Visite dans les ateliers où la Kelly est née

La montre Kelly Haute Joaillerie d’Hermès est un bijou qui donne l’heure. Elle fait partie des finalistes du Grand Prix de l’Horlogerie de Genève qui aura lieu le 4 novembre 2021. Mais quand on la regarde, si délicate, il est impossible d’imaginer qu’il aura fallu plus de mille heures pour fondre la structure en or, assembler les éléments et les sertir. Visite dans les ateliers Alain Foubert, à Paris, où la montre est née. Texte et photos d’atelier: Isabelle Cerboneschi

Avec sa résille d’or et de diamants, elle trône en majesté dans l’une des salles du Musée Rath. La Kelly Haute Joaillerie d’Hermès Horloger est l’une des montres sélectionnées pour le Grand Prix de l’Horlogerie de Genève (GPHG), qui fête cette année ses vingt ans, dans la catégorie joaillerie. Si mon regard s’arrête sur elle, c’est parce que la veille de sa présentation, je l’ai découverte dans un état bien moins glamour: elle ressemblait alors à un petit tas de pièces détachées en métal gris, prêtes à être nettoyées, polies, assemblées, serties, bref, elle était en attente de naître. C’était à Paris, dans l’atelier Alain Foubert, spécialiste du sertissage de haut vol pour quelques grands joailliers dont on ne peut citer le nom, et pour Hermès Horloger.

Difficile de faire le lien entre la matière première sur laquelle ont travaillé les sertisseurs et les joailliers de l’atelier Foubert et la montre qui brille de tous ses carats à Genève, le soir de l’inauguration de l’exposition du GPHG. C’est Cendrillon avant le passage de la marraine fée. Et dans le cas de la Kelly d’Hermès, il s’est agit de plusieurs fées et de nombreux magiciens. « Il a fallu une très grande maîtrise des savoir-faire de la joaillerie et du sertissage pour réussir à sublimer la montre Kelly en une pièce délicate et douce au porter avec son bracelet résille, son sautoir et son cadenas mobile, relève Philippe Delhotal, directeur création chez Hermès Horloger. Le porter de la montre Kelly est quelque peu non conventionnel et il a donc fallu étudier minutieusement les mouvements de l’objet au poignet ou autour du cou pour que cette transformation mette en lumière cette pièce exceptionnelle et y confère un porter délicat. »

Kelly Haute Joaillerie ©Hermès Horloger

Pour découvrir les secrets de fabrication de la Kelly Haute Joaillerie, il faut avoir eu la chance de visiter les ateliers Foubert, dans le 9e arrondissement de Paris, un jour où les sertisseurs travaillaient sur la pièce. Une jour de pluie, accessoirement. Cet atelier à l’ancienne possède des établis sur plusieurs étages. Dans un bureau étroit, on pose devant moi un petit amas de métal gris mat guère impressionnant. Et pourtant… « Il s’agit du bracelet décomposé, tel qu’il a été conçu par un programme informatique, soit 300 grammes d’or gris palladié issu de la fonte », m’explique-t-on. Si je comprends bien, ce petit tas qui n’a l’air de rien, est en fait un puzzle précieux mal dégrossi, l’objectif étant de trouver la place de chaque élément pour reconstruire la montre.

Cet amoncellement d’éléments forme ce que l’on appelle un kit de fonte. Il comprend 87 éléments en métal qui vont être contrôlés puis « réparés », comme on dit dans le métier. « Les artisans vont effectuer du rattrapage de fonte pièce par pièce, c’est-à-dire qu’il vont nettoyer chaque élément avec des limes très fines et effacer les grains de fonte pour obtenir une surface lisse. L’ensemble est alors pré-poli, un travail effectué à la main par des polisseuses. À l’aide d’un fil d’émeri, elles vont reprendre toutes les surfaces afin d’obtenir un effet de poli miroir. Les pièces remonteront ensuite à l’atelier pour être contrôlées, puis elles seront pré-assemblées et pré-serties. Enfin l’ensemble se retrouvera entre les mains du sertisseur qui effectuera le travail final de sertissage. Pour finir, la montre sera montée et rhodiée avant d’être livrée.»

L’élégance commanderait de ne pas évoquer de chiffres au sujet de la Kelly Haute Joaillerie mais ceux qui ont été évoqués lors de ma visite méritent d’être mentionnés: la pièce pèse environ 130 grammes, le bracelet est orné de 488 pierres dont 57 diamants de taille princesse et pour la réaliser, il a fallu compter plus de mille heures! Son prix? 496’700.- CHF

Ce garde-temps versatile peut se porter de trois manières différentes: en sautoir, en montre bracelet et en manchette bijou, sans le cadenas. « Ce qui fait la différence entre un bijou et de la haute joaillerie, c’est la technique, l’esthétique et la mobilité. Les systèmes ne doivent pas être visibles et la pièce soit aussi belle vue de dessus que de dessous. Quand on manipule l’objet il doit rester souple, fluide, agréable, même si la montre pèse un certain poids », explique-t-on chez Foubert.

La Kelly possède une place à part dans l’univers d’Hermès. « Elle représente une montre iconique empreinte des valeurs de la maison, explique Philippe Delhotal. Dessinée par Philippe Mouquet en 1975, elle évoque le fermoir du sac Kelly. Ce fermoir s’inspire directement d’une pièce de harnachement qui se fixait à l’attelage au moyen de quatre clous que l’on retrouve sur le boîtier de la montre Kelly allongé et taillé en biseau à 12 heures. D’une montre de collection, j’ai souhaité l’habiller d’une robe magique et l’amener là où initialement nous ne l’attendions pas. Tout en gardant son identité singulière, cette transformation sublime cette création identitaire de la maison. »

Trois types de sertis ont été utilisés pour orner ce modèle : le serti grain, qui consiste à maintenir les diamants par de petits grains taillés dans l’or, le serti neige utilisé pour la plaque accueillant l’anneau de fixation du cadenas, où des diamants de différents tailles sont juxtaposés pour recouvrir entièrement la surface, et le serti clos, qui garantit un maintien sûr, employé pour les diamants de taille princesse. La pierre est entièrement entourée d’or rabattu par martèlement sur l’ensemble de son pourtour. L’alliance de ces techniques donne une légèreté particulière à la Kelly: les diamants semblent avoir été délicatement brodés sur les pourtours du bracelet mobile.

Le 4 novembre 2021, lors de la remise des prix du GPHG, tous les employé de Hermès Horloger, ceux des ateliers Bunter à Versoix et Foubert à Paris, qui ont travaillé sur cette pièce de joaillerie d’une grande délicatesse, retiendront leur souffle en attendant le verdict. Pendant ce temps, cette dentelle précieuse continuera de donner l’heure. La beauté est sans attente…