandeur des Arts et des Lettres, officier de l’ordre du Mérite, chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur, pour ne citer que ceux-là).

Cet architecte pense au-delà des murs. Sa vision est plus vaste que les espaces qu’il délimite avec des parois, des pétales de fibre et de béton, des pixels de verre. Christian de Portzamparc rêve d’une ville liante et non pas excluante. Il croit que l’urbanisme peut parvenir à unir plutôt que séparer. Est-ce qu’une boutique de luxe a la vocation d’unir? A l’intérieur, je ne sais pas, mais à l’extérieur, pourquoi pas…