« La joaillerie doit relever de la magie! »
Sarah Mugnier a lancé sa marque de joaillerie Maison Belmont en décembre 2022 à Genève. Son univers créatif relève de la fantasmagorie la plus pure, une fantaisie qui se niche à la fois au sein de l’hôtel particulier dans lequel elle reçoit sa clientèle et au cœur de ses bijoux. Rencontre au pays des merveilles. Isabelle Cerboneschi
« Les gens devraient réfléchir avant de se rendre à une invitation dans le royaume de Nulle Part . » C’est à cette phrase de Nathaniel Hawthorne que je pense en découvrant l’univers de Sarah Mugnier, le personnage et ses bijoux. Elle semble être sortie des pages de la nouvelle « Une soirée selecte », de Nathaniel Hawthorne, où un homme de l’Imagination avait convié d’éminents personnages dans son manoir taillé dans un banc de nuages, éclairé de météores recouverts d’un globe de brume vespérale. Sarah Mugnier a sûrement été rêvée par l’écrivain américain pour s’incarner dans notre siècle si peu drôle afin d’apporter une touche d’irréalité bienvenue. Cette jeune femme de 41 ans revendique son extravagance jusqu’à l’ourlet de son tailleur émeraude, aux couleurs de l’une de ses pierres favorites.
Maison Belmont, la marque qu’elle a créée il y a un an et demi et qu’elle a lancée en décembre 2022, pourrait relever d’une douce utopie si sa fondatrice n’avait pas l’élégance d’être à la fois fantasque et terre à terre. Elle n’a pas d’enseigne à son nom dans la rue du Rhône ni dans les voies adjacentes, mais possède un hôtel particulier aux Eaux-Vives, au Clos-Belmont 5, d’où le nom de sa marque. Cette bâtisse construite par Edmond Fatio, dans le style Heimatstil, a été restaurée en respectant la construction originale. Sarah Mugnier en a confié la décoration au designer parisien Vincent Darré. Les couleurs vives, émeraude, turquoise, rouge, violet, l’or et le motif léopard évoquent furieusement les intérieurs exubérants de Madeleine Castaing. On est dans cet esprit-là. La maison, qui est à la fois le lieu de vie de Sarah Mugnier et de sa famille, ainsi que son showroom, est aux couleurs des pierres qu’elle affectionne: « les saphirs de couleur, parce que la couleur, c’est la vie. Le spinelle, aussi, qui possède une brillance, une intensité que j’affectionne. Et devant une belle émeraude, je craque volontiers. »
C’est dans ce lieu, à mi chemin entre un cabinet de curiosité et un rêve éveillé que Sarah Mugnier reçoit sa clientèle et lui présente ses créations. Mais avant de parler des bijoux, parlons de la fondatrice: cette marque n’est pas tombée du ciel, malgré les apparences. Et ses racines plongent dans l’enfance de Sarah Mugnier. « Ma passion pour les bijoux a débuté quand j’étais enfant. Ma mère avait un meuble de boudoir avec un tiroir dont elle sortait ses bijoux pour s’en parer. Je me souviens du bruit des bagues qui s’entremêlaient. C’était un rêve. La joaillerie doit relever de la magie! Mon père m’a offert mon premier bijou ancien lorsque j’avais douze ans. C’était une bague qu’il avait achetée au marché aux puces, en forme de hibou. J’ai compris alors qu’un objet avait le pouvoir de nous lier à quelqu’un, à un événement, ou aussi à soi-même », explique-t-elle.
Après des études dans le domaine de la communication, Sarah Mugnier a eu la chance de travailler six mois chez Christie’s comme catalogueuse. « Je devais organiser les photographies des pièces et celles-ci défilaient toutes entre mes mains! Une maison de vente aux enchères est le meilleur endroit où travailler lorsque l’on aime la joaillerie. C’est le seul lieu où l’on peut appréhender pleinement le bijou: à travers l’histoire de l’art, la connaissance des pierres, le design,… »
Quinze ans se sont écoulées depuis Christie’s, pendant lesquelles elle s’est frottée au monde de l’horlogerie, chez Breguet et chez Léon Hatot, puis elle a passé cinq années chez Bovet avant de décider que la grande passion de sa vie, c’étaient les bijoux. Direction New York pour six mois où elle a obtenu un diplôme de gemmologie au Gemological Institute of America (GIA). « A mon retour, j’ai travaillé pendant cinq ans dans le négoce de pierres précieuses et de bijoux anciens chez un marchand américain basé à Genève. J’y ai appris comment valoriser un bijou ancien. Je me suis fait l’œil, surtout avec les pierres. » Et il y a un an et demi, Sarah Mugnier a commencé à créer une collection. Elle n’a pas fait d’étude de marché avant de lancer sa marque. Elle l’a lancée, point.
Tout l’inspire, une peinture, une montée d’escalier, des noms de couleurs. Elle maîtrise la joaillerie sous presque toutes ses facettes: elle connaît les pierres, les bijoux anciens, vintage, le design. Elle n’a pas appris la technique mais elle laisse cela aux spécialistes, à savoir les trois ateliers genevois avec lesquels elle collabore. Elle leur lance des défis impossibles, qu’ils sont chargés de relever quand même, comme la bague Le Grand Banquet qui s’inspire des verres Les Endiablés de Saint-Louis, que l’on renverse selon l’humeur du jour. « C’est un bijou cinétique qui tourne sur lui-même, explique la créatrice. A l’intérieur il y a un roulement à billes. L’atelier en Allemagne qui l’a réalisé n’avait jamais intégré de roulement à bille dans la joaillerie auparavant. Les coupes creuses sont en titane coloré et j’ai rajouté de petits diamants en bordure, comme le sucre déposé sur le bord des verres à cocktails. »
De nombreuses pièces s’inspirent de l’architecture d’intérieur. Notamment le bracelet Le Grand Bal qui reprend le motif octogonal des plafonds à caissons de sa maison. « L’idée première de ce bracelet était de mêler l’architecture d’intérieur avec la joaillerie. J’avais envie de faire des fonds en tissus. Je suis allée voir à la fois mon joaillier et mon tapissier pour leur demander comment ils pouvaient travailler ensemble afin d’obtenir le résultat que j’espérais. Le fond est une plaque en argent sur laquelle est collée le satin. Pour couvrir le tissu, il fallait une glace saphir avec un joint étanche qui protège des projections mais pas des baignades. On peut personnaliser les fonds avec des matières de couleur différentes. Quant au fermoir, je voulais qu’il fasse un bruit rassurant, comme celui des portes des voitures anciennes. »
Les bijoux Maison Belmont semblent avoir traversé les époques et les mondes. La bague Le Petit Salon par exemple, est formée de six anneaux séparables qui chacun porte une lettre: réunis, ils forment un mot, comme Amour ou Amitié. C’est joliment poétique. La bague Mémento Mori, elle, est inspirée d’une bague de 1631, formée de deux parties séparables grâce à un système de charnières. « Je l’ai fait fabriquer à Istanbul. J’y ai vécu trois ans et je connais bien les ateliers. Je la commercialise avec ma sœur qui vit à Londres et qui a créé une marque de mode baptisée Wings of Wisdom », précise-t-elle.
Que représente un bijou à ses yeux? « C’est un lien avec soi, une émotion. Et celle-ci change selon le jour: il y a des matins où l’on se lève et l’on a envie de porter un bijou rouge ou vert. C’est l’objet le plus intime qui soit, avec un vêtement. Il vient finir une tenue ou un état d’esprit. Personnellement je ne peux pas sortir sans porter un bijou. Je me sens dénudée. Pour moi, un bijou, c’est comme un gros manteau dans lequel on s’emmitoufle: cela me réconforte. »
Et Maison Belmont? « C’est une promenade dans un univers où l’on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Je crois que ma collection reflète ce qu’est la vie: il faut être bousculé de temps en temps et forcer l’œil à voir des choses différentes afin de faire évoluer nos goûts esthétiques. Mon univers créatif plaît ou ne plaît pas, mais peu importe. J’aimerais réussir à pousser la personne qui regarde ce que je fais à une forme de réflexion, ou du moins à un ressenti, quel qu’il soit. Avec cette collection je voulais sortir des chemins communs pour amener de la fraîcheur, même si je ne suis pas la seule. Les jeunes designers n’ont pas de limite, pas de directeur marketing, pas de studio de création avec des requêtes. Nous sommes libres! »