Le jour où j’ai assemblé mon propre champagne…

J. de Telmont est la seule marque de champagne qui propose un atelier où l’on apprend à composer son propre assemblage. Après avoir défini ses goûts, on part sur une base de plusieurs vins différents afin de réaliser un champagne qui se rapproche de ce que l’on aime, mais aussi, je le découvrirai, de qui l’on est. – Isabelle Cerboneschi, Damery. Photographies : J. de Telmont et Isabelle Cerboneschi

Préambule:
Depuis le confinement, qui a obligé chacun à rester chez soi, nombreux sont ceux qui ont pris conscience de l’importance d’acheter leur nourriture chez de bons producteurs locaux. Nombreux sont ceux qui s’interrogent désormais sur la provenance et la qualité de ce qu’ils achètent. Il existe des marques de champagne qui ne possèdent pas de vignoble et utilisent des grappes qu’ils achètent à des producteurs. Et si nous encouragions ceux qui cultivent passionnément leurs propres vignes, pour produire leur vin ? Et si nous décidions de choisir un champagne que l’on aime vraiment, pour son goût, son élégance, sa finesse, et pas pour son étiquette ?

Le champagne n’est pas un vin comme les autres. Si un Bourgogne de la côte de Nuits était un velours pourpre, le champagne serait un tulle de soie couleur chair. Un appel aux sens, mais dans la légèreté; un flirt, une délicatesse, une larme effacée par un rire cristallin. Rien de grave ne peut arriver en buvant une coupe de champagne, pourvu que celui-ci soit bon et à notre goût.

Il faut avoir bu, et goûté, et fait tinter des coupes et des coupes de cristal rempli de ce breuvage pétillant d’esprit pour savoir ce que l’on aime et ce que l’on aime pas. Trouver un champagne qui nous ressemble, c’est chercher une fleur dans une forêt. Il y a tant de noms, tant de marques. Certaines nous plaisent, d’autres pas. Et un jour, on vous propose de créer le vôtre. Un champagne sur mesure, ou plutôt à la mesure de vos papilles. C’est ce qui m’est arrivé avec les champagnes J. de Telmont. Il faut que je vous raconte cette histoire, car elle est extraordinaire.

Quand je suis tombée amoureuse du meunier

Dans la vallée de la Marne de douces collines, plantées de vignes qui attrapent le soleil, se succèdent, comme une mer verte immobile.

La maison J. de Telmont, un négociant-manipulant, possède ses propres parcelles. C’est précieux de posséder un vignoble, par ici, et suffisamment de plants pour couvrir la moitié de sa production. Les propriétaires, Bertrand et Pascale Lhopital, la quatrième génération d’œnologues et vignerons, ont choisi de travailler la terre avec tout le respect qu’on lui doit. Une grande partie des 33 hectares que possède le domaine sont cultivés en biodynamie : applications de valériane après la grêle pour déstresser la plante, de silice de corne sur les feuillages pour la restructurer afin qu’elle pousse de façon linéaire, de corne de bouse dans le sol pour permettre à la microfaune et microflore de faire leur travail et redonner vie à la terre. Tout cela donne un vin vertueux.

Plusieurs cépages règnent sur la région, mais l’un d’eux affiche son unicité : le meunier, avec ses petites grappes compactes et ses feuilles couvertes d’un duvet argenté qui appelle la caresse. Ses feuilles, petites et veinées, sont douces au toucher. Et lorsque les rayons du soleil les rasent, elles renvoient un reflet argenté, lunaire, magique. Il s’appelle meunier car son fin duvet blanc sur la face inférieure de ses feuilles ressemble à de la farine. Il est le troisième composant des assemblages de champagnes avec le pinot noir et le chardonnay. La Champagne est son fief: il représente près du tiers du vignoble (environ 11’000 ha).

On dit que le meunier est rustique, qu’il résiste aux gelées, mieux que le pinot noir et le chardonnay. Il paraît qu’il manquerait d’acidité, de finesse et qu’il vieillirait mal ? Peut-être, encore que… Quand on possède des feuilles aussi délicates, comment pourrait-on manquer de finesse ? Le meunier apporte de la rondeur, de la souplesse au vin. Très utilisé au Moyen Âge jusqu’aux années 1980, il a été supplanté par le chardonnay qui fait de très beaux fruits sur certaines zones, en fonction de l’exposition et de la typologie des sols. « La vigne est une liane et ce qu’elle cherche, c’est de s’allonger, explique Philippe Manfredini, directeur export. Le but est de la cantonner dans un espace et assurer un niveau de production qui corresponde à l’appellation et à nos exigences de qualité. Raison pour laquelle nous produisons au maximum 1,5 kg au mètre carré. »

Pourquoi je vous raconte tout cela? Vous verrez, c’est important pour la suite, car lorsque je me retrouverai dans l’atelier d’assemblage, ce coup de coeur pour le meunier sera déterminant pour réaliser « mon » champagne.

Quand je découvre le caractère caché du pinot noir de l’Aube, de l’Avize, du Chardonay Damery et du meunier 

Bertrand Lhopital, propose cet atelier « œnologie » depuis 2009. De temps en temps, il permet à certains clients amateurs de s’immerger dans le processus d’élaboration du vin et leur offre ainsi la possibilité de créer leur propre champagne. Trois ans plus tard, ils pourront apposer leur nom sur leur cuvée. Il faut du temps pour faire naître un vin intranquille. Mais le vigneron se réserve le droit de choisir ses convives. « Je veux garder cette liberté d’exigence, explique-t-il. Il faut que ça reste du plaisir, du partage, une forme de simplicité, même si cela reste très technique. »

Après avoir visité les caves, découvert les barriques et les foudres de bois de 5000 litres, dégusté les différents crus proposés par la maison, découvert des merveilles (ah cette cuvée sans soufre, ma favorite !) et m’être délectée de ce vin volubile, il est temps de passer à l’atelier proprement dit.

Comme un peintre va prendre possession de ses pinceaux, de ses peintures et de son environnement de travail, je commence par découvrir les vins de base. Devant moi trônent quatre bouteilles dont le contenu semble être un exercice chromatique autour de la couleur jaune : pinot noir de l’Aube, meunier, chardonnay d’Avize et chardonnay de Damery. « L’Avize, c’est la franchise, il est direct, il est franc, on aime ou on aime pas, souligne Bertrand Lhopital. Le Chardonay Damery, c’est l’honnêteté, il est moins tranché, moins agressif que l’Avize. C’est le bon garçon. Le meunier, c’est le bon camarade, c’est l’amitié, il ne vous dira pas ses quatre vérités, mais c’est une bonne base, vous pouvez compter sur lui. Le pinot noir de l’Aube, lui, a son caractère. Il a ce côté acidulé, une tension, c’est l’épouse. Donc si on devait les caricaturer, vous avez le franc, l’honnête, l’ami et l’épouse. ».

L’objectif de cet atelier c’est de permettre à chacun de ces quatre éléments de jouer son rôle et créer un vin harmonieux. « L’idée est de mémoriser les sensations que le vin apporte en bouche, car l’on se sert de ce ressenti dans l’expérimentation de l’assemblage », note l’œnologue.

Quand j’ai compris que pour monter une équipe qui gagne, il faut parfois y ajouter un mauvais garçon

Mes sensations sont d’emblée très tranchées. Le premier vin testé est un chardonnay d’Avize, très vert, très acide, qui fait presque remonter les gencives. J’ai bien l’intention de le laisser de côté. Le deuxième est un chardonnay de Damery. Il est beaucoup plus rond, plus trapu, plus sympathique. On va le prendre dans l’équipe. « La différence entre les deux chardonnay s’explique par le terroir, relève Bertrand Lhopital. À Damery, nous sommes dans la vallée de la Marne, cette rivière qui a, au cours des siècles, creusé ce paysage pour arriver à ce vallon avec ces 2 coteaux qui se regardent. La rivière a charrié des sédiments, du limon et de l’argile et les sols ici sont plus profonds. Sur Avize, où la Marne ne passe pas, on est sur des sols maigres, avec tout de suite de la craie, d’où le côté minéral, acide du chardonnay d’Avize. »

Le pinot noir est rond et le meunier fruité. J’adorerais créer un champagne qui ne soit composé que de ce dernier. « Il faut faire attention, souligne l’œnologue. Ce que vous venez de goûter est un produit intermédiaire. Ces quatre vins ne sont pas conçus pour être consommés tels quels : leur unique destination, c’est l’assemblage. Il faut imaginer que ce vin va évoluer. La 2e fermentation en bouteille, la prise de mousse, le vieillissement en bouteille, tout cela va changer sa configuration. Par exemple, la cuvée millésimée « Grand Couronnement », mise en bouteille en 2003, a 15 ans de cave. Or entre l’assemblage que nous avons dégusté il y a 15 ans et le vin aujourd’hui, il y a un monde ! Ce vin a subi les effets du vieillissement, il a pris une patine. Et si je vous disais que l’assemblage de départ est plus proche du jus de citron que du vin, vous ne me croiriez pas et pourtant… Ce n’est pas en choisissant la solution de facilité que vous arriverez au bon résultat. »

Leçon comprise. Je sens que je ne vais pas pouvoir me permettre de laisser l’Avize sur le banc de touche. « Pour qu’un vin aie de la longueur, il lui faut de la fraîcheur, de l’acidité, en sachant que la colonne vertébrale d’un champagne, c’est l’acidité qui lui apporte finesse et élégance, explique Bertrand Lhopital. Mais il faut habiller le squelette. »

L’expérience que je vis m’est propre : elle relève de mes goûts et ne sera pas reproductible. Il existe des synergies entre ces quatre vins et il me faut laisser mes préjugés de côté. Je n’aime pas le Chardonnay d’Avize, mais il aura un rôle à jouer. Deux facteurs m’échapperont complètement, en revanche : le vieillissement du vin et le dosage. « Le dosage, c’est du sucre de canne fondu dans le vin de l’assemblage, soit une liqueur qui apporte un équilibre entre l’acide et le sucre, explique le vigneron. Il ne représente que 1% de la bouteille, soit 0,7 cl. Pensez-vous que ce soit suffisant pour modifier le goût du vin ? En revanche cela change la perception que l’on en a. »

Quand à force de vouloir trop bien faire, on en fait trop…

Afin de définir mes goûts, Bertrand Lhopital me demande avec quel champagne j’ai vécu la plus belle des expériences. Ma réponse est un indice : j’ai une vraie préférence pour les assemblages contenant majoritairement du pinot. Ce sera donc le point de départ de l’atelier.

« Un assemblage, ce n’est pas seulement une recette, explique Bertrand Lhopital. Quand on déguste un champagne, on ne déguste pas 30% de meunier, 30% de pinot noir et 40% de chardonnay ! Ce qui importe, c’est la sensation, le plaisir que l’on en retire. Lorsque nous construisons les assemblages de nos différents crus, nous sommes obligés d’obtenir des résultats réguliers, mais pendant cet atelier, nous partons d’une page blanche. C’est un luxe fabuleux ! »

Si j’ai bien compris l’exercice, nous devons construire une équipe de sport avec quatre joueurs. Comment vais-je les faire jouer ensemble? Je ne suis pas obligée de les faire tous entrer dans le jeu, mais impossible de prédire les synergies qui s’établiront entre eux, sans expérimenter. « Lorsque nous élaborons nos assemblages, nous prenons soin de temporiser le côté fougueux, vineux, des pinots avec l’Avize, qui apporte de la finesse et de l’élégance. L’assemblage est un compromis. Il faut une confrontation. C’est un moment magique qui réserve des surprises. » Si j’ai bien compris, le résultat sera à la hauteur de mon implication.

Quand j’ai choisi mon vin : le No 5 d’ALL-I-C

Comme je n’aime pas beaucoup le Chardonnay, l’œnologue part d’emblée sur un mélange de 60% de pinot (noir et meunier) et de 40% de Chardonnay. « 85% de l’assemblage sera réalisé en une demi-heure. Mais pour définir les 15% restant, on risque d’y passer plus d’une heure car cela nécessite des ajustements très ténus », explique-t-il.

Avant de commencer les mélanges j’ai un souhait : j’aimerais que l’on choisisse 50% meunier et 10% de pinot noir. Mon voeu est exaucé. Tout est ensuite question de stratégie. Le premier essai est réalisé sans l’Avize. Mais je sens tout de suite que le vin est déséquilibré. A force de tâtonnements, le 5e essai, semble être le bon : il me plaît, beaucoup. Il n’a pas le côté opulent du mélange No 4 mais, il est beaucoup plus élégant, comme une robe de bal. Il est composé de 5% de chardonnay d’Avize, de 35% de chardonnay de Dammery, de 50% de meunier et de 10% de pinot noir.

Mais j’aimerais aller plus loin dans l’exercice, histoire de ne rien regretter. Je demande que l’on augmente la teneur en meunier, en passant à 55%, tout en réduisant le pinot noir à 5%. Ce n’est pas énorme 5%. Et pourtant, cela suffit à tout faire basculer. Le test No 6 est une régression. En voulant augmenter quelque chose, même de manière infime, on a juste réussi à déséquilibrer l’assemblage. Mon choix final se porte donc sur le No 5.

« Après l’atelier, nous allons réaliser l’assemblage, puis le mettre en bouteille, explique Philippe Manfredini. Au bout d’un an, nous dégusterons le vin. Le client recevra un premier commentaire et nous commencerons à réfléchir au dosage. »  L’atelier inclut la réalisation et l’achat de cent bouteilles.

Quand j’ai compris que l’essence de mon champagne était une part de moi

Lorsque je déguste un vin, il me parle ou pas. Si nous nous entendons bien, mon esprit s’envole dans un endroit que lui seul choisit, comme un rêve éveillé. Avec la cuvée sans soufre de J. de Telmont, je me suis retrouvée chez moi, sur ma terrasse, un soir de pleine lune. Le blanc de blanc, m’a menée jusqu’au château de Versailles, avec ses fontaines et ses buis et sa galerie des glaces. Or ce n’est pas ma place et j’ai vite compris que ce n’était pas mon vin : il est trop glacé, trop courtisan. Le blanc de noir, lui, m’a projetée dans les jardins de l’ambassade d’Angleterre, à Paris, avec ses roses délicieuses, ses grands arbres et son court de tennis sur gazon. Je m’y sentais très bien. C’est un vin que je pourrais aimer. Le 2009, en revanche, ne m’a emmenée nulle part. « C’est du ressenti, le vin, il s’adresse à une part de nous-même, relève Bertrand Lhopital. Il suffit de s’écouter. »

Mais parce que l’œnologue s’implique aussi beaucoup, tous les ateliers l’inspirent et font évoluer ses assemblages. « J’ai « profité » de vous, pour tester des options que je ne peux pas me permettre habituellement, car je n’ai pas le temps. Cette séance pourrait relever de la recherche et développement », confie-t-il.

Je lui demande si l’un de ses clients a déjà réalisé le même assemblage que le mien. « Lorsque nous avons commencé l’atelier, je vous ai dit que nous allions vivre une expérience et que celle-ci vous appartiendrait. Eh bien la proportion que vous avez choisie, je ne l’ai jamais rencontrée, affirme-t-il. Si vous êtes pleinement présent durant cet atelier, votre assemblage sera une partie de vous. Avec une méthodologie qui s’est construite au fil des discussions, des sensations, nous sommes arrivés à un résultat qui n’est pas reproductible. Ce que vous avez vécu, on ne pourra pas le revivre. Et si vous revenez, vous aurez d’autres attentes, d’autres exigences. » Rendez-vous dans deux ans ?

Où commander en Suisse : Vinum S.A., tel 032 344 89 89 (livraison en 24 heures).
Site: www.champagne-de-telmont.com